Nanananana Tant pis ou tant mieux. Nanananana. [Outro : Bigflo & Oli, Olympe Chabert] L'amour ne se divise pas, il se multiplie. Chacun refait sa vie mais on reste une famille. On s'aimera encore plus, on s'aimera encore mieux. L'amour gagne toujours, l'amour gagne toujours. L'amour ne se divise pas, il se multiplie.
Cest la question à 30 centimes d'euro et 4 heures de dissertation. De toute façon, nous pensons que l'amour ne se divise pas, il se multiplie. Lorsque vous avez 3 enfants vous les aimez autant les un que les autres. Dès lors pourquoi se limiter à un seul partenaire ? Comme vous êtes sages, dévoilons une carte coquinons.com, la carte 32Ce dictionnaire contient 66 citations et pensées d'auteurs célèbres français ou d'auteurs étrangers sur le verbe diviser Il est absurde de diviser les gens en bons et en mauvais. Les gens sont ou bien charmants ou bien ennuyeux. Oscar Wilde ; Les aphorismes et pensées 1854-1900 Pour les femmes du monde d'aujourd'hui, les hommes se divisent en hommes de jour et en hommes de nuit. Alexandre Weill ; Le petit trésor d'esprit 1874 Diviser son temps pour mieux avancer un remède et un allègement. Ximénès Doudan ; Les pensées, essais et maximes 1880 Avec notre division à outrance du travail, l'homme, cette créature raisonnable, n'est plus même une machine, il est un rouage. Gustave Vapereau ; L'homme et la vie 1896 On peut juger des progrès de la politique et de la religion dans une société à la profondeur des divisions qu'elles produisent. Gustave Vapereau ; L'homme et la vie 1896 Les malentendus divisent plus profondément les hommes que les dissentiments. Gustave Vapereau ; L'homme et la vie 1896 Sous prétexte de plaindre et de consoler que de bons amis brouillent les ménages ! Victor Cherbuliez ; Les pensées extraites de ses œuvres 1913 La différence des opinions divise plus encore que celle des goûts, car rien n'est plus intolérant que l'esprit. Victor Cherbuliez ; Les pensées extraites de ses œuvres 1913 La division anéantit tout les individus se perdent par l'égoïsme moral, et les peuples périssent par l'égoïsme politique. Louis-Philippe de Ségur ; Les pensées, maximes et réflexions 1823 L'humanité se divise en deux parts bien inégales d'un côté les natures d'élite et de l'autre côté tout le monde. Diane de Beausacq ; Les pensées et maximes de la vie 1883 La tyrannie ne peut s'introduire, ni se maintenir, qu'en semant parmi les citoyens la division, mère de la faiblesse. Aristote ; Les discours de morale - IVe s. av. Divise pour régner profonde parole ! Unis pour gouverner meilleure garantie. Johann Wolfgang von Goethe ; Les maximes et réflexions 1749-1832 L'argent qui pourrit tout, nous divise et nous fait nous haïr. Marie-Claire Blais ; L'instant fragile 1995 Plus le monde se perfectionne, plus les barrières qui divisent les hommes s'élargissent, plus il y a de pays que les mêmes intérêts tendent à réunir. Louis-Napoléon Bonaparte ; Les œuvres de Napoléon III 1854-1869 L'orgueil est incompatible avec l'orgueil, de là naissent toutes les divisions qui troublent le monde. François de Salignac de La Mothe-Fénelon ; Les réflexions et pensées 1720 Le monde est divisé en deux catégories de personnes. Celles qui acceptent de se gêner pour les autres. Et celle qui s'y refusent. Henry de Montherlant ; Un incompris 1943 Divisez un grand État, et chaque portion voudra s'élever au détriment des autres ; chaque province sera le foyer de nouveaux intérêts, de nouvelles prétentions ; elle tendrait toujours à se séparer du centre. Louis-Napoléon Bonaparte ; Les œuvres de Napoléon III 1854-1869 Le mot d'ordre de tous les hommes est bonheur, mais au lieu de les réunir, il les divise. Pierre-Claude-Victor Boiste ; Le dictionnaire universel 1843 À de certaines heures, nous parvenons à nous détacher assez de nous-mêmes pour nous dédoubler, pour nous diviser en deux moi, et l'un de ces moi regarde l'autre comme un étranger qui lui plaît. Nous devenons alors des spectateurs sympathiques de notre propre vie. Victor Cherbuliez ; L'art et la nature 1892 Le bonheur est quelque chose qui se multiplie quand il se divise. Paulo Coelho ; Sur le bord de la rivière Piedra 1994 Diviser le bien c'est le multiplier chaque fraction devient aux yeux de Dieu, aussi grande que le tout. Adolphe d'Houdetot ; Dix épines pour une fleur 1853 On reconnaît les nombres premiers à ce qu'ils ne peuvent pas se diviser et la droite française au phénomène inverse. Philippe Bouvard ; Mes dernières pensées sont pour vous 2017 La société se divise en deux camps, ceux qui ont et ceux qui n'ont pas. Frédéric Ozanam ; Les discours aux conférences de Saint-Vincent-de-Paul 1853 Le problème de la civilisation est celui-ci Compléter les hommes les uns par les autres, c'est-à-dire diviser leurs fonctions selon leurs aptitudes respectives et régler le juste échange de leurs services réciproques. Grâce à l'inégalité des facultés, cette division du travail est fatale, mais combien elle est misérable au fond ! Elle parque les hommes pour toute leur vie dans ces ornières qu'on nomme les carrières, les professions, témoignage de l'imperfection de chacun. Sully Prudhomme ; Journal intime, le 2 juillet 1868. Lors des réunions de famille on doit éviter les sujets de scandale et les motifs de division. Anatole France ; Le mannequin d'osier 1897 L'opinion réunit ou divise les hommes. Pierre-Jules Stahl ; Les pensées et réflexions diverses 1841 À partager, on gagne toujours si je partage une joie, je la multiplie. Si je partage une peine, je la divise en deux. Georges Dor ; Échos-Vedettes, le 8 juillet 1967. Deux hommes se sentent confusément unis par la même femme, alors que deux femmes sont irrémédiablement divisées par le même homme. Frédéric Dard ; Les pensées de San-Antonio 1996 Les gens se divisent en deux catégories les ineptes et les inaptes. Frédéric Dard ; Les pensées de San-Antonio 1996 L'amour ne peut supporter le temps ni l'espace, tout ce qui divise. Marcel Jouhandeau ; Monsieur Godeau intime 1926
Afficheoriginale et design L’amour d’une maman ne se divise pas il se multiplie
Publié depuis 23 Juillet 2008 4754 Il ne s’agit pas d’une multiplication des partenaires sexuels mais bien d’amour ! C’est vivre autrement cet amour conjugal qui est soumis à l’exclusivité contrairement à l’amour fraternel, amical ou filial. L’amour se décline à différents degrés, sous différentes formes mais il s’additionne, il ne se soustrait ni se divise, il se multiplie ! Pourquoi en serait-il autrement dans les relations amoureuses ? Le don et le fait d’accepter de recevoir en retour enrichit individuellement et nourrit donc le partage avec d’autres amoureux, c’est une logique sans fin qui permet à l’être aimé d’être toujours surpris, nourrit par l’évolution personnelle de son complice… D’autant qu’un partenaire ne peut pas être le seul garant du bien-être, de tous les besoins affectifs, sociaux….de l’autre. La plus grande preuve réside dans l’hypocrisie d’une société qui met en exergue la monogamie alors que le nombre de divorces est de 2/3 et que dans ce genre de contrat officiel, la fidélité est presque une utopie… Face à cette vision bien pensante du couple, l’un et l’autre ressentent souvent le besoin de se contrôler » mutuellement, afin de se remplir de l’autre, de ce qu’il leur manque mais c’est souvent la déception qui prend le dessus après quelques mois de relations, car on a idéalisé, on a trop rêvé l’autre et on ne le voit plus capable » de nous satisfaire. Mais un seul individu ne peut pas en combler un autre entièrement… L’autre n’est pas notre propriété sinon il perd son unicité et sa liberté. Ne pas avoir envie de posséder l’autre et communiquer sont les meilleures clés pour partager, l’échange sera d’autant plus grand que l’on autorisera l’autre à s’épanouir de manière individuelle. Ne serait-ce pas ça l’amour inconditionnel ? Voir l’autre grandir, être comblé ? Cela peut tout de même impliquer des limites, il ne s’agit pas de tout accepter par amour mais d’élargir le contrat initial, non pas en partant du principe qu’il s’agit d’infidélité mais bien du fait qu’il s’agit, au contraire, de s’ouvrir aux envies de l’autre, sans trahison ou érotique, intellectuelle… permet de s’accomplir. Tout le problème réside finalement dans la capacité à dépasser la jalousie qui ne reflète pas une preuve d’amour, juste un manque de confiance en soi qui gangrène la relation petit à petit, qui étouffe, qui prive mais qui ne sublime certainement pas le couple. Surmonter cette émotion, c’est offrir à l’autre et se donner à soi la possibilité de mettre en place une autre conception de la fidélité qui prend en compte ce désir de séduire et d’être séduit, d’aimer et d’être aimer… tout en gardant cette idée d’engagement, d’amour vis-à-vis de chacune d’entre eux. Après m'être passionnée pour la Sociologie, notamment pour les questions d'orientations et d'identités sexuelles LGBT, j'ai poussé ma curiosité jusqu'en Master de Conseiller-Médiateur en Genre et Sexualité. Afin de parfaire mes recherches, j'ai ensuite obtenu mon de Sexologie et Santé Publique. Depuis l'ouverture de mon cabinet et en quête d'une vision humaniste et d'occurrence scientifique, je me suis dirigée vers le Sexocorporel et la fonction de praticien en psychothérapie. J'anime régulièrement un "café-sexo" et suis également formatrice en éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle IREPS, CHU, chroniqueuse et consultante pour divers magazines et sites web.4 ? ETHICS ETH-BIB 00100002425871 ' f/022. m m * fl A J > 3 ! k I \ >• l COURS DE PHILOSOPHIE SUR LE FONDEMENT DES IDÉES ABSOLUES DU VRAI, DU BEAU ET DU BIEN. i J AYIS. Tout exemplaire de cet ouvrage non revêtu de ma griffe sera réputé contrefait. . UcuAéZZ TARIS. — IMPRIMERIE ET FONDERIE DE FÀIN, Rue Racine, n° 4 * pl* ce de l’Odéon. COURS DK PHILOSOPHIE PROFESSE A LA FACULTÉ DES LETTRES PENDANT l’aNNEE 1818 * PAFa M. V. COUSIN, SUR LE FONDEMENT DES IDEES ABSOLUES DU VRAI, DU BEAU ET DU BIEN; PUBLIÉ AVEC SON AUTORISATION et d’après LES MEILLEURES RÉDACTIONS DE CE COURS.. PAR Ta. ADOLPHE GARNIER, MAITRE DE CONFERENCES A NORMALE- PARIS. librairie classique et élémentaire de l. hachette* ANCIEN DE L’ÉCOLE NORMALE, RUE N° I 1836 . 2 .KZTV ' r I . afe* - 1 •- • .•£ ï ;• •» ta •» -. r. .Hjfi**» ' ' -W ? PRÉFACE de l’éditeur. En 1826, M. Cousin, forcé au silence par un pou voirsoupçonneux, publiapour la première fois des fragmens de son enseignement de 1 8 1 5 à 1818 , el principalement de cette dernière année. Le public accueillit avec empressement ces restes d’une parole qui avait retenti avec tant d’éclat. Les hautes intelligences philosophiques comprirent bien le sens de ces pages si remplies et si concentrées; elles saisirent le lien qui les rattachait les unes aux autres, comme les feuillets d’un même livre. Mais il n’en fut pas ainsi de tous les h^teurs, et principalement des jeunes vj . PRÉFACE DE LEDITEEK. * adeptes de la philosophie. La présente publication est destinée à leur fournir le guide qui leur manquait, et à leur donner cette prodigalité d’explications et cette surabondance de lumière, dont la jeunesse a tant besoin. Le cours professé à la faculté des lettres en 1818, par M. Cousin, résumait son enseignement antérieur, et posait de la manière la plus large et la plus nette la théorie dogmatique du professeur. M. Cousin en donna le programme dans les Fragmens philosophiques ; mais ce programme ne pouvait être parfaitement intelligible que pour ceux qui en avaient entendu le développement de la bouche même du maître. Le cours de 1818 avait été rédigé par les élèves de l’école normale qui faisaient partie de l’auditoire de la faculté. Ces rédactions avaient été remises au professeur, et elles dormaient dans ses cartons. Ce sont ces rédactions que j’ai demandées à M. Cousin quelque déliance qu’il eût de ces papiers délaissés et condamnés par lui à l’oubli, il a bien voulu me les remettre et aban- PREFACE DE L EDITEUR. V1J donner à ma discrétion le soin de les revoir et de les publier. Appuyé sur les travaux d’élèves intelli- gens, et sur mes propres souvenirs, j’espère n’avoir pas dénaturé le fond de la pensée du professeur de 1818 ; mais il n’en est pas de même de la forme, et le public s’attend bien à ne pas la retrouver ici. Parmi les rédactions qui m’ont été remises, il nen est qu’un petit nombre qui aient été prises à l’aide d’un procédé sténo- graphique, et encore le sténographe laisse- t-il beaucoupde lacunes, et nous prévient-il qu’entraîné comme l’auditoire par le charme de l’improvisation du professeur, il a quelquefois négligé d’écrire pour écouter. Quant aux autres rédactions, faites sur des notes prises avec rapidité, mais avec trop de lenteur encore pour suivre la parole, elles n’ont pu reproduire la justesse de l’expression, la pureté et la grandeur des images, l’harmonie de la période, et, ce qui manque a toute rédaction, l’accent de la voix, le feu du regard, la majesté du geste, en un mot, 1 action oratoire, ce véhicule de la pensée, PhÉFACJS m l’ëditelk. viij si puissant surtout chez un orateur comme M. Cousin, cet accompagnement indispensable de la parole qui saisit l’auditeur par tous les sens, et lui fait pour ainsi dire en trer par tous les pores l’intelligence de l’enseignement. Mais si mutilées que soient ces esquisses, elles sont pourtant ce qu’il nous reste de plus complet sur l’enseignement domagticue de M. Cousin, et c’est pourquoi nous les donnons au public. Le cours de 181 8 a essayé de résoudre la question la plus importante et en même temps la plus difficile de toute la philosophie, celle qui, même pour quelques- uns, est la seule question philosophique, ou la philosophie tome entière Y a-t-il des idées qui ne soient ni la connaissance des corps, m la connaissance de nous-mêmes ; et quel est le fondement de ces idées ? L’homme ne peut douter de sa pensée il se contredirait par son doute même ; puisqu’il ne peut poser un doute sans poser par cela même une pensée. Au delà de cette pensée, existe-t-il quelque chose, et les choses sont-elles en elles-mêmes ce qu’elles PREFACE DE L EDITEUR. IX wons paraissent ? J’ai la pensée des corps ; niais elle me vient dans le rêve comme dans l’état de veille les, corps sont-ils plus réels dans ce second état que dans le premier ? S’il y a des corps, sont-ils comme ils m’apparaissent ? Je touche une étendue continue y a-t-il dans la nature une véritable continuité? Toutes ces questions sont épineuses et pfeut-être insolubles; mais par bonheur il arrive que l’esprit humain se satisfait assez facilement sur l’existence de la nature physique, et tranche la question ou ne songe pas à la poser. J’ai aussi üdée de moi-même, c’est-à-dire de quelque chose d’invisible et d’intangible qui est toujours le même, et qui me suggère dans le langage le mot Je. Je m’apparais tantôt comme une intelligence , tantôt comme une sensibilité, surtout comme une volonté; mais qu’y a-t-il au fond de tout cela? comment ces trois facultés ne détruisent- elles pas l’unité du moi ; quel est le lien de cette trinité non moins mystérieuse qu’une trinité plus haute et plus sainte? Ces problèmes ne sont pas moins redoutables que X PRÉFACE DE t,'ÉDITEUR. les premiers, et pourtant l’esprit humain se contente encore assez facilement sur ce sujet. Aussi vrai que f existe, clit le peuple; aussi vrai que le soleilnî éclaire, ajoute- t-il. Il a donc la certitude de son existence et celle de l’existence des corps, et ce qu’il demande, c’est qu’on lui ramène toute chose à une évidence aussi immédiate , et aussi pleinement satisfaisante pour lui que celle de l’existence des corps et de l’existence du mot. Et cependant, après l’idée des corps, après l’idée de moi-mème, tout n’est pas fini dans l’intelligence humaine. Nous avons la pensée de choses qui ne se touchent ni ne se voient, et que nous ne pouvons confondre avec nous-mêmes. ,Fai l’idée d’un espace sans limite, d’un temps éternel, d’une justice et d’un devoir universels, d’un type de beauté que les arts eux-mêmes ne réalisent jamais, d’une cause qui n’a ni commencement ni fin qu’est-ce en dehors de ma pensée que l’espace, le temps, la justice, l’idéal et Dieu ? Le public nous demande que nous lui rendions tout cela aussi clair que les corps et que son PRÉFACE DE L EDITEUR. XJ existence, car, à tort ou à raison, il ne conteste pas sur ces deux points. Beaucoup de philosophes ont voulu satisfaire le public et aussi se satisfaire eux-mêmes. Ils se sont dit puisque chacun reconnaît l’existence de soi-même et l’existence des corps, et qu’on n’élève sur ces deux points aucune difficulté, n’y a qu’un moyen de donner une explication satisfaisante de tout le reste c’est de le ramener soit à la matière, soit à nous-mêmes. Les uns ont donc fait ce discours au public Vous trouvez claire l’existence des corps, et je suis de votre avis. Eh bien, il n’existe rien que des corps; toute idée a un objet sensible, toute pensée vient de la matière; le temps, l’espace, la justice, l’idéal, Dieu, tout cela c’est de la matière plus ou moins généralisée » ; et, entraînés par leur système, ils ont ajouté l’esprit lui-même n’est que matière ; le moi c’est l’expression de l’unité du corps. » Les autres ont pris la parole à leur tour et ont dit Vous êtes sûrs de v °tre existence, et nous sommes sûrs aus si de la nôtre ; il ne s’agit donc pour PREFACE DE LEDITELR. X1J nous contenter suffisamment que de tout ramener à nous-mêmes, de tout considérer comme des faces du moi humain. Ainsi vous parlez d’espace et de temps; mais ce n’est là qu’une pensée, vous les créez en y pensant. Les idées de justice, de beauté et de cause sont claires comme pures idées, et deviennent obscures dès qu’on en veut faire des existences extérieures ; » puis, cédant comme les premiers à l’entraînement de leur doctrine, ils ont ajouté L’idée des corps n’est aussi qu’une idée, car, à vrai dire, qu’est-ce que peut être un corps en lui-même 7 11 n’existe donc rien au monde que la pensée. » C’est ainsi que la philosophie, séduite par l’évidence de l’existence du moi et de celle de la nature, n’a voulu rien reconnaître en dehors de ces deux sphères, et même, suivant son goût dumoment, a brisé le moi contre la nature ou la nature contre le moi. U faut en convenir, nous nous reposons avec une sécurité profonde sur l’existence des corps et sur celle de notre pensée, et quand nous venons à nous interro- PREFACE DE F EDITE Ci!. XJ1J ger sur la réalité extérieure du temps, de l’espace, de l’idéal, de la justice, de la substance, de la cause, il semble qu’un point d’appui nous manque ; nous nous sentons comme suspendus dans le vide ou sur l’abîme. Notre imagination s’évertue pour se représenter ces choses, et nous savons pourtant bien que nous ne devons pas chercher à nous les représenter, quelles ne sont pas susceptibles de représentation, qu’en- fin les représenter c’est les détruire. Mais, engagés que nous sommes dans les voies sensibles, nous arrivons en présence de ces objets, comme Bacon reprochait aux alchimistes d’aborder les récherches métaphysiques, les yeux obscurcis par la fumée et les mains noircies par la suie des fourneaux. Ou bien, si nous nous sommes faits métaphysiciens, si nous avons dressé notre pensée à se replier sur elle-même, elle se prend pour la seule réalité possible elle nie orgueilleusement tout ce qui n’est pas elle-même; éblouie de sa propre clarté, elle tient en vain ses yeux ouverts sur le reste du monde. Dans le cours que nous publions, M. Cou- xiv PRÉFACE DE I,'ÉDITEUR. sin s'occupe d’abord de reconstituer le moi devant la nature, et la nature devant le moi, et de réédifier ainsi deux élémens que les écoles du dix-huitième siècle avaient absorbés l’un dans l’autre. Mais de courts préliminaires lui suffisent pour achever cette tâche, et il se consacre ensuite tout entier à la construction de ce monde distinct du moi et de la nature plus difficile à élever que les deux autres, qui a été nié à la fois et par ceux qui épargnaient la nature et par ceux qui respectaient le moi. Le professeur commence par constater les idées qui ne tirent point leur origine du monde physique ni du moi humain, ou, en d’autres termes, qui ne sont produites ni par la sensation ni par la réflexion ; il les distingue par les deux caractères d’universalité et d’immuabilité qui leur sont propres; il oppose le premier à l’individualité du moi , et le second à la perpétuelle variation de la nature; il dorme à ces idées le nom d’idées absolues , parce qu’elles sont indépendantes de la nature et du moi ; il prend la liste qui en a été dressée par l’illustre Kant, et PRÉFACE DE LÉDÏTEÜR. XV il la réduit à deux idées fondamentales i" celle de cause, qui embrasse les idées de phénomène, accident, qualité, multiple, particulier, individuel, relatif, possible, probable, contingent , divers et fini; 2 U celle de substance, qui comprend l’être, limité,-l’absolu, l’éternel, l’universel, le semblable et l’infini. Et, en effet, qu’y a-t-il dans la nature au delà du phénomène qui change, qui passe, qui agit sur un autre phénomène , et qui" constitue ainsi l’action et la réaction des causes; et au delà de la substance , de l’être immuable, inaltérable, qui est le soutien du phénomène, et qui n’en partage pas les fluctuations ? L’univers peut se définir quelque chose qui change et quelque chose qui ne change pas ; mais ce quelque chose qui ne change pas échappe à nos moyens d’observation ; notre raison elle-même nous en fait bien concevoir l’existence, mais non pas la nature. L’être infini, dit M. Cousin, ne se manifeste à notre esprit que par les idées du vrai, du beau et du bien, qui sont lr nruuables comme lui, mais plus facile- BIBLIOTHEK der E. T. H. ZURICH A VJ PRÉFACE DE L ÉDITEUR. ment abordables à notre humaine raison. Gette théorie pouvant être soupçonnée de mysticisme, le professeur confronte sa doctrine avec les diverses théories mystiques qui apparaissent dans l’histoire de la philosophie il montre que le mysticisme consiste, soit à diviniser le phénomène ou la cause matérielle, soit à vouloir contempler la substance ou l’être infini face à face, et il lui est facile de prouver que sa philosophie, qui dépouille les causes extérieures de toute personnalité, et qui ne prétend pas faire sortir l’Eternel des formes qui l’enveloppent, ne peut être accusée de mysticisme. Voilà donc les idées absolues réduites à l’idée de cause ou de phénomène d’une part, et de l’autre à l’idée de substance sous la triple forme du vrai, du beau et du bien. L’auteur distingue le vrai absolu d’avec l’être absolu la vérité absolue se compose des axiomes qui président à toutes les sciences, axiomes accessibles à notre raison, mais auxquels nous avons besoin de concevoir une base ou un point d’appui, PRÉPACK ût' LEUlS'El. .K •• XVij et l’auteur place ce point d’appui en Dieu lui-même, que la religion nous représente d’ailleurs comme source de toute vérité. 11 s’attache à constater et à démontrer l’existence de la vérité absolue. La nécessité où nous sommes d’admettre cette vérité est ce qui l’a perdue aux yeux de certains philosophes, lorsque c’est plutôt ce qui devait la sauver. Ils ont cru que cette nécessité marquait la vérité d'un caractère subjectif et la métamorphosait en une sorte de production du moi humain. M. Cousin leur fait cette concession, qui est immense; mais il remarque que la croyance nécessaire est une croyance réfléchie en effet, l’esprit ne s’aperçoit de la contrainte que lui impose la vérité que quand il réfléchit sur lui-même, et fait en quelque sorte effort pour s’affranchir des liens de cette vérité. Or, tout état réfléchi suppose un état antérieur irréfléchi, où le moi n’est pas revenu sur lui - même, ne s’est pas aperçu lui-même en apercevant la vérité, et a obtenu ainsi ce que M. Cousin appelle aperception pure , libre de toute em- PRÉFACE DE LÉDITEUR. xviij preinte de subjectivité. La vérité s’impose à la raison, et ce n’est pas la raison qui fait la vérité. Les principes absolus ont été attaqués encore par une autre voie on les a décomposés en plusieurs idées simples, dont on a prétendu ramener l’origine à la sensation ou à la réflexion. Le professeur suit ces nouveaux adversaires sur le terrain où ils se placent, et s’enfonce avec eux et plus loin qu’eux dans l’analyse des principes attaqués; il veut bien accorder que le principe de causalité est précédé dans l’esprit humain de l’idée de cause; mais il soutient qu’il y a une grande différence entre la notion de cause individuelle, volontaire, libre, mais contingente et finie, telle que par la conscience nous -saisissons la cause en nous, et le principe de causalité qui nous met en possession de la cause extérieure, nécessaire et infinie. Quant au principe de substance, il nie qu’aucune des idées qui entrent dans ce principe lui soit d’un seul moment antérieure l’idée de substance et l’idée de phénomène spnt corrélatives l’une ne germe pas sans l’autre, PRÉFACE DE L ÉDITEUR. xix car, séparées , elles seraient incompréhensibles. Ce principe se présente donc à l’esprit tout formé, armé de toutes pièces, comme la Minerve sortie du front de Jupiter; et en conséquence il est impossible de le résoudre en aucune idée préalable de réflexion ou de sensation. La fausse doctrine sur l’origine des principes est ramenée par M. Cousin à la théorie inexacte qui regarde le jugement comme le résultat postérieur du concours de deux idées acquises d’abord une à une. Le professeur montre que les idées nous viennent simultanément et en corrélation les unes avec les autres , et qu’ainsi le jugement se trouve au début des opérations intellectuelles. Après avoir considéré la vérité absolue en elle-même, M. Cousin la considère dans les ouvrages de la na ture et de l’homme, c’est-à-dire sous la forme du beau. Il s’applique à prouver que l’idée du beau est une idée absolue, originale, spéciale, et non pas une idée collective, générale, comparative. Il est conduit ainsi à distinguer le e&u idéal du beau naturel, et à indiquer \x PHÉFACE DE 1,’ÉDI'l'ELK. comment l’esprit dégage le premier des enveloppes du second; il démontre que le jugement relatif à la beauté se place entre la sensation qui le précède et le sentiment qui le suit. Quand il a rattaché le sentiment du beau au jugement de la beauté, il oppose ce sentiment à tous les autres phénomènes sensibles avec lesquels on a voulu le confondre, il le suit et le fait reconnaître dans le phénomène complexe de l’imagination , qui se compose aussi de l’intuition des sens et de la raison. Il remarque que l’objet qui laisse en harmonie l’intuition sensible et la raison gardele nom de beau proprement dit, et que celui qui trouble l’accord de ces deux facultés en se laissant embrasser par l’une et en échappant à l’autre, prend Je nom de sublime. Il trace les limites entre le goût et le génie, ces deux faces diverses de l’imagination ; il s’attache enfin à faire reconnaître que les différons genres de beauté manifestés, soit dans les objets physiques , soit dans les sentimens et les actions, soit dans les idées, doivent s’identifier en un seul et même type de beauté morale ou PRÉFACE DE LÉDIïEl iï. XXj intellectuelle ; que l’expression plus ou moins fidèle de cette beauté extérieure décide de la classification des arts, et assure le premier rang à la poésie, et que ce type idéal, indépendant de la nature et de l’esprit , s’appuie comme la vérité absolue sur l’être infini caché au fond de toute chose. Le professeur arrive alors à la vérité absolue considérée dans les actions, ou à l’idée du Bien moral; il enseigne que s’il n’y a aucune science sans principes absolus, il n’y a pas de science morale sans vérité absolue en morale. La discussion de l’idée du bien n’est pas, dit-il, une spéculation sans résultat, une méditation purement contemplative. La solution qu’on lui donne influe siir la conduite de la vie privée et sur le gouvernement des états. Si l’on conteste l’exis- tence'd’une vérité morale absolue, le principe de nos actions ne peut être fourni que par la sensibilité. L egoïsme conduit le monde, et d le fait arriver à l’état de guerre ou à la tyrannie. Le seul contre-poids contre l’arhi- tr aire et le despotisme, c’est la j ustice kn- ^ éternelle, c’est-à-dire l’idée ab- b Xxij PRÉFACE DE L ÉDITEUR. solue du bien. La vérité absolue, considérée en' elle-même, oblige notre raison; considérée dans les actions, elle oblige notre liberté, c’est-à-dire quelle demande à être réalisée pratiquement ; c’est là ce qu’on appelle l’obligation morale. Ainsi l’idée du devoir dérive de l’idée du bien, et non l’idée du bien de l’idée du devoir. La vérité morale s’imposant à la liberté, il en résulte pour celle-ci deux obligations i° n’obéir qu a la vérité absolue ou à la raison qui la révèle ; 2 0 obéir à toutes les prescriptions de la raison. De là toute la série dés devoirs de l’homme et tous les genres de droits, depuis le droit privé jusqu’au droit politique. La vérité morale demandant à être réalisée par l’action, la société humaine est donc prédestinée, nécessaire, inévitable; elle • est donnée à priori. La société n’est pas faite pour le gouvernement, c’est le gouvernement qui est fait pour la société. La mission de celui-ci est de maintenir l’accomplissement de la vérité morale. Une des faces de cette vérité nous présente le principe de mérite et de démérité, c’est-à-dire PRÉFACE DE l’ÉDITEUR. XXÜj une liaison nécessaire entre la vertu et le bonheur, entre le crime et le malheur le rôle du gouvernement est encore de réaliser ce principe dans la mesure des forces et des lumières humaines. La vérité morale absolue ne peut être attribuée à notre éducation , car la question serait reculée et non résolue -, elle n’est pas non plus la volonté divine, à moins qu’on ne fasse équation ici entre volonté et justice, et alors l’idée de justice redevient primordiale et n’est plus dérivée ; elle n’est pas davantage l’idée des peines et des récompenses à venir, car ce n’est pas le châtiment et la rémunération qui décident du bien et du mal, c’est le bien et le mal qui font récompenser ou punir. Enfin la loi morale absolue se distingue, non- séulement de la sensibilité, physique, mais encore des jouissances les plus intimes et les plus délicieuses de la sensibilité morale. Dans la plupart des cas, d’ailleurs, cette dernière présuppose l’idée du bien et du mal. Si' la loi ne vient pas de la sensibilité, elle ne ^ient pas davantage de la liberté le moi peut se faire la loi à lui-même. Il faut XXIV P11ÉFÀCË DE INÉDITEl. K. donc joindre à la sensibilité et 4 la liberté une troisième faculté, la raison, qui met rhomme en communication avec la vérité absolue, et qui, comme nous lavons déjà dit, n esubjective pas la vérité, parce quelle se divise en deux points de vue l’apercep- tion pure et la conception nécessaire. L’obligation morale étant le caractère absolu de la vérité morale présuppose la liberté, qui est donnée ainsi àpriori , comme la société, mais qui ne nous est pas moins attestée à posteriori par la conscience. La vérité morale absolue est trouvée elle a le même fondement que la vérité en général, et que l’idéal; elle est une manifestation de letre parfait et inlini la science morale est donc possible. Tels sont les développemens auxquels M. Cousin s’est livré dans le Cours dont nous offrons aujourd’hui une esquisse. Cette théorie est curieuse à étudier, même pour ceux qui ire seraient pas disposés à la recevoir ; les uns en admireront la profondeur, les autres au moins la hardiesse. Dans ce vaste' édifice tout se tient et se lie avec harmonie la connaissance du moi humain est sauvée PRÉFACE DE L'ÉDITEUR. XXV des attaques de l’école sensualiste ; la connaissance des corps est délivrée des entraves que lui opposent les écoles idéalistes. Au- dessus de ces deux mondes contingens et variables du moi et de la nature physique, est replacé le monde des idées absolues. L’esprit humain retrouve dans cette doctrine ces axiomes immuables qui forment les principes de toutes les sciences, sans lesquels rien ne vaudrait la peine d’être étudié; il reconnaît cet idéal qui est en même temps la vie et l’explication des beaux-arts; enfin, il ressaisit ce bien moral absolu qui est la seule digue contre le règne de la violence, et qui place la paix sur cette terre et l’espérance dans le ciel. Puis, si sa curiosité l’entraîne, s’il se demande qu’est-ce que la vérité en elle-même, qu’est-ce que l’idéal en dehors de notre esprit et de la nature, que serait-ce que le bien moral si les hommes et le monde étaient détruits, cette doctrine lui fait entrevoir un être substantiel , éternel et infini, qui est le fond mystérieux du vrai, du beau et du bien, et qui ne se manifeste à l’homme et dans la nature PRÉFACE- DE i/ÉDITEUR. xxvj que sous ces trois formes. Les idées absolues nous viennent donc de letre absolu. Soit qu’on descende de Dieu à l’homme, soit qu’on remonte de l’homme à Dieu, on les retrouve sur son chemin ; elles sont le messager, le médiateur céleste; elles sont la plus haute et la plus claire manifestation de Dieu ; elles sont aussi le plus saint des hymnes que l’hommé puisse adresser à la Divinité. TABLE DES SOMMAIRES- PREMIÈRE LEÇON. Page i re . Deux époques dans l’histoire de la philosophie l’époque antique ou Grecque , l'époque moderne ou Cartésienne. — L’esprit du Cartésianisme se développe surtout dans le dix-hui- tiéme siècle. — Le caractère de ce siècle, c’est l’analyse de la pensée. 7— École anglaise, école écossaise et école allemande. — En conciliant ces diverses écoles, on peut arriver à une analyse plus complète de la pensée. — Eclectisme,. DEUXIEME LEÇON. Page i 3 . La conscience n’est que le retour de l’intelligence sur elle-même, ce n’est pas une faculté, spéciale ; analyser la conscience, c’e6t donc analyser l’intelligence.— Le moi humain ne puise pas toutes ses connaissances -dans le monde matériel ; il ne les lire pas non plus toutes de son propre fond. -— Le Moi, dans la théorie de Locke, est incapable 1“ d ar- eiyer à toutes les connaissances qui sont dans l'entende- ment ; 20 de former une seule pensée ; 3 ° d’arriver même a 1 idée de sensation. XXV11J TABLE TROISIÈME LEÇON. Page 21. Retour sur la philosophie de Locke. — Examen de la théorie de l’école Allemande. — Le. moi ne peut tirer de lui-même les vérités absolues. — Kant et Fichte. QUATRfÈME LEÇON. Rage 28. L’absolu est distinct de la nature physique et du moi humain. A la sensibilité et à l’activité il faut ajouter la raison.— Catégories de Kant. — Réduction de ces catégories à deux idées fondamentales l’idée de cause et l'idée de substance. . CINQUIÈME LEÇON. . • Page 36. Origine de l’idée de cause. — Cette idée ne peut dériver du monde extérieur. Elle est empruntée à la notion de l’activité du moi. — L’activité du moi est spontanée avant detr réfléchie. SIXIÈME LEÇON. Page 44 La catégorie de causalité contient trois points de vue difïë- rens celui de la cause intentionnelle , celui de la cause fatale, et celui de la réciprocité, c’est-à-dire de l’action et de la réaction des causes les unes sur les autres. — Ordre de succession de ces trois points de vue dans l'intelligence humaine. — Idée du paganisme. —• Idée de la tragédie antique. Nécessité de reconnaître la catégorie de substance— DES SOMMAIRES. XXIX L’idée de substance ou d’infini est aperçue, d’abord obscurément , sous l’idée de cause ou de fini. —La catégorie de substance est nécessaire pour rendre compte de toutes nos connaissances contingentes et absolues, et pour constituer l'unité du fait de conscience.'— Sous-division,de la catégorie de substance ou dëtre idée du vrai, idée du beau, idée du bien. SEPTIÈME LEÇON. * ; Page 58. Le moi , la nature et l'absolu sont les trois élémens de la vie intellectuelle. — Divers points de vue des écoles philosophiques point de vue épicurien , point de vue stoïcien , point de vue platonicien, -point de vue chrétien. — Différentes sortes de mysticismes qui peuvent naître de ces divers points de vue. HUITIÈME LEÇON. ' Page 68. La sensibilité joue le principal rôle dans tous les mysticismes. — Théorie de la sensibilité. — Parallélisme de la vie intellectuelle et de la vie sensible. —Vie vie spontanée. NEUVIÈME LEÇON. Page 8o. Histoire des différens mysticismes. — Mysticisme relatif aux phénomènes, envisagé dans l’individu et dans l'humanité. — Personnification de la nature extérieure. —Paganisme. — Invocation, évocation, théurgie, cabale. DIXIÈME LEÇON. Page 8g. Re tour sur la leçon précédente_Mysticismes relatifs à la XXX TABLE substance mysticisme rationnel, mysticisme du sentiment. — Zenon. —Jacobi. ONZIÈME LEÇON. C . Page toi. Continuation du même sujet. — Dernier degré du mysticisme relatif à la substance tentative de contempler letre infini par-delà les idées du vrai, du beau et du bien.— Vlolin.—Fénelon , quiétisme. DOUZIÈME LEÇON. Page no. Problème de la vérité absolue. — Deux méthodes pour le résoudre partir de l’état primitif de l'intelligence et descendre à l'état actuel, ou partir de l’état actuel et remonter à 1 état primitif. — La seconde méthode est préférable. — Critérium relatif de la vérité ou nécessité. — Critérium absolu de la vérité ou universalité et indépendance de la vérité. TREIZIÉME LEÇON. , . Page ii8. Nécessité d’une bonne méthode en métaphysique. — Vérités contingentes — Vérités nécessaires. — La nécessité est le signe de 'l'absolu. — Avant la croyance nécessaire est l’aperception pure de la vérité. — Raison spontanée. — Raison réfléchie. — La vérité absolue est en dehors de toute démonstration. —Elle fait son apparition dans l’homme et dans la nature, mais elle n’est ni l’un ni l'autre; c'est une manifestation de Dieu. —Impossibilité de l’athéisme. QUATORZIÈME .LEÇON. Page i3o. Trois ordres de faits de conscience sensations, voûtions, aper- ception» rationnelles. —-Le scepticisme ne peut attaquer ces 4 DES SOMMAIRES. XXXj dernières. — Liberté, sensibilité, raison. —Retour sur l’aperception pure. — Affirmation sans négation. — La vérité n’apparaît pas d'abord comme nécessaire, mais seulement comme vraie. — Fatalité et liberté de l’aperception pure. — Lètre absolu est la substance de la vérité absolue. — La vérité est-un médiateur entre Dieu et l'homme. QUINZIEME LEÇON. Page i43. Deux grands besoins dans-l’espfit humain 10 besoin de principes absolus , comme base de la science ; 20 besoin de trouver ces principes absolus par l’observation. —Méthode rationnelle et méthode expérimentale. .— Conciliation de l’à priori et de lVi posteriori, de l’observation et de la raison SEIZIÈME LEÇON. Page 1 53. Etat primitif de la vérité absolue dans l’intelligence. — La vérité absolue n’a point d’origine ontologique , mais seulement une origine psychologique—Première position intellectuelle dans l’ordre chronologique ou psychologique aperception pure d’une vérité' concrète ou déterminée. — Deuxième position connaissance nécessaire de cette vérité. — Troisième position aperception pure de la vérité abstraite ou indéterminée. — Quatrième position connaissance nécessaire de celle vérité. — La première application déterminée de la vérité s’est faite en même temps au moi et au non moi , à l’homme et a la nature. DIX-SEPTIÈME LEÇON. Page 162 . Les principes nécessaires n’ont pas d’antécédent logique. — La TAULE XXX1J question de la certitude n’eu est pas une elle se résout d’ellé-méme. — Retour- sur la succession des quatre positions intellectuelles.— Passage de l’état primitif à l'état actuel. — Deux espèces d’abstractions abstraction médiate ou comparative, abstraction immédiate. DIX-HUITIÈME LEÇON. Page 174. Les idées qui composent les principes nécessaires leur sont antérieures ou contemporaines. — Ni dans l’un ni dans l'autre de ces deux cas on ne peut faire dériver les principes des idées élémentaires dont ils sont formés. — Principe de causalité^— Principe de substance. ' • DIX-NEUVIÈME LEÇON. * • - Page j81. Théorie de l’idée du beau; — Diverses opinions sur l'origine de l’idée du beau. — L’idée du beau est-elle une idée collective ou une conception originale de l’esprit?—Nature, expérience , idéal.— Deux écoles d’artistes et deux écolts de géomètres. — Conciliation des deux écoles. VINGTIÈME LEÇON. Page 191. Position des questions relatives à l'idée de beauté. — V a-t-il du beau dans la nature? quels en sont les caractères? pa r quelles opérations intellectuelles arrivons-nous à le saisir? — Distinction entre la sensation et le jugement. V 1 NGT-ET-UN 1 ÈME LEÇON. Page 201. Du beau idéal. — Comment arrivons-nous à le concevoir? — •De l'imitation. — De la création. — L’esprit débute par le DES SOMMAIRES. XXXI IJ concret et l’abstrait, par l'individuel et l’absolu. — L’art doit exprimer l’individuel et l’absolu , plaire à la sensibilité physique et satisfaire la raison, unir le réel à l’idéal. — Simullanéité de 1 idée individuelle et de l’idée absolue. — Spontanéité et réflexion -, vue concrète et vue abstraite. — Abstraction immédiate. VINGT-DEUXIEME LEÇON. Page 2i5. Du sentiment du beau qui accompagne le jugement de beauté. _Ce sentiment se distingue r° De la sensation et du désrr de possession. — 2 ° De la pitié et delà terreur. — 3° De la recherche de l’intérêt, soit particulier soit général. — 4° De l’illusion. — 5 b Du sentiment moral et religieux. — L’art est sa propre fin à lui-méme, comme la religion et la morale sont leur propre fin. VINGT-TROISIÈME LEÇON. Page 227. Retour sur la distinction du sentiment du beau et du désir- de possession. — 1 Le beau est immédiat, l'utile ne l’est pas. — Le beau comme beau est inutile. — Le sentiment du beau se place entre le jugement absolu qui le détermine et leprécède d’une part, et de l’autre la sensation qui le précède et qui peut encoreTaccompagner et le suivre, mais avec laquelle il ne se confond pas. — Théorie de l’imagination. — Premier élément de l'imagination mémoire imaginative ou représentative— Deuxième élément abstraction ou choix rationnel et volontaire. — Troisième élément jugement etsen Liment du beau. — L’imagination n’est ni la sensibilité physique toute seule, ni la raison toute seule, ni la simple réunion de ces deux facultés; il faut y joindre l’amour pur et désintéressé, cesL-à-dire le jugement et le sentiment du beau. XXXIV TABLE VINGT-QUATRIÈME LEÇON. Page 342. • Le rapport entre la sensibilité physique ou l’intuition sensible d'une part et la raison de l'autre constitue les divers genres de beauté. —Du beau et du sublime dans les objets physiques , dans les senlimens et les actions, et dans les idées. — Harmonie des facultés bonheur; désharmonie souffrance. VINGT-CINQUIÈME LEÇON. • Page 252. Identité de tous les genres de beauté. — Le beau physique reflet du beau moral et intellectuel ou du beau immatériel — ïhéoriede l'expression dans'les arts.—t.’Apollon du Belvédère. — Winckelmann. — La figuré de Socrate. —L’homme. — La femme. — L’animal. — Le minéral. — L’ordre du monde. — Unité du vrai, du beau et du bien. — Dieu. VINGT-SIXIÈME LEÇON. Page 2 J 3 . Division de l’imagination le goût, le génie. —Le goût est appréciateur. — Le génie est créateur. — Le second contient les mêmes élémens que. le premier, mais à un plus haut degré d’énergie.— Le génie supérieur à la nature. — La fin de l’art est le triomphe de lu pâture humaine sur la nature physique.— L’art n’est ni une science ni un métier. — Alliance de l’idée et de la forme. VINGT-SEPTIÈME LEÇON. Page 2 ?1. Retour sur lé goût et le génie. — Une pensée de Plotin Les hommes beaux sont seuls juges de la beauté . — École de Locke. DES SOMMAIRES. XXXV — École de Kant. — Le beau n’est ni matériel ni subjectif; il est absolu, indépendant de là nature et de l'homme. — Règles de la composition. — Le critérium de l'art c’est l’expression. — La poésie est le premier des arts. — Puissance symbolique du mot. — L’éloquence , la philosophie et l’histoire nfe font point partie des beaux-arts. — Le second des arts est la musique. Viennent ensuite la peinture, la sculpture, l’architecture et la construction des jardins. VINGT-HUITIÈME LEÇON. Page s 83 . Les arts ne diffèrent pas parleur fin, mais par leurs moyens. — Des sens considérés dans leurs rapports avec l’art et le beau.— Incapacité du toucher, de l’odorat et du goût pour nous transmettre le beau. —Prérogative de louie et de la vue.— Arts de l’ouïe poésie et musique ; arts de la vue peinture,, sculpture, architecture et construction des jardins. — Les arts de l’ouïe ne chercher à usurper la forme des arts de la vue, ni réciproquement. — Retour sur la supériorité, de la poésie. VINGT-NEUVIEME LEÇON- Page 292. Résumé de la théorie du beau , tant sous le point de vue subjectif que sous le point de vue objectif. ' ' TRENTIÈME LEÇON. Page 002. Théorie de l’idée du bien. — Conséquences importantes de l a discussion sur l’idée du bien. — Elle peut recevoir deux solutions qui entraîneront deux séries de conséquences • opposées.— Théorie de l’inlérét état de guerre; despotisme. — Théorie de l'idée absolue du bien état dé paix ; souve- raineté de la raison. XXX VJ TABLE TRENTE-ET-UNIÉME LEÇON. Page 3i3. L’idée absolue du bfen est le seul contre-poids de l’arbitraipe. — .Caractère obligatoire de l’idée absolue du motifs d’actions i’intérét et le devoir. — La société n'est pas régie par l’idée de l'intérêt individuel, mais par celle de la justice absolue, — Corrélation-du devoir et du droit. TRENTE-DEUXIÈME LEÇON. Page 322. S’il y a de la vérité absolue en général, il peut y avoir de la vérité absolue en morale. — Position des questions relatives i 1 idée du bien. — De la vérité spéciilalivé et de la vérité pratique. De 1 obligation morale. — Définition de l’acte . moral et de l'acte immoral. — Le devoir suppose la liberté. TRENTE-TROISIÈME LEÇON. Page 33o. La vérité absolue, en passant dans les actions humaines, constitue la vérité morale absolue. —- Sans l’absolu point de science_La vérité moraleabsolue nous est manifestée par la raison, et elle s’adresse à la liberté. — Double devoir de la liberté.— Distinclibn entre la souveraineté et le pouvoir. Le pouvoirnepeutètre sa règle à lui-mème*—Souveraineté de la raison. —Devoirs envers Dieu, devoirs envers nous-mêmes, devoirs envers autrui. Droit civil, droit politique. — La société est la réalisation dè la vérité morale , elle existe donc à priori. —L’idée de société est antérieure à celle de gouvernement. — Réfutation de la doctrine du despotisme et de celle de l'anarchie- — La mission du gouvernement est de faire respectér la doctrine sociale , et d’appliquer le principe de mérite et de Jémérife. DES SOMMAIRES. XXTV1J TRENTE^UATRIÈME leçon. Page 340. Relation de l’idée du bien et de l'idée de l’obligation. — Postériorité de cette dernière. — Le droit se distingue du fait, en pratique comme en théorie. Le devoir ne dérive pas i° de l’éducation ; s° de la volonté divine ni des peines et récompenses à venir- TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. Page 36VWVWWWV**i*.WV\V\iVWVV\'\VVWV\»VWWlWl'VWW*\**'VVVV\V\fVVVVW»VVV/V% SIXIÈME LEÇON. La catégorie de causalité contient trois points de vue différens ; celui de la cause intentionnelle, celui de la cause fatale, et celui de la réciprocité, c’est-à-diré de l’action et de laréaction des causes les unes sur les autres.—-Ordre de succession de ces trois points de vue dans l’intelligence humaine. — Idée du paganisme- Idée de la tragédie antique. Nécessité de reconnaître la- catégorie de substance. — L’idée de substance ou d’infini est aperçue, d’abord obscurément sous l’idée de cause ou de fini. — La catégorie de substance est nécessaire pour rendre compte de toutes nos reconnaissances contingentes et absolues, et pour constituer l’unité du fait de conscience.— Sous- division de la catégorie de substance ou d’être idée du * vrai» idée du beau, idée du bien. Après avoir réduit à deux idées fondamentales celle de cause et celle de substance, la liste de catégories fournie par le philosophe Kant, nous avons recherché l’origine de la catégorie de causalité. Il nous reste à faire la même recherche sur la catégorie de substance ; mais auparavant, comme la catégorie de causalité a trois points de vue différens , c’est-à-dire l’idée de cause intentionnelle, l’idée de causé fatale et l’idée d’action et de réaction , il est bon de savoir dans quel ordre ees trois idées arrivent à notre esprit. Nous pensons que cet ordre est justement celui que nous venons de sui- 1U VH U. 45 vre en les énumérant. Le moi est conçu, non-seulement comme cause eüicace , mais comme force libre , qui peut et veut agir dans un but qu elle a déterminé. L’idée de la cause moi précède l’idée de la cause non-moi ; car rien ne précède l’idée du moi elle est le centre dont toutes les autres sont les rayons. C’est à la condition de l’idée du moi que celle du non-moi se manifeste; et l’homme, qui s’est d’abord trouvé lui-même, ne renonce pas sur-le-champ à cette découverte il la transporte et l’applique même au dehors de lui ; quand il aperçoit le non-moi, il le conçoitd’abord à l’image du" moi; il lui impose le caractère de cause intentionnelle. Le moi et le non-moi étant ainsi tous deux animés d’intelligence et de volonté, le rapport de réciprocité n’est pas d’abord ce qu’il devient par la suite il comprend l’action et la réaction de deux forces semblables. Dans ce point de vue, la vie, qui est toujours l’action et la réaction du moi et du non- moi , apparaît comme un combat entre deux intelligences , entre deux forces volontaires et libres. Voyez l’enfant accuser l’intention des objets extérieurs qui s’opposent à son action, et se retourner contre eux avec colère. Si de la conscience individuelle nous passons a la -conscience de l’humanité entière, c’est-à- dire de la psychologie à l’histoire, nous retrouvons les mêmes conceptions primitives. Quelle idée les Grecs se faisaient-ils de la nature extérieure, 46 SIXIÈME LEÇON. etcomnaent concevaient-ils la vie? A leurs jeux, la nature extérieure était libre, intentionnelle; la vie était la lutte entre deux forces animées. La puissance extérieure se réalisait pour eux eu dieux , en génies, en démons , etc. Si l’action de la nature était funeste, ils suppliaient cette divinité malfaisantesi elle était salutaire, ils rendaient des actions de grâce â cette divinité propice. C’est ainsi que l’Olympe se peupla de divinités supérieures ; c’est, ainsi que la terre , l’air, l’eau et le feu reçurent des dieux d’un ordre moins élevé, qui communiquaientdirectement avec les hommes; cest ainsi quau- dessus des dieux inférieurs et des dieux de l’Olympe, régnait le destin , non pas le destin aveugle comme le hasard , mais un destin intentionnel, marchant à un but précis , inévitable , parce qfi’aucune puissance 11e pouvait se soustraire â son pouvoir, fatal pour les dieux et pour l'humanité, mais libre en lui-niéme ; n’étant aveuglé et sourd que pour les larmes et les sanglots des victimes , ruais voyant et comprenant la lin qu’il s’était posée. Le combat contre ledes- tin était dortc une lutte d’une intelligence contre une autre intelligence. C’était une guerre facile à comprendre, et qui 11e m'anquait pas de noblesse, mente de la part de l’intelligence qui succombait. Chez nous, au contraire, au point de vue réfléchi de l’humanité , la nature extérieure est un ensemble de forces aveugles. Plus de dieux sous l’é- DU VRAI. 4? corne des arbres, dans le mouvement des Ilots, dans la coijrse des vents, mais des forces purement physiques, qui n ’ônt point conscience de leur action, et contre lesquelles la lutte serait sans dignité et la colère absurde. Cherchez dans le drame ancien l’idée que l’antiquité se faisait de la vie ; vous verrez que cette vie était elle-même un drame entre deux acteurs qui pouvaient se comprendre, entre deux libertés. INos critiques modernes, et Schlcgel à leur tête, ont déiini le drame antique une lutté de la nature aveugle et fatale contre la liberté. C’est une erreur, il ne peut y avoir d’actions entre deux, élémens, dont l’un est sans vie ce qui est fatal ne lutte pas, et on ne combat pas contre ce qui est fatal. Telle n’est pas l’idée qu’il faut se former de la tragédie antique ; elle était pour les Grées l’école de la vie. Us avaient prêté àlana-’ ture l’intelligence et la liberté , et ils en avaient fait ainsi un personnage dramatique. Mais lorsque la raison est venue arracher la liberté à la nature, détruire cette analog’e primitive qui nous fait transporter le moi dans le non-moi, la nature est devenue fatale, le destin s’est appelé hasard. Or, le hasard n’a pas d’intention , il accable sans vote loir accabler c’est une puissance aveugle , contre laquelle l’homme ne peut lutter avec dignité; le hijsard ne peut donc pas être un élément de la tragédie; c’est ce que n’a pas compris Sclilegel, SIXIÈME non plus que Werner, dans son œuvre intitulée Le Vingi-Quatre février. Cet auteur inet en scène une famille qui, à certain jour marqué, doit commettre un crime ; mais il no suppose pas de Destin qui veuille ce crime comme chez les Grecs, et contre, lequel on puisse s’indigner, lancer'l’imprécation , lutter enlin; un hasard incompréhensible plane sur cette destinée ; connue il n’a rien voulu, on ne peut rien lui reprocher, pas plus qu’aux forces inertes de la nature à l’attraction et à la répulsion. C’est pourquoi la pièce de Werner , qui prétendait donner une idée du système antique, est éminemment moderne. Dans Œdipe, un homme lutte contre le destin, mais ce destin est une force active et volontaire on peut le maudire comme tout ce qui est intentionnel, ou peut faire ellort, quoiqu’avec pen d’espérance, •pour changer ses résolutions. Les anciens luttaient donc jusqu’il la mort, et ils le pouvaient avec gloire ; nous, au contraire, d’après l’idée que nous nous formons de la nature extérieure, nous ne pouvons que nous résigner, et la résignation n’est pas dramatique. Tel est donc l’ordre de développement entre tous les élémens de la catégorie de cause i°la cause intentionnelle, qui est d’abord transportée du moi au non-moi ; 2° l a cause purement éllicace, mais aveugle’, à laquelle h* nature extérieure se trouve définitivement ramenée par le principe de DU VRAI. 49 causalité i ; 3° le rapport entre le moi et le non- moi, qui est d’abord un combat entre'deux forces libres, et ensuite un rapport entre la liberté et la fatalité. . Mais la catégorie de causalité n’épuise pas toutes les notions de l’intelligence humaine. Comment de l’idée de cause faire sortir celle du beau , du bien, du saint, etc..? Quelle morale , quelle religion , peut-on faire éclore du rapport entre le moi et le non-moi tel qu’il apparaît, soit chez les anciens , soit chez les modernes ? Je combats le non- moi pour quel motif? parce que je crains qu’il ne m’écrase. Je me résigne à son action pourquoi? parce que je ne puis la changer., car autrement je la modifierais pour mon utilité personnelle. Voilà donc toute la morale réduite à l’intérêt particulier. Cet objet me paraît empreint d’un caractère de beauté pour quelle raison ? Si je suis réduit à la catégorie de causalité , je devrai rechercher l’impression qu’il produit en moi j’y trouve une sensation agréable ; voilà donc la beauté réduite à l’agrément , et l’esthétique ramenée aussi à l’intérêt. J’assons à la religion comme il n’y a dans l’in- te higence que deux élémens i° la cause intentionnelle Unie, que je suis moi-même ; 2 ° lu cause aveugle, mais également finie que j’appelle le non- moi , il faut q Uü ] j eu soit l’une ou l’autre de I i ! " ez ’ Î^ ist °ire un u\ philosophie du dis-heitiéme SIÈcle, ", dix-iieiivièine leçon. philosophie / 4 5ü SIXIÈME ces deux causes, ou le- rappurL entre l’une et l’autre , et voilà Dieu ramené à la mesure du relatif et du fini. La catégorie de causalité, si elle était seule , rétrécirait donc le champ de l’intelligence humaine ; il nous faut en conséquence , pour retrouver tout ce qu’elle nous ravirait, nous réfugier au sein d’une idée plus vaste et plus complète. Nous avons démontré qu’il n’y avait point de catégorie de cause sans catégorie de substance ou d’être. Ces deux catégories se supposent, se pénètrent point de phénomène sans substance, de cause sans être, de multiple sans unité, d’événe- rnens sans temps , d’objets sans espace, de relatif sans absolu, de limité sans illimité, en un mot de fini sans infini. Nous avons distingué deux points de vue, ou plutôt deux mornens dans la conception de cause le montent spontané et le moment réiléchi. Nous aurons la même distinction à faire dans la conception de substance. Le point de vue réfléchi est celui du philosophe ; on peut dire que les sciences sont filles de la liberté, puisque l’attention n’est qu’une application de la liberté elle- même ; mais avant l’attention ou la réflexion, se développe la V ue spontanée. Primitivement, sous le moi , cause intentionnelle et finie, et sous la nature , cause aveugle 5 mais également finie, nous concevons un être, non pas positivement infini , mais dont nous ne pouvons assigner les limites, 11! V K A l. DI et qui est à 110s yeux plutôt indéfini qu’infini. Mais, à l’aide de la réflexion , tout s’éclaircit et se prononce. Cet être, d’abord si vaguement posé, se distingue nettement des causes finies , et apparaît comme ne pouvant pas avoir de limites, en un mot, comme absolu. La réflexion iie crée rien , elle ne fait qu’éclaicir l’idée de l’absolu était déjà dans le point de vue spontané ou primitif, mais elle y était enveloppée. C’est parce que l’humanité s’est endormie d’abord dans le point de vue spontané, quelle n’a pas dégagé sur-le-champ l’être absolu et infini des formes du moi et de la nature, et que, s’arrêtant à l’idée dé cause, elle s’est fait des religions incomplètes. Quand la réflexion se développe, sous le moi humain et sous la nature apparaît un être qui les contient tous les deux, et qui n’est lui-même contenu par aucun autre ; et ainsi se pose le fondement de la vérité complète et aussi delà véritable religion i. Revenons un instant sur nos pas, jetons un coup d’œil sur la route que nous avons déjà parcourue. Nous sommes partis des données actuelles de la conscience humaine , et sur les indications qu’elles oous ont f üuvn ies, nous avons essayé de ressaisir * ° n gine de ces données, c’est-à-dire l’état primi- 1 e i intelligence. Nous avons constaté que le piemiei fait de conscience se composait de deux f 7 j^ 0 ^ ez ^ RAGMEN5 philosophiques Du premier et, du dernier at dc conscience. pasfe 3 ;j ? et suiv . première éditiou. 4 - 52 SIXIÈME LEÇON. Siemens variables, et d’un troisième aussi réel que les deux autres, mais immuable c’est-à-dire du moi , de la nature extérieure, et de l'être universel et absolu. Nous avons dit que la philosophie se plaçait au point de vue réfléchi, et en conséquence débutait par la réflexion ; mais que la vie intellectuelle de l’humanité entrait en jeu par la spontanéité , et que la spontanéité et la réflexion ne contenaient ni plus ni moins d’élémens l’uneque l’autre. Donnons quelques développemens à cette proposition, et achevons de la démontrer. Le fait le plus clair et le plus approfondi auquel puisse parvenir la philosophie, c’est-à-dire la réflexion, c’est la conscience, immédiate , i° de deux ternies huis le moi et la nature extérieure, phénomènes variables, se limitant l’un l’autre ; 2 ° d’un être infini. L’aperception de ce dernier terme rend seule possible l’aperception du fini, comme à son tour la vue du l'un est la condition indispensable de la vue dé l’infini. Le premier comme le de rnier fait de la vie philosophique se partagera toujours pour nous en deux parties l’une renfermant le moi et la nature, en un mot, le fini; l’autre comprenant un troisième élément l’infini ou l’absolu, qui est le fondement et la raison ontologique des deux autres, et qui trouve ert eux l’occasion de son apparition dans l’intelligence humaine , ou si l’on veut sa base psychologique. Tout fait intellectuel réfléchi peut donc s’exposer sous DU VRAI. 53 cette formule pas de. fini sans infini, et réciproquement; et dans le sein du fini, pas de moi sans non-moi, pas de non-moi sans moi. Tel est le commencement et la fin de la vie philosophique. Mais avant celle-là est la vie humaine, la* vie non distincte, obscure, spontanée. La réflexion présuppose l’existence d’un objet sur lequel tombe la réflexion , et qui par conséquent - lui est antérieur i . Il semble contradictoire qu’un philosophe parle de l’état spontané car il ne peut le saisir qu avec l’instrument philosophique-, c’est-à-dire avec la réflexion , et la réflexion est destructive de la spontanéité. Mais cette difficulté n’est pas insurmontable u nous pouvons ressaisir le fait spontané par les inductions logiques les plus légitimes ; etde plus, nous le retrouvons dans notre mémoire au moment où il expire. Primitivement le moi, par sa force naturelle , accomplit un acte qu il n a ni prévu ni voulu ; dans cet acte le moi ne peut pas ne pas s’apercevoir lui-même, mais il se trouve sans se chercher. Dans l’acte réfléchi, non-seulement le moi agit, mais il veut agir ; il se cherche, il veut s opposer au non-moi; en un mot, il ne se'trouve Pffis seulement, il se pose. Te fait réfléchi contient apercepti 0n e t liberté, le fait spontané ne com- piend que l’aperception seulement. Le moi, en se trouvant hu-mêiue 5 trouve aussi la sensation qu il Vcvyez Fhagmens philosophiques Du premier el du dernier J unSciknàc . page 33g, â la BH première ëdi- 56 SIXIÈME LEÇON, l'individu- Quand nous disons que la raison révèle l'être , nous ne voulons pas dire que l'être n’existe que par la révélation de la raison nous parlerions plus philosophiquement en disant que l’être se révèle à la raison, ce qui impliquerait que l’être est antérieur à la raison. Nous remplissons aussi la troisième condition, c’est-à-dire que nous rendons compte de toutes les connaissances contingentes et absolues nous constatons que le moi se connaît comme une force libre, qu’il connaît le non-moi comme une force passive ; qu’il prend connaissance aussi des rapports entre le moi et le non-moi , et qu’il acquiert ainsi 1 idée de cause. Toutes ces connaissances sont contingentés, parce quelles sont relatives à des phénomènes contingens. Mais s’il n’y a pas de phénomène sans être, de propositions possibles sans unité, c’est-à-dire sans la révélation de l’être un et identique, la connaissance contingente elle- même suppose l’être ou l’absolu. Loin donc qu’on puisse tirer l’être absolu de l’idée-exclusive du moi ou de celle du non-moi , et expliquer ainsi la connaissance de l’être nécessaire, on doit dire que la connaissance contingente elle-même ne serait pas possible sanS l’être et sans la connaissance de l’être, ou si l’on veut de l’absolu. En reconnaissant la catégorie de l’être au sein de l’intelligence humaine , nous rendons compte fie toutes les connaissances contingentes et de Dll VH AI. 07 toutes les connaissances absolues. Nous avons donc répondu aux trois objections que les deux écoles exclusives laissaient sans réponse nous avons posé le moi et le non-moi; en posant limité de l’être, nous avons expliqué l’unité de conscience ; enfin, nous avons trouvé le contingent et l’absolu la connaissance contingente est devenue possible par la connaissance absolue, et celle-ci par l’existence antérieure de letre universel et identique. Letre se manifeste sous trois formes 1° le vrai, qui comprend la cause comme la substance ; 2 0 le beau; 3 ° le bien. Delà catégorie de cause l’esprit humain ne passe pas toujours clairement et explicitement à la catégorie d’être, et de là le paganisme et les fausses philosophies. Mais, quand il est arrivé à la catégorie d’être, il 11e peutpas 11e pas y renfermer la catégorie de cause, car elle fait partie du vrai ou de l’être. La catégorie de substance est donc plus compréhensive que la catégorie de cause, non pas dans le point de vue obscur et spontané où elles se pénètrent lune l’autre, mais dans le point de vue réfléchi. On va sans doute lancer contre cette doctrine accusation de mysticisme . nous reviendrons sur tous ce s développemens dans les leçons prochaines, et nous espi rons démontrer qu’il 11’y a rien de mystique dans l e système tue nous venons cl exposer. 58 SEPTIÈME LEÇON. wi»Miivwvvi'W^''vv%wWMMivi\mvummvwwuv\ SEPTIÈME LEÇON. Le moi , la nature et l’absolu sortt les trois éléritens dé Irf vie intellectuelle i. — Divers points le vue des écoles philosophiques point de Vue épicurien, point de vue stoïcien, point de vue platonicien, point de vue chrétien 2. — Différentes sortes de mysticismes qui peuvent naître de ces divers points de vue. Nous avons dit qu’il ne pouvait y avoir aucune proposition , ou pour mieux dire aufcun jugement, car le langage n’est que le rellet de la pensée y sans trois élémens constitutifs le sujet, l’olijet et l’étrè qui les réunit. En d’autres termes, il n’y a point de pensée sans le moi et le non-moi fini, c’est-à-dire sans une dualité phénoménale y et sans une substance infinie qui est leur condition d’existence. Nous avons reconnu que lé moi et le non- moi, soit pris séparément, soit pris ensemble, et envisagés dans leurs rapports réciproques, ne peuvent nous donner aucune conception dii vrai, 1 Voyez, Fbagmen» philosophiques > préface, pages xxxviij et xxxii.première édition. 2 Voyez ., philosophiques , religion , mj'sticisthc; stoïcisme , pages i83-j 88 iV/cm, nu vrai. 5g du bien , du beau. Nous avons dit que c’é§t sous ces dernièi'es formes que nous apparaît l’infini, car nous ne saisissons pas l’infini en lui-même. Le moi , le non-moi et l’être absolu , tels sont donc les élémens de la vie intellectuelle. La combinaison diverse, le mélange plus ou moins complet de ces trois élémëns, aux-dillèrentes époques dé la philosophie , nous donnera la vie intellectuelle telle quelle a été conçue par les différentes écoles. Nous obtiendrons ainsi quatre points de vue différais de la vie humaine. Si nous n’envisageons que les deux, élémens variables de la vie, le' moi et .le non-moi, .négligeant l’être ou l’absolu, dès lors toute la vie est dans le relatif, dans le rapport du moi avec la nature rien n’est vrai, rien n’est bien, rien n’est beau absolument ; il n’y a pour l’homme que le probable, l’utile et l’agréable; est bornée au point de vue terrestre, ou si l’on veut au point de vue d’Epicure. Si l’on reconnaît que le vrai, le bien , le beau , nous Sont donnés dans le moi et le non-moi, niais qu’ils n’en tirent pas. leur origine, On porte déjà ses regards hors des limites de la vie terres- bè. Mais si l’on s’arrête à ces formes sans pénétrer jusqu a leur fond commun, on n’est pas encore en possession j a v j e intellectuelle tout entière. n s est placé'.au-dessus du point de vue terrestre, mais on n est pas encore parvenu an point de vue 6q septième leçon. divin. Si de plus on confond le vrai et le beau dans le bien, on arrive au point de vue stoïque. Les stoïciens ne voulaient point qu’on s’occupât du vrai, cherché parles autres philosophes , du beau, réalisé par les poètes et les artistes le véritable artiste, le véritable philosophe, c’était pour eux l’homme de bien. Les stoïciens ne' dérivaient le bien ni du moi ni du non-moi, mais ils ne le rattachaient pas à l’être ou à l’infini ils étaient au-dessus du point de vue terrestre, mais ils auraient pu s’élever plus haut encore. Supposons donc qu’après avoir reconnu que ce n’est ni du monde extérieur ni du moi que nous viennent les idées du vrai , du bien , du beau, une philosophie plus élevée les rapporte à leur principe légitime, c’est-à-dire à la substance ab- solue dont elles sont les manifestations nous aurons le point de vue platonicien. Platon , comme Epieure, reconnaît que le vraisemblable, l’utile et l’agréable sont des modifications du MOI et du non-moi ; comme les- stoïciens, il reconnaît les trois formes éternelles, du vrai, du beau et dii bien; mais il n’enferme pas les deux premières dans les limites de la troisième , et, de plus , il remonte jusqu à l’être absolu, qui se révèle à nous parles trois idées absolues. Ces trois idées, suivant Platon, se concentrent en une sorte d’unité , qu’il appelle Xôyoç. Ce Xôyoç n’existe pas par lui-même, mais seulement dans son rapport avec la sub- DV VRAI stance absolue ,• dont il est la manifestation ou la forme visible, et il sert de médiateur entre l’homme et Dieu. C’est un poht jeté sûr l’abime qui sépare le moi phénoménal de l’être substantiel, le fini de l’infini, Le point de vue platonicien contient les précédons , et il y ajoute ; mais il n’embrasse pas encore toute la vie humaine. Platon, qui s est élevé aux plus sublimes hauteurs de la métaphysique, ne compose la vie que de raison pure . il n a- perçoit pas cette autre partie de l’homme , le sen tinrent, qui est le satellite fidèle de la raison. Ainsi tombe de lui-nrême le reproche fait à ce philosophe de se plonger trop avant dans le mysticisme, puisqu’il se renferme obstinément dans la lumière de la pure raison. . Il faut donc essayer de parvenir à un point de vue plus complet encore. C’est la raison , et la raison seule qui conçoit le vrai, le beau et le bien, et sous ces images, elle conçoit Dieu , . qu’elle ne pourrait envisager face à face sans en être éblouie. Par une loi de la nature humaine , en xénie temps que la raison conçoit l’une de çes xdées ? au jugement sévère et froid delà raison vient se .joindre un sentiment agréable, qui se n g e en un sen timent contraire dès que la xaison saisit l e contraire dix vrai, du beau et du W Ainsi le beau et le laid, conceptions abso- Ues de la raison , sont toujours acconipagnes de f>2 SEPTIÈME LEÇON. plaisir ou de peine, sentiment purement subjectif. Qu’un acte conforme à la loi du devoir s ! accom- plissesous nos yeux , non-seulement nous portons un jugement à ce sujet, mais encore nous éprouvons une émotion agréable. Si l’acte est notre ouvrage, le plaisir est plus vif- H en est de même quand nous saisissons le vrai outre le jugement qui nous avertit de notre découverte , nous ressentons une douce émotion, à laquelle; nous pouvons reconnaître que nous sommes dans le champ de la .vérité. Plus le beau est fidèlement reproduit, plus le bien était dillicile à réaliser, plus la vérité a coûté de peine, plus le sentiment de plaisir est profond ; mais tel est le rapport de la sensibilité et de, la raison , que même à la vue de la beauté la plus vulgaire , de la bonne action la plus facile, et de la vérité la plus simple, la sensibilité morale reçoit d’une manière immanquable le contre-coup de la raison. J’appelle du nom général d’amour et de liaine les. phénomènes de la sensibilité. Ces phénomènes - s’accomplissent à propos de toutes les conceptions intellectuelles, même h propos des connaissances - coptingentes. La sensibilité est une force d expansion ou une force de concentration. Ainsi que son nom même l’indique, la force d’expansion a pour but le monde, extérieur à la vue 4 ’00 objet-agréable, je sens aussitôt naître en moi le phénomène du désir, etlo désir est un be- DU VRAI. 63 soin si vil', qu’il ne peut quelquefois se satisiaire que parle mélangé le plus intime du moi et du non-moi. Ce besoin de l’union est uneloi souslaquelletombent tous les objets du désir, soit animés, soit inanimés. La force déconcentration est à la fois semblable et opposée k la première elle lui ressemble, parce qu’elle cherche à s’assimiler l’objet extérieur ; mais elle endillère en ce que, partant du moi comrne la force d’expansion, elle revient sur le moi. Dans 1 septième c’était là le poiirt de vue terrestre ou le point de vue épicurien. Secondement, l’homme s’est élevé à la conception du bien, dans lequel il a renfermé le beau et ' le vrai ; mais sans rapporter aucune de ces trois idées à leur fond commun , et sans développer ni haine ni amour ; c’eàt le point de vue stoïcien. Troisièmement, l’hoimme passé [des trois idées ïatiohnelles à la conception de l’être absolu ; mais, arrivé au plus haut développement de la raison, il a oublié d’y joindre l’amour c’est le point de vue platonicien. . ' Quatrièmement enfin, l’amour s ? est joint à la raison , et l’on a obtenu l’idée complète de la vie c’est le point de -vue chrétien. C’est pour avoir mal saisi ces dillerens points de vue quon s’est plongé dans le mystioisme, dont nous aurons à présenter plus tard la réfutation. Toutes les’ catégories ayant été réduites par nous à celles du phénomène et de l’être > nous présenterons l’histoire du mysticisme dans ses rapports avec ces deux idées, et nous aurons ainsi à examiner le mysticisme phé?iumenai et le mysticisme substentiel, ainsi que les sous-divisions auxquelles l’un et 1 autre peuvent donner lieu. JNous espérons montrer que la théorie complète de la' vie, telle que nous l’avons présentée, no ventre dans aucun de ces mysticismes. Ou s’est séparé dç toute doctrine mystique lorsqu’on a posé, comme nous l’avons fait, que ce n’est pas. la raison qui dérive du sentiment, mais le sentiment qui dérive de la raison. G8 HUITIÈME W*V\*V^\VV\V\\WWV\%A\V\\\V HUITIÈME LEÇON. La sensibilité joue le principal rôle dans tous les mysticismes. — Théorie de la sensibilité. — Parallélisme de la vie intellectuelle et delà vie sensible.— Vie réllé- chie, vie spontanée. Avant d’aborder la longue et dillicile histoire du mysticisme, nous-iivnns besoin de nous étendre sur l’analyse de la sensibilité, qui joueuusi grand rôle dans toutes les théories mystiques. Nous avons dit que la sensibilité est parallèle à l’intelligence tous nos jugemens se réfléchissent dans nos senti- niens ; et autant il y a de points de vue diüérens dans la - vie intellectuelle, autant il s’en trouve dans la vie sensible. Ce qui fait la dilliculté des recherches philosophiques, c’est la complexité des faits humains, complexité qu’il laut pourtant résoudre si l’on veut saisir ces faits avec clarté. Tout nous est donné il la fois; il i au t donc dissoudre par l'abstraction ce qui est composé dans la nature, et le problème que' nous devons nous proposer, c’est de séparer sans détruire, d’observer les détails, DU VRAI. 6 9 sans perdre de vue l’ensemble et le jeu simultané de toutes les parties. L’intelligence et la sensibilité sont unies dans la réalité ; il faut que nous les divisions, si nous voulons les connaître ; il faut morceler la vie pour l’étudier. Nous avons présenté d’abord le tableau de la vie intellectuelle toute seule, et nous l’avons fait saisir dans son double mouvement le mouvement spontané et le mouvement réfléchi. Le moi. n’est d’abord qu’une force de développement, qui se déploie pour ainsi dire en ligne droite, apercevant involontairement et confusément son action. Mais avec la faculté dé penser, il a aussi celle dé vouloir, c’est-à-dire la liberté de revenir sur lui-même, et de considérer sa pensée par la réflexion. Spontanéité, activité pure, eon- .science; liberté, activité volontaire, réflexion, telles sont les deux grandes formes de l’intelligence ; l’une n’est pas l’autre, mais la seconde sort de la première tout ce qui est dans le réfléchi se trouve dans le spontané. L’homme à beau faire reculer devant sa liberté les bornes des sciences humaines, jamais il ne dépassera les limites du premier acte vital, du premier fait spontané. 11 s’arrête à la borne infranchissable des élémens contenus dans la spon tanéité. En un-mot, l’homme ne voit ultérieure ment que ce qu’il a vu primitivement, mais la vue libre est claire et distincte, la vue spontanée est obscure et confuse. Le point de vue le plus élevé de la vie intellectuelle est la connaissance du rapport ÇO HUITIÈME LEÇON, qui rattache les idées absolues à l’être infini, c’est- à-dire à la source et au fondement de toute vérité, c’est la conception de l’être infini, par delà ses formes absolues. L’infini ou l’être est cet inconnu au delà duquel la pensée ne conçoit et ne cherche rien. La pensée ne peut ni comprendre ni imaginer letre lui-même, mais en deçà de l’infini sont les formes sous lesquelles il se révèle ces formes sont les idées du vrai, du beau, du bien. La raison humaine atteint et conçoit ces idées lorsqü’en les apercevant elle reconnaît qu’elle ne les constituepas, lorsqu’elle ne s’arrête pas à ces formes visibles, mais les rattache à l’être invisible et infini, qui est leur fondement, elle touche la dernière limite de la vie intellectuelle; elle est arrivée au plus haut point de la vie réfléchie. Mais entre les idées de beauté, de vérité,, de vertu, et l’être qui en est la substance, s’ouvre un abîme infranchissable ; car cette substance ne peut être conçue par la raison, qui conçoit seulement la nécessité de son existence. Elle sait qu’au delà decet abîmerésidé l’être absolu et infini, qui est la source et le fondement de toute chose, parce qu’il faut nécessairement que le beau , le vrai et le bien aient une origine et une base; mais c’est là tout ce qu’elle en sait. Ainsi, la raison humaine ne peut comprendre l’être infini elle n’en connaît queles formes pour ainsi dire visibles. Le dernier point de vue de la réflexion est donc que la raison sache quelle ne constitue pas le beau, le vrai et le bien en les DU VRAI. 7 1 apercevant, .que ce n’est pas l’homme qui crée la vérité absolue, le type idéal et éternel du beau, la loi souveraine du devoir ; niais que si ces trois idées sont immuables, c est parce qu elles sont le reflet de l’être immuable , étemel, universel, infini. Rappelezr-vous maintenant qu’il ne peut y avoir, dans ce point de vue élevé de la réflexion , rien qui ne se retrouve en germe au début de la spontanéité ; que le point de vue primitif et le point de vue ultérieur sont entièrement semblablesquant à leurs élémens, et que la seule différence qui existe entre les deux extrémités, c’est que l’une est claire, tandis que l’autre est obscure. Que trouvons-nous dans le dernier vue réfléchi? l’idée du moi, du non-moi et de l’être absolu. Or, nous avons vu qu’il ne pouvait pas se trouver un élément de moins dans le premier point de vue spontané ; car la pensée la plus vague contient un sujet, un objet , et une idée indéterminée de l’être. Entre le dernier terme de la réflexion et la spontanéité sont des points de’ vue réfléchis intermédiaires le premier est le point de vue du moi, du non-moi, et des rapports qui les unis- sent ou les séparent, rapports qui forment les lois de la pensée et les lois de la nature; le second point de vue ce ] u j o Uj pies nous être élevés au-dessus du coutingept, nous concevons le bien, le beau et le vrai, comme indépendans du moi et du On-moi ; le troisième, qui est le dernier degré 72 huitième leçon. de !a réflexion , rapporte ces idées absolues à leur origine dernière et fondamentale, àl'étre infini. Tout ce qui est dans l’intelligence se retrouve dans la sensibilité on peut aussi diviser en deux époques l’exercice de cette dernière l’époque spontanée et l’époque réfléchie ; et celle-ci, en trois momens parallèles aux trois momens de la vie intellectuelle réfléchie. De même que pour l’intelligence , il n’y aura rien* dans la sensibilité réfléchie qui n’ait été d’abord dans la sensibilité spontanée. Le dernier point de vue réfléchi de l’intelligence comprend l’idée du moi et du non-moi-, et la conception du vrai, du beau et du bien, rapportés à hêtre absolu le point de vue sensible parallèle développe des sentimens appropriés à chacune' de ces phases. Dans le point de vue intellectuel, je suis, et quelque chose existe hors de moi, puis, par un jugement delà raison, j’aperçois le bien , le vrai, Je beau , et je les rapporte à leur origine première et substantielle. Dans, le point de vue sensible, j'e suis heureux d etre un sentiment délicieux s’attache à la conscience de mon individualité; le non-moi .m’est agréable ou désagréable; la cou ceptiondu bien, du beau et du vrai est toujours accompagnée déplaisir, et la conception contraire produit toujours un sentimentde peine. L’intelligence, avons-nous dit, ne s’arrête pas aux idées absolues, elle aspire à la substance absolue. Nous savons IJ U VU AI. 7 3 * que le moi est un phénomène périssable , que souvent il vient à défaillir ; que le non-moi est instable et varie perpétuellement ; que les idées du beau, du vrai et du bien cessent d’exister, lorsque nous n’existons plus nous-mêmes , et nous sentons le besoin d un fondement qui ne périsse pas nous nous élevons jusqu’à letre où l’intelligence se repose en paix, et fait éprouver à la sensibilité le ravissement le plus durable. Le sentiment de plaisir , attaché à l’existenee du moi , ' est agité j parce que le moi est borné et périssable la jouissance causée par le côté agréable du non- moi est mêlée de regret et de crainte , parce que le non-moi est variable et borné , et parce que nous ne pouvons pas ne pas en recevoir quelque mal. L’émotion, suscitée par la vérité , la beauté , la vertu, est plus calme h la fois et plus vive ; mais toutes les sources de la sensibilité ne viennent à s’ouvrir que si nous arrivons jusqu’à l’idée de la substance, de l’inconnu au delà duquel il n’y a rien. Là est le calme absolu, le repos sans agitation , la joie sans mélange de peine. Mais nous ne faisons qu’entrevoir ces délices ; car, ainsi que nous l’avons dit, nous ne comprenons pas l’être lui-même , et nous ne concevons que la nécessité de son existence. Nous venons de voir l’intelligence rédéchie ac- ompagnée d un développement parallèle de la sen- Sibihté ; l’intelligence spontanée nous offrira le 74 HUITIÈME UEÇON. même spectacle. Qu’avons-nous trouvé dans le premier point de vue intellectuel ? le moi , le non- moi, et la conception vague de l’être. De même dans le premier mouvement de la sensibilité, un plaisir confus et indéterminé s’attache S chacun de ces trois termes.. Ai nsi, l’çnfant est satisfait d’exister; le monde extérieur lui agrée ou lui déplaît ; l’enfant sourit où pleure aux objets de la nature, et le sentiment. agréable de l’êfre en général traverse, quoique d’une manière fugitive , sa frêld* organisation. Tel est le point de vue primitif sensible dans son parallélisme avec le point de vue primitif intellectuel. Pour mieux constater le progrès parallèle de la raison et de la sensibilité, reprenons les points intermédiaires qui se trouvent sur la route, depuis le premier éveil spontané, jusqu’au terme final de la réflexion. Le vrai, le bien et le beau ne sont que des formes de l’infini qu’aimons-nous donc en aimant la vérité, la beauté et la vertu ? nous aimons l’iniini lui-même. L’amour de la substance infinie est caché sous l’amour de ses formes. C’est si bien l’infini lui-même qui vous charme dans le beau , le bien et le vrai, que ces manifestations ne vous suffisent pas. L’artiste languit à la vue de ses chefs-d’œuvre il aspire a s’élever plus haut. L’bovnme de bien et le philosophe se dégoûtent de leurs, vertus et de leurs vérités imparfaites. Tant que l’infini n’est pas atteint, l’amour n’est DXT VR/VI.' 70 pas satisfait. La vérité est un intermédiaire qui sépare le philosophe de l’être absolu, comme la nature extérieure est un obstacle qui sépare l’enfant de l’être des êtres ; mais c’est à la substance infinie que tend le philosophe à travers la vérité ; de même c’est à la substance infinie que l’enfant aspire, sans le savoir, à travers les phénomènes de la nature. L’enfant ne s’élève pas de prime-abord aux idées de beauté , de vertu et de vérité ; il s’attache aux formes sensibles ; il s’arrête au monde extérieur, qu’il prend pour l’Etre lui-même; il sourit à la nature ; il se joue sur le sein de sa nourrice qui le regarde avec compassion et le laisse dans cette heureuse ignorance. Mais bientôt ce inonde extérieur ne peut contenter ses désirs la rose qu’il a aimée lui devient indiflêrente ou lui' déplaît ; il l'effeuille , la sème sous ses pieds, et court à d’autres plaisirs; il espère trouver dans cette nature, infinie h ses .yeux, quelque bien où se reposera son amour. Mais la réflexion arrive , elle détruit ses illusions et son innocente espérance il comprend que la nature ne peut pas lui donner ce qu’elle n’a pas , et qu’elle n’est point ce qu’il désire ; il la dépassé ; il tend volontairement ;m même but vers lequel l’entraînait une tendance spontanée;, sa fin est la même, mais il 1 ignorait l’heure, et maintenant il la connaît. L amour dans l’enfant est pur parce l u 11 est spontané il ^ répand tout entier s ’jb huitième leçon. l’objet agréable; sa sensibilité ne se partage pas elle se déverse sur le non-moi , sans retour sur le moi. La sensibilité spontanée ne se divise pas en expansion et en concentration cette division ne s’accomplit que dans le point de vue réfléchi. Ainsi l’enfant aime l’objet extérieur Sans s’aimer lui-même c’est l’amour désintéressé; mais ce n’est pas le dévoûment, car on ne se dévoue pas quand on s’ignore. L’amour innocent, tant qu’il se méconnaît lui-même, perd son innocence, quand il commence îi se connaître. Dès que la réflexion prend naissance , la force sensible se divise , et une moitié revient sur le MOI il y a concentration. L'amour de l’objet extérieur s’affaiblit ou s’envole ; tel est le sens nie la poétique fable de Psyché. Tant que Psyché ne connut pas son céleste amant, sa joie noeenteet vive ; mais dès qu’elle approcha sa lampe, l’Amour s’envola, et son. bonheur se perdit avec son innocence.. En passant de la spontanéité à la réllexion, l’amour cesse d’être un, et par conséquent d’être pur le, moi , qui se négligeait lui- même dans la spontanéité , se prend, dans la réflexion , pour l’un des termes de son amour. La réflexion enfante f égoïsme , mais elle peut enfanter aussi le dévoûment. A peine sommes-nous arrivés à ce premier degré de la réflexion où le moi revient sur lui-même , que nous le franchissons , et nous élevons à l’amour du beau , du bien et du DU VRAI. 77 vrai la sensibilité reprend ici .une partie de sa pureté et de sa vivacité première. Ce .second degré est franchi encore , et nous arrivons au troisième aspect de la réflexion, à ] amour de letre infini. Mais, à ce dernier terme, l'amour n’a pas d’autre but qu’à son origine ; car c’était l’infini qu’il cherchait d’abord sans le savoir. A travers .les formes finies , l’enfant déjà poursuivait l’infini ; à travers le moi et le non-moi 7 la reflexion poursuit les idées absolues, et à travers les idées elles- mêmes , elle aspire à la substance infinie. La vie intellectuelle et la vie sensible ne sont donc qu’une marche vers l’infini. La raison conçoit l’infini dans le fini; l'amour tend à l’infini par le fini. La raison et l’amour sont les deux grandes formes de la vie humaine quand la vie s’arrête au sein de la spontanéité , elle est belle et pure ; quand elle arrive sur le seuil de la réflexion , elle se dégrade, si elle ne passe sur-le-champ à la conception de l’idéal, et de la conception de l’idéal à,celle de la substance infinie. Arrivée à ce terme, elle reprend sa pureté et sa beauté première. Comme l’amour et la raison constituent la vie humaine, ils constituent aussi la religion et l’art, , - V *~*£>*-^ . A» J qui sont les expressions de cette vie. Je m’explique raison conçoit l’infini; l’amour aspire à l'infini qu y a-t-il de p , U; ni con ception, ni religion. L’art n , iryme*s ele; l’ieleh*? La philoso- 1 U VRAI. 99 phie du sentiment est donc incomplète , fausse et illégitime incomplète, en ce qu’elle fait abstraction d’un phénomène aussi certain que celui qu’elle reconnaît ; fausse, eu ce qu’elle attribue au sentiment un rôle qu’il ne peut remplir ; illégitime, en ce qu’elle parle du'vrai , du bien et du beau , qu’elle est condamnée à toujours ignorer. Cette philosophie appelle cause substantielle l'objet idéal de l’amour ; mais comment l’amour a-t-il pu fournir l’idée de cause- et l’idée de substance ? Jaeobi avance que la cause substantielle est une révélation dit sentiment sans aucun doute l’être substantiel nous est révélé, n’est pas par l’amour ; la révélation de l’être absolu se fait à la raison et sous les formes du beau, du vrai et du bien. De deux choses l’une ou il faut anéantir la substance, ou il faut y ; si vous l’anéantissez vous vous mettez en contradiction avec le genre humain et avec vous-même, car tout parle de substance, et le moindre de vos mots en fait l’aveu si vous la conservez et que vous veuillez y arriver par une voie légitime , n’en laites pas un objet de sentiment, mais tout à la fois un objet de raison et d’amour ; ne la soumettez pas à une faculté subjective?, variable d’individus à individus. Que Vous partiez du moi. p ar 1 analyse pour vous élever jusqu’à Dieu, ou q\ie vous partiez de Dieu pour redescendre par la synthèse jusqu’au moi, vous trouverez toujours la 7 - IOO DIXIÈME LEÇON. raison comme un . anneau indispensable de la chaîne le moi aperçoit dans sa conscience le sentiment avec la raison ; la raison lui révèle la vérité , la beauté et la vertu, et. sur ces trois formes il s’élève à Dieu ; dans l’ordre contraire , Dieu est au point de départ, il se manifeste sous trois idées ; ces trois idées s’adressent à la raison , la raison éveille le sentiment, et l’un et l’autre se confondent dans la conscience ou dans le moi. La philosophie de Jacobi est donc illégitime , car toute philosophie qui laisse de côté une réalité importante , n’est pas une vraie philosophie. Nous avons commencé aujourd’hui le tableau du mysticisme dans son excursion au delà des phénomènes la prochaine fois nous achèverons cette histoire. DU VRAI. IOI ONZIÈME LEÇON. Continuation du même sujet. Dernier degré du mysticisme relatif à la substance tentative de contempler l’être infini, par-delà les idées du vrai, du beau et du bien. — Plotim — Fénelon , quiétisme. Nous avons distingué trois degrés dans La vie intellectuelle et sensible, c’est-k-dire, dans la vie humaine i 0 l’aperception de l’homme et de la nature, avec une conception vague et indéterminée de l’être ; 2 ° l’aperception de la beauté, de la vérité et de la vertu conçues en elles-mêmes ; 3° la beauté, la vérité et la vertu rapportées à leur origine première, c’est-à-dire à l’être absolu. Ne croyez pas cependant que l’être, qui dans le premier degré enveloppe l’homme et la nature, qui dans 1 second comprend la beauté, la vérité et la bonté, apparaisse toujours à la raison avec la même clart£. Primitivement nous concevons surtout le phénomène en lui-même, nous ne le rapportons que vaguement et implicitement ï\ l’être 102 ONZIÈME absolu. La vin, à son premier degré, n’ost guère pour nous qu’une dualité phénoménale, ainsi que nousl’avonsdéjàdit, ou, en d’autres termes, unevue du moi et du non-moi, plus une conception obscure, de la substance. Dans le deuxième degré nous entrevoyons bien le rapport de la vérité, de la bonté et de la beauté, avec l’être absolu; mais l’être n’est encore aperçu qu’indistinctemont sous ces formes qui le dérobent tout en le manifestant. Ce n’est donc qu’au troisième degré que la substance est conçue avec clarté. Mais aucun degré de la vie n’est .rivé de l’aperception de l’être ' c’est la substance entrevue ;'i tous les degrés qui forme ce que j’appelle l’unité de la vie. La vie n’esi. qu’un développement, et cette expression indique, que-tous les élèmens de 1 état de maturité étaient déjà contenus dans le germe; la vie est donc une en même temps que diverse. Si l’homme, dans les diliërens états et aux diverses époques de sa vie, s’attache plus spécialement, soit au moi et à la nature , soit aux formes absolues, soit enfin à l’être absolu lui-même, il n’y a pas pour cela de séparation complète entre chacun des degrés de la- vie humaine. Puisqu’il y a unité dans le développement régulier de l'humanité, il y a aussi unité dans Je développement erroné que nous avons appelé mysticisme. Le mysiicisiiie peut êtré^défini-d’une manière générale ] l prédominance accordée au sentiment. Tout en aspirant vers l’être infini, le DU VRAI. io3 sentiment pourra s’arrêter d’abord aux phénomènes , ou bien aux idées absolues; enfin, il essaiera d’atteindre directement et immédiatement à l’être lui-même. Le mysticisme aura donc trois degrés correspondant aux trois, divisions de la vie intellectuelle, mais qui garderont toujours entre eux une sorte d’unité. $ous avons décrit le mysticisme du premier degré ou le mysticisme phénoménal; nous avons montré comment il donnait au json-moi tous les caractères du moi ; nous sommes passés ensuite au mysticisme du second degré , à celui qui prétend atteindre par le sentiment les idées absolues' du beau,. et du vrai; il nous reste-à suivre le mysticisme jusqu’à sa plus haute élévation ; en d’autres termes, il nous reste à le considérer dans son rapport avec le troisième point de vue de la vie intellectuelle c’est ici surtout que se montre toute sou ambition, tous ses dangers, et nouspoumous presque ajouter tout son délire ; et cependant *ce dernier degré de mysticisme, quoiqu’il puisse être évité, a encore sa racine dans la nature humaine, comme il est facile de le montrer. Quand nous sommes arrivés sur les hauteurs des idées absolues, quand nous-avons dépassé la sphère sensible et terrestre, un horizon plus vaste se déroule à nos yeux à l’agréable succède le beau, au probable le vrai, à l’utile le juste; mais la. scène devient plus grande et plus majestueuse encore lorsque, tourmentés de cette 10/f ONZIÈME LEÇON. inquiétude qui ne nous permet de nous reposer nulle part, nous aspirons à percer les formes de l’absolu, et h pénétrer jusqu'au fondement de tout ce qui existe. L’homme voudrait pouvoir contempler .l’être face h face mais il n'e lui a été donné que de concevoir la nécessité de l’infini, et non d’en comprendre la nature. L’imagination a beau s’échauffer et se travailler, en vain elle redouble et multiplie le fini, elle ne se fait jamais une image de l’infini. Maisla sensibilité, plus impatiente^ que la raison, aspire à la contemplation de l’être, que la raison renonce à contempler. La sensibilité excite la raison à connaître ce qu’elle doit ignorer; la raison reste en arrière,. l'imagination seule se met en ayant, et delà le mysticisme le plus-élevé, mais aussi le plus déplorable; de là ces méthodes extatiques, inventées pour satisfaire ce besoin d’aperception immédiate, et calmer les agitations delà sensibilité. Il faut en prendre son parti jamais l’homme ne pourra connaître la substance infinie qu’il s’arme donc d’une énergique fermeté pour résister au désir d’une sensibilité aveugle, et qu’il rejette tous ces procédés extatiques qui no satisfont la sensibilité qu’aux dépens de la raison; que l’homme consente à être homme le moi , le non- moi et leurs rapports, le. vrai’, le beau et le bien comme idées absolues et formes d’un être invisible et infini, voilà ce qu’il lui a été donné de connut- 1U VH AI. IOO tr-e; qu’il ne veuille plus haut, sous peine de tomber, au-dessous de lui-même. Au reste, je le répète, ce besoin d’apercevoir l’inlini est naturel k l’humanité ; il n’est point de philosophe qui n’ait tenté de parvenir à l’intuition immédiate de l’être ; j’aurais même mauvaise opinion de celui qui n’aurait' pas lait cette tentative. La philosophie n’est pas. philosophie si elle ne touche à l’abîme; mais elle cessé d’être philosophie si elle y tombe. Parmi les philosophes qui ont eu la prétention dé saisir directement l’être absolu au lieu de concevoir seulement la nécessité de son existence, les uns, comme nous le voir, ont voulu réaliser cette' entreprise par le sentiment, les autres par la raison. .Nous - avons montré que le sentiment est tout-à-fait incapable de nous mener à 1 absolu si je veux conclure de ma sensibilité à l’être infini, je conclus du moi à cç qui n’est pas moi , du’ variable à l’invariable*,' du contingent au nécessaire, en un mot, pour parler le langage philosophique, je subjective l’objectif. Une fois reconnue l’impossibilité d’apercevoir l’absolu par le sentiment, on a eu recours à la raison. Nous avons vu comment 1 homme s’aperçoit qu’il y a autre chose que du variable et du contingent dans ses connaissances ; comment il ne peut se refuser à la conception des idées de bien, de beau et de vrai-; comment il est contraint de rapporter ces idées à un être substan- JOfi OSZlKMIi tiel dont i] conçoit, l'existence sans en comprendre la nature ce n’est pas ainsi que procède le ibys- ticisme rationnel ; il accorde bien que ce n’est pas le sentiment qrii conçoit l’être, mais il suppose que la raison l’aperçoit face h faceabstraction faite des formes du vrai, du beau et du bien, et qu’elle le prend,, pour ainsi dire, corps à corps. Plotin, chez les anciens, et quelques-uns des mo’dernes ont réalisé ce mysticisme, rationnel. Plotin y mêle cependant un peu de senti ment non-seulement, dit-il, j’aperçois immédiatement l’infini, mais quelquefois encore je le sens. Le système du mystique d'Alexandrie se distingue encore par un autre point de vue qui lui est particulier ; aux yeux de Plotin, la pensée de l’homme est elle-même l’infini ; quiconque de sa pensée a conscience de l’infini il n’est donc pas surprenant que l’Alexandrin ait pré tendu voir l’infini face à face. Mais indépendamment de oette pensée infinie et absolue, il distinguait une autre pensée contingente, qui se dessinait pour ainsi dire sur la première, et qu il fallait traverser pour arriver à l’infini la première était le moi absolu , la seconde le moi contingent. Plotin prétendait donc apercevoir immédiatement l’infini ou Dieu eu lui-mênte; voilà pourquoi i regardait son éine et son corps- comme le temple de Dieu ; voilé pourquoi il disait qu’il y a eu nous des pensées divines, et parce mot il n'entendait pas des pen- DU VRAI. . io 7 sées qui ont rapport à Dieu, ou qui nous sont inspirées par lui., car nous aussi nous croyons qu’en ce dernier sens il y a en nous des pensées divines; mais il entendait qûe nous portions Dieu en nous- mêmes, et qu’ainsi Dieu nous parlait sans intermédiaire. Nous rejetons en conséquence le mysticisme de Plotin, parce qu’il ne nous est donné de concevoir l’être que sous ses formes • absolues du vrai , du beau et du bien ; mais nous le regardons comme moins dangereux que le mysticisme sentimental, parce qu’il lie détruit pas la loi-du devoir, qui nous oblige à la recherche de la vérité et de la beauté, et à la pratique de la vertu. Le mysticisme sentimental, s’absorbant tout entier dans le sentiment dp l’être, se contente de Ltdo- rer’et renonce à l’action il-néglige l’accomplissement du devoir , l’étude de la vérité, et la reproduction du beau. L’art h’est plus que l’adoration de l’être intini, la logique que la contemplation de Dieu , la morale qu’une résignation entière aux passious. Tel est le tableau de ce dangereux mysticisme qifon .appelle quiétisme, et dont quelques lettres de Fénelon sont malheureusement entachées. Sans entreprendre un combat en règle contre la doctrine de ce grand homme, je me contenterai de faire observer qu’elle est. en contradiction ;i\ec la lin du deyoïr- Dette loi moblige, non dabandonner l’empire de 108 ONZliiMli LEÇON. » • •> aux passions, ni de leur opposer une résignation inactive, mais de les abordée franchement et courageusement, de les combattre et de les vaincre- elle m’ordonne, en un mot, de mettre la sensibilité sous le joug , et de préférer les conceptions pures et calmes dé la raison aux mouvemens aveugles et impétueux du sentiment. Sans doute si quelquefois la raison nous conseillait de céder aux plus violentes de nos passions , pour les laisser s’user elles-mêmes, si elle nous disait Vous pourriez combattre, mais vous succomberiez; laissez donc la passion vous déchirer les entrailles; gardez-vous seulement de la laisser échapper au dehors, de lui laisser produire des ellèts extérieurs elle s’épuisera par l’excès même de sa violence, et vous rentrerez sous mon empire; sans doute alors la résignation serait légitime, parce qu’elle émanerait de la raison ejlc-même. Mais la raison donne-t-elle jamais de tels conseils? Ne serait-il pas moins. convenable à la dignité humaine do céder par prudence à la passion que de la combattre avec courage? La résignation conseillée par la raison serait déjà peu glorieuse pour l’homme; que dipons-notis donc si, n’écoutant jamais que de la sensibilité, tranquille au sein d’un honteux repos, il laisse. toutes ses passions se développer paisiblement'sans essayer de les cohibattre?. N est-ce pas courber la liberté de l’homme sous la fatalité de la nature? nü VRAI. 109 Maintenant que nous avons exposé les dangereuses erreurs du mysticisme, on peut reconnaître comment il se distingue de la doctrine que nous ayons professée. Nous admettons que la vie lmmaine, c’est-à-dire cette liberté douée de raison et d’amour, se renferme d’abord dans le point de vue du moi et du non-moI, avec une conception vague de l'être absolu ; que bientôt elle s elève aux idées absolues de vrai, de beau et de bien, et qu’enlin elle rapporte ces idées à un être substantiel, premier et infini, dont 611e conçoit l’existence, et dont il lui est interdit à jamais de comprendre l’essence. 11 n’y a dans tout ceci ni personnification de la nature extérieure , ni invocation , ni •évocation des forces contingentes, ni surtout tentative de contempler ou de sentir l’être infini sans voile et sans obstacle. .Entre le moi libre, phénomène individuel et fini, et Dieu, substance absolue et infinie, existe un intermédiaire qui nous apparaît. sous trois formes le vrai, le beau et le bien c’est- par ce médiateur seulement que nous arrivons à la conception de Dieu ; le seul moyen qui nous soit offert pour nous élever jusqu’il l’être des êtres, c’est de nous rendre , le plus qu’il nous est' possible , semblables au médiateur, c’est-à-dire de nous consacrer à la recherche de la vérité, à la reproduction du beau, êt surtout à la pratique du bien. I IO > DOUZIÈME LEÇON. ' l vvv v\ivw "vvw n uwihiva v\vmwvwWM vvyt'wyvvwYvv^ wv DOUZIÈME LEÇON. Problème de in vérité absolue i.— pour le résoudre •. partir de l’état primitif de l’intelligence et descendre à l’état actuel , ou partir de l’état actuel et remonter à l’état primitif. -— Là seconde méthode est préférable 2. —Du critérium relatif de la vérité au de la nécessité. — Du critérium absolu de la vérité ou de son unit ersalité et tfe son indépendance 3 . INious avons franchi les divers degrés dont se compose la vie intellectuelle ; nous avons l’ait remarquer les diversités qui les distinguent, et l’uni té cpii se cache sous cctj apparentes diversités. L’un de ces 'degrés est lit couception des idées absolues du vrai, çlu beau et du bien mon but maintenant est d’approibudh' ce point de vue. 1 Voyez, F fi *r, mkn s i' programme de 1818, pages îli'àf »G 4 première édition. s Voyez, Fhagmen* 1 ujlosopiiiulbs, programme de 1817, pages a»8 et 22i it VH AI. I I I Les irois idées absolues peuvent se comprendre* sous le litre général .de vérité absolue le beau c'est le vrai sous des formes visibles, le bien c’est le vrai transporté dans les actions humaines. Pour qu’il y ait de 1 absolu dans les beaux-arts etdaiisla morale, il faut quil y ait de la vérité absolue. La question de l’absolu, en métu- pbysique, doit précéder la question de l’absolu dans les arts et dans la morale, et nous devons commencer par ce problème y a-t-il ou ny a-t-il pas de la vérité absolue? Quelle niétlipde employons-nous dans cette recherche ? iNous avons à ménager non-seulement l’intérêt delà vérité, mais encore l’intérêt de la science, e’est-à-dire qu’il ne nous convient pas de rencontrer la vérité par hasard , et comme par une sorte de bonne fortune, mais que nous devons parvenir à la vérité par des procédés scientifiques, par ce que nous appelons une méthode. 11 y a deux méthodes usitées en philosophie pour étudier les faits de l’entendement l’une les prend à leur origine, cherche ce qu’ils ont dû être primitivement, et passe de là à leur état actuel; l’autre étudie d’abord l’état actuel, et de là remonte à l’état primitif ; elle essaie de connaître ce qui est, avant de se demander ce qui a pu être- L état primitil est loin de nous nous ne pouvons plus le ramener sous nos yeux et le ^soumettre a notre observation; l’état actuel, au contraire, est I I 2 DOUZIÈME toujours à notre disposition il nous sullit de rentrer en nous-mêmes, de fouiller dans notre conscience, et de lui faire rendre tout ce qu’elle contient. La méthode qui commence par l’étude du primitif ne peut pas étudier cet état, puisqu’il n’est pas h sa portée, et qu’il n’y a pas de commerce possible entre le. présent et le passé. Que lui reste-t-il donc à faire? C’est de construire des hypothèses, de s’appuyer sur ces hypothèses comme sur quelque chose de réel, et d’en tirer des conséquences qui ne pourront être qu’hypothétiques. Voulons-nous donner à nos recherchés un fondement solide, réel, inébranlable, ayons recours à la seconde méthode établissons-nou* Lus l’état présent, et cet étal bien éclairci , paSSOUS , -s’il est possible, h 1 état antérieur; Quand nous aurons constaté le caractère que possède aujourd'hui tel ou tel phénomène de eoriscieneé, nous chercherons quel a dû être son caractère primitif; puis, lorsque nous tiendrons les deux extrémi tés delà chaîne, nous pourrons songer à saisir les anneaux interi nédiaires nous nous occuperons du passage de l’état primitif h l’état actuel. Cette méthode est la plus sûre, elle répond 'a celle qud l’on suit dans les sciences d’observation. Comme elle part d’un principe certain, incontestable, elle n’est pas exposée à errer d’hypothèse en hypothèse; Si,. en remontant vers l étal primitil, elle se jette dans quelque fausse spéculation, si elle se trompe en décrivant la Iran- DU VRAI. 113 sition du primitif à l’actuel, ses observations sur l’état présent n’en sont pas moins légitimes. Nous pourrons ou réparer ses erreurs, ou les rejeter , et nous en tenir à ses véritables découvertes, à celles qui regardent l’état présent de nos connaissances. Nous appelons vérité absolue une vérité indépendante de toutes les circonstances de temps et de lieux, et dont le caractère fondamental est l’universalité toute vérité universelle est une vérité absolue. Outre ce caractère fondamental , c’est-à-dire, l’universalité et l’indépendance, l’ai>- solu en a un second par rapport à l’intelligence, c’est la nécessité ce caractère est donc simplement relatif. Les vérités absolues sont à la fois universelles et nécessaires ; universelles en elles-mêmes, nécessaires relativement à l’intelligence. On a donné au premier caractère le nom de critérium absolu , et au second le nom de critérium relatif. Nous allons vérifier d’abord le second caractère y a-t-il actuellement pour nous des vérités nécessaires? Adressons-nous au géomètre peut- il , suivant son caprice, croire ou ne pas croire aux vérités mathématiques? Ces vérités sont-elles nécessaires ou contingentes ? Si nous interrogeons le métaphysicien, ne nous parlera-t-il pas de notions marquées du caractère de nécessité ? Prenons un exemple commun à la métaphysique et à la géométrie le géomètre et le métaphysicien ne PHILOSOPHIE. I I /J DOUZIÈME LEÇON. reconnaissent-ils pas l'existence d’un espace pur , dont ils 11 e peuvent rejeter la notion, ou regardent-ils l’espace comme une liction de l’esprit, avec laquelle ils peuvent jouer à leur gré ? 11 est hors de doute que les géomètres et les métaphysiciens croient à un espace éternel et sans bornes, indépendant des corps qui se meuvent dans son sein , et qu’ils avouent en même temps la nécessité où ils sont d’y croire. La notion de l’infini n’est-elle pas aussi admise par la géométrie et la métaphysique , et ne regardent-elles pas cette notion comme nécessaire? Enfin, l’idée de temps ne leur apparaît-elle pas encore comme marquée d’un caractère de nécessité ? Peuvent- elles h lour gré allirmer ou nier l’existence du temps ? Ainsi nous avons déjà suflisapuuent constaté la réalité du critérium relatif de la vérité, et cependant nous n’avons encore emprunté à la métaphysique que des notions qui lui sont communes avec la géométrie. Parmi celles qui lui sont particulières se trouvent le principe de substance et le principe de causalité nous est-il possible de comprendre une qualité sans sujet, un phénomène sans substance ? Concevons-nous la forme sans quelque chose de formé , la pensée sans quelque chose qui pense ? Si nous ne pouvons pas nous prêter à de pareilles suppositions, nous sommes donc en droit de regarder comme nécessaire la notion de substance ? N’est- OU VRAI. I l5 il pas vrai, d’tme autre part * que, si nous voyous un phénomène commencer d’exister, nous sommes irrésistiblement portés à croire que ce phénomène a une cause?Car, comme nous l’avons dit, le vrai comprend à la Ibis la catégorie de substance et la catégorie de cause. De lai métaphysique descendons aux pratiques de la vie tout le monde au récit d’un événement n’est-il pas curieux d’en rechercher la cause, et le sceptique le plus hardi n’admet-il pas comme le'vulgaire le principe de la raison sullisante ? Ces exemples sulliseut pour constater le critérium relatif de la vérité; occupons-nous maintenant du critérium absolu , toujours sans dépasser les limites de l’actuel. L’espace, le temps, l’iniini, la substance, la cause, tout cela nous apparaît-il uniquement comme idée nécessaire, ou comme objet subsistant par soi-même et indépendant de notre esprit ? Ne faut-il pas reconnaître que si nous ne pouvons nous refuser à de pareilles notions, les objetsde ces notions sontindépendans des idées qui les représentent*, et après avoir compté des connaissances nécessaires, ne faut-il pas admettre des vérités absolues? Tel est le critérium absolu de la vérité. Quand l’objet peut subir cette epreuve, se dégager pour ainsi dire des liens de 1 esprit et subsister eu dehors de l'intelligence, il passe de létat de notion nécessaire à celui de vérité universelle ; il a su bi l’épreuve du crité- 8 . ^CïBL'.OTHEK der H. iCH I I G DOUZIÈME LEÇON. rium absolu. Deux philosophes, Reid et Kant, ont proclamé des principes absolus ; mais ils ont fait reposer le vrai sur l’impossibilité où nous sommes de le rejeter. C’est faire tomber l’absolu dans le relatif ; d’après leur théorie, rien ne m’assure que la vérité ait une existence propre et qu’elle soit hors de notre esprit. Ces prétendus principes absolus ne sont plus que des formes du moi , des .lois de l’entendement, c’est- à-dire , des notions subjectives, qui doivent aboutir infailliblement au scepticisme. Ainsi la métaphysique, réduite par le sensualisme de Locke à de simples notions contingentes , élevée par les philosophes allemands et écossais jusqu’aux notions nécessaires, n’a cependant pas dépassé les limites d’un critérium relatif ,J et est retombée avant d’atteindre le critérium absolu , qui se cache sous le premier ; il ne fallait cependant qu’un léger ellort de plus pour le dégager et le mettre en lumière. Nous avons vu dans cette leçon la méthode que l’on doit suivre pour les recherches philosophiques ; elle consiste à opérer sur l’actuel comme le physicien , à l’épuiser en lui faisant produire toutes les conséquences qu’il peut engendrer, à n’aborder le primitif qu’après l'analyse complète de l’actuel, et à jeter ensuite un pont entre ces deux rives, entre le présent et le passé. Appliquant cette méthode à l’étude de la vérité ab- nu VRAI. "7 sol lie 1 , nous avons fortement séparé, la question de son état actuel dans l’intelligence d’avec la question de son origine et de sa génération ; n’abordant que la première question , nous avons essayé de montrer qu’il J a des notions nécessaires , et de plus des vérités indépendantes de la notion que nous en possédons, et que si le caractère de nécessité est le critérium relatif ou subjectif de la vérité, l’indépendance et l’universalité forment son critérium absolu. I I 8 TREIZIÈME LEÇON. W HHVHVX VVViW'' V v %WVV\ V\VWVW WWVWWwi wu\t TREIZIÈME LEÇON. Nécessité d’une bonne méthode en métaphysique. —Vé-' rites contingentes, vérités nécessaires. — La nécessité est le signe de l’absolu i.— Avant la croyance nécessaire est l’aperception pure de la vérité 2 . —Raison spontanée, raison réfléchie. — La vérité absolue est en dehors de toute démonstration. — Elle fait son apparition dans l’homme et dans la nature, mais elle n’est ni l’un ni l’autre , c’est une manifestation de Dieu. — Impossibilité de l’athéisme 3. Je devais dans cette leçon passer des caractères actuels des connaissances humaines aux caractères primitifs de ces connaissances, c’est-à-dire , entrer dans un des problèmes les plus dilliciles de la métaphysique ; mais comme je n’ai pas parcouru dans tous les sens la sphère que je me suis 1 Voyez. Fragmens PufLosopmouEs > programme de 1818, page 2G9. 2 Voyez, Iragmens philosophiques, préface , pages xxj et xxij première édition, et programme de 1818 , page 270 et suivautes. 3 Voyez, ibid., préface, page xlj, elle fragment intitulé Religion, mysticisme, stoïcisme, pages 189,190, et le programme de 1818, page 278 et suivantes. DU VRAI. ”9 tracée , je dois y revenir , et essayer de présenter l’état actuel sous toutes ses faces. Je sens ici plus que jamais le besoin de vous répéter que mon but n’est pas seulement d’enseigner un système déterminé , mais encore de donner l’exemple d’une méthode sévère, qui s’appuie sur des bases solides, en un mot, d’une méthode experimentale. Car si l’on veut faire sortir la philosophie’de 1 état d enfance où elle est encore aujourd hui, si 1 on veut l’élever au niveau des autres sciences, . il faut la ranger sous le joug de l’expérience, et par expérience n’entendez pas l’observation grossière et facile des sens, mais l’exercice intérieur de la pensée cjui se replie sur elle-même, de la conscience qui considère et constate tous les faits intellectuels. 11 est temps qu’oh se délie de ces procédés arbitraires qui ont mis la philosophie au service de l’esprit de système, et l’ont conduite à un but dé' siré et prévu d’avance. La méthode que je vous propose est de poser d’abord les différentes espèces possibles de recherches , et de choisir celle qui est la plus accessible. Je trace trois grandes divisions dans l’intelligence le présent, le passé et la transition de l’un à l’autre état, et j’aborde la première de ces divisions. Dans les limites de l’actuel nous avons reconnu un élément remarquable par sa lixité et sa pureté c’est l’absolu ; les caractères qu’il manifeste ont été décrits, mais tout n a pas été lait, et la science de factuel n’est pas achevée. 120 TTlETZIÈME LEÇON. Avant de nous engager dans les ténèbres du passé , il faut demander au présent tout ce qu’il peut donner. Je sais qu’il y a de la vérité absolue; je sais qu’il y a des propositions marquées du caractère de vérité ou de fausseté parmi les propositions vraies, j’en’découvre quelques-unes marquées du caractère de nécessité , et quelques autres du caractère de contingence,- en d’autres termes , il y a des propositions • que non-seulement je reconnais pour vraies, mais que je ne puis révoquer en doute, qui'entraînent, qui ravissent l’assentiment de ma raison ce sont là les vérités nécessaires ; il en est d’autres qui me paraissent vraies, non plus d’une vérité qui leur soit propre , mais d’une vérité qu’ils empruntent aux circonstances dont ils sont environnés , et ces vérités je les appelle contingentes. Les vérités nécessaires se divisent en deux grandes classes , non plus d’après leur nature fondamentale , mais d’après les objets dans lesquels elles apparaissent les unes sont des vérités physiques, les autres des vérités métaphysiques les premières président à la nature matérielle, les secondes à la nature intellectuelle et morale. On peut Jaire la même distinction entre les vérités contingentes, mais nous ne nous occupons ici que des vérités nécessaires- L’esprit de l’homme ne se contente pas de les concevoir , il veut encore pénétrer la raison de leur existence. Incapable de briser ses DU VRAI. 131 chaînes, il veut savoir quelles mains les lui imposent. Ici se présente la question de l’absolu, déjà agitée et résolue dans la dernière leçon ; nous avons montré que le nécessaire, loin d’être l’absolu, n’en est que l’enveloppe. Pour nous convaincre de cette vérité , nous n’avons pas eu besoin de sortir des limites du présent et de nous enfoncer dans les voies ténébreuses du passé sous nos croyances nécessaires nous avons découvert l’existence du vrai. Ainsi, non-seulement je suis dans la nécessité de reconnaître une vérité qui se présente à mon esprit, mais je sais, en outre, que ce n’est pas la nécessité qui constitue cette vérité. La nécessité n’est pour l’entendement que le signe d’une existence antérieure, lg signe de l’existence de la vérité. La nécessité n’est pas le terme auquel aboutit la métaphysique , la nécessité n’est pas la raison de 1 absolu ; c’est l’absolu qui est la raison de la nécessité. Il faut renverser la méthode de la philosophie écossaise et de la philosophie allemande au lieu d’établir la vérité sur la croyance, il faut fonder la croyance sur la vérité- Tout ceci revient à dire qu’avant la nécessité de croire à la vérité , nécessité qui implique réflexion , examen., contestation, car il faut s’être interrogé sur la valeur d’une croyance pour en reconnaître la nécessité , il existe une aper- ception pure de la vérité. Cest ce phénomène délicat , dans lequel toute subjectivité. expire, que nous allons nous efforcer de mettre en lumière. Si 122 TREIZIÈME LEÇON. dans toute conception nécessaire se trouve cette aperception primitive et pure de la vérité en elle- même, tout l'échafaudage des idées subjectives, des lois constitutives de l’esprit se disjoint et s’écroule. La croyance nécessaire n’est plus que la partie ultérieure des faits intellectuels ; l’attribut d’existence convient à la vérité, et dégagée de toutes les enveloppes subjectives elle apparaît dans tout son jour. il s’agit de constater l’intuition spontanée de la vérité , de la surprendre sur le lait avant qu’elle soit réfléchie dans l'intelligence , de rendre apparente cette première aperception de la raison, cet acte fugitif qui passe devant la conscience avec la rapidité de l’éclair. La question que nous avons k résoudre est celle-ci l’absolu, soit par exemple la cause absolue, k l’idée de laquelle nous nous élevons, en assignant une cause k chaque événement, la substance absolue, que je conçois au fond de tous les phénomènes , tout cela existe-t-il hors de mon entendement, ou tout cela ut* dépasse-t-il*pas le domaine de la psychologie, et ne faut-il y voir T»* des produits de mon intelligence , que des êtres de raison ? Les deux écolns célèbres dont-nous avons parlé veulent que notre esprit ne puisse exercer le jugement que sous trois formes l’allirmatioii, la négation et le. doute. Je pense qu’elles n’ont pas distingué la conception pure de l’entendement DU VRAI. 123 d’avec la conception réfléchie. Nous écartons de la discussion le jugement dubitatif qui n’est ni une aperception pure , ni une aperception réfléchie , et nous examinons si le jugement est d’abord nécessairement affirmatif ou négatif. Tout jugement affirmatif est en même temps négatif, car affirmer qu’une chose existe, c’est nier sa non-existence ; tout jugement négatif est en même temps affirmatif, car nier l’existence d’un objet, c’est aflirmer sa non-existence. Ainsi, que ait la forme de l’affirmation ou de la négation , ces deux formes, qui se renferment l’une l’autre, impliquent qu’on s’est posé la question de l’existence de l’objet, qu’on a réfléchi, et que Je moi s’est vu contraint d’adopter tel ou tel jugement, de sorte qu’il n’a plus d’autres moyens de .légitimer ce jugement que la nécessite où il s’est trouvé de le porter. Ici reviennent les théories des écoles que nous combattons car, disent-elles, si vous n’allirmez la vérité* que parce qu’il vous est nécessaire de la concevoir, vous n’avez toujours pour garant ou pour critérium de la vérité que votre conception , et en conséquence vous ne sortez pas de vous-même j vous demeurez dans le subjectif. Mais, répondrons- nous , tous nos jùgcmens sont-ils nécessairement affirmatifs ou négatifs ? sont-ils tous marqués de cette nécessité qui subjective la vérité ? En d’autres termes, notre entendement n’agit-il que sous la loi de la réflexion ? Consultons l’expérience qui 12 ^. TJIEIZTKMG doit être notre seul guide , quand il s’agit de con stater ries phénomènes internes elle nous apprend que l’exercice de la raison spontanée , non réfléchie , précède celui de la raison repliée sur elle- même. Ainsi, le premier acte de ma raison en lace d’une vérité , de cette proposition par exemple deux et deux valent quatre, est. un acte irréfléchi, sans préméditation, sans retour dii moi sur lui- même , un acte qui ne se met pas en question , et qui, par conséquent , n’est ni affirmatif ni négatif ; un acte enfin qui saisit du premier bond la vérité en elle-même, et qui ne l’appuie pas sur la nécessité où l’esprit se trouve de la concevoir. Si l’on contredit Ce premier acte, notre intuition se réfléchit alors sur elle-même, étonnée qu’elle est d’être combattue elle se donne elle-même pour preuve de la vérité qu’elle affirme , et alors , mais alors seulement , apparaissent les formes subjectives, les lois ou les catégories de la pensée. Le système de llcid et de Kant est détr uit par la distinction de la raison spontanée et de la raison réfléchie. Le double procédé de l’intelligence humaine ouvre à nos yeux deux sphères dilléren- tes, dans lesquelles apparaissent des phénomènes, entièrement différons l’une est le théâtre des contestations, des combats que la raison soutient contre elle-même; l’autre, est un séjour de silence et de paix; rien ne peut en altérer la pureté. Là , l’esprit, n’invoque que la nécessité de ses croyances; 1U VT AI. ici, la raison aperçoit l’absolu, parce qu’il ' existe et non parce quelle y est contrainte. Nous sommes arrivés maintenant au terme que l’observation 11e peut franchir dans le champ de l’actuel, mais nous devons tirer les conséquences du principe que nous venons de poser ; i° la nécessité où nous sommes de croire à une vérité quand elle apparaît à notre intelligence, n’est que la forme extérieure de la vérité , son caractère relatif, caractère qui en présuppose un autre sur lequel le premier repose, et sans lequel il n’existerait pas. Lors donc que nous nous sentons dans la nécessité inévitable de reconnaître une vérité , tenons- nous pour avertis qu’il y a hors de nous de la vérité ; 2° toutes les fois que nous voulons démontrer 1 existence d’une vérité par la nécessité où nous sommes de l’apercevoir, nous nous renfermons dans le moi , nous subjectivons l’absolu ; 3 ° aller de la nécessité à l’absolu, c’est aller du signe à la chose signifiée, c’est conclure du dedans au dehors. Ici le cercle vicieux est évident comment, en eflêt, démolrtrcr l’absolu par le nécessaire ? toute démonstration suppose un principe , mais le principe ici serait justement ce qu’il faudrait démontrer, savoir ; que de l’idée nécessaire on peut conclure l’absolu. L’absolu est donc hors de la portée de la démonstration. . L’argumentation épuisera ses formes et son langage avant de le prouver ; c’est à l’observation, à l’intelligence 126 TREIZIÈME LEÇON. pure et non réfléchie qu’il appartient de le découvrir. Nous avons montré jusqu’il présent l’absolu en loi-même et daiis son rapport avec l’intelligence, il nous reste à faire voir son application li la nature extérieure. L’absolu, quoiqu’également indépendant du monde interne et du monde externe, fait toutefois son apparition dans l’un et dans l’autre ; il descend et se repose sur la nature en même temps qu’il se réfléchit dans l’intelligence si l’homme tient de l’absolu les vérités nécessaires, l’univers en a reçu les lois qui le régissent. L’absolu plane sur l’humanité et sur la nature, les domine et les gouverne éternellement, avec cette seule différence qn l’une le sait et que l’autre l’ignore; mais il en est également indépendant i. L’absolu est le fond sur lequel se dessinent tous les phénomènes de ce double tableau. Dirait-on que si l’homme n’aperçoit l’absolu que dans son intelligence et dans la nature physique, l’absolu est constitué par lu nature et par l’homme? Sans doute l’absolu ne nous est pas donné comme une abstraètion; sans doute il n’existerait pas pour nous s’il n’était appliqué ou réfléchi ; mais l’esprit sait qu’il ne porte en lui-même, et qu’il ne voit dans la nature que la copie d-un modèle réel, qui existe hors de la i Yoytz, Fhagmens philosophiques, programme de 1818» page k U fl» première édition. DU VK Aï. nature et hors do l’esprit. Mais si l'absolu n’est renfermé ni dans la nature 1 ni dans l’homme, où réside-t-il et qu’est-il? S’il est vrai que la géométrie existe indépendamment des objets auxquels elle s’applique, si d’un autre côté elle n’est pas un tissude conceptions fantastiques produites par notre raison , où est donc la géométrie ? Qu’est-ce que l’espace pur ? Qu’est-ce que le temps absolu ? Ainsi l'infatigable curiosité humaine, après avoir épuisé les connaissances contingentes, après avoir fait l’analyse des connaissances nécessaires, après avoir entrevu l’absolu qui est le fond de ces. connaissances , aspire encore plus haut, et veut savoir quel est le fond de l’absolu. Il faut quelle rencontre la raison suffisante et dernière de toutes choses, dût-elle la poursuivre à l’infini. Mais où réside cette raison suffisante et dernière? Où l’esprit humain trouvera-t-il ce fondement qui n’en suppose derrière lui aucun autre, et dont la possession doit terminer notre inquiétude et nos efforts? Si nous remontons l’histoire de la plnlor saphie, nous y verrons un homme s’élever par les élans de son génie au-dessus de ses contemporains, et chercher la solution du problème qui nous occupe c’est Platon. 11 a regardé fixement et sans en être ébloui fo vérité trop éclatante pour les yeux de la plupart des hommes ; il a vu la vérité libre des enveloppas grossières quelle revêt dans le sein du monde physique et du monde intellectuel. 128 TREIZIÈME LEÇON. C’est cette vérité dans son essence,, cette vérité substantielle qü’il appelle vovç,, être dont notre esprit ne sait rien, sinon qu’il existe, être qui ne peut se manifester audehors que par les vérités absolues qu’il projette de îîoii sein et qui s’appliquent à la nature ou se réfléchissent dans notre esprit. Le voûç de Platon qu’est-il sinon l’entendement divin , centre dans lequel se réunissent toutes les vérités éternelles? Si les idées absolues sont les manifestations de l’être infini, comme la parole est 'l’interprète de la pensée, les idées absolues forment ce que Platon appelle le liyo'. Le Xôyo; est le médiateur entre l’Etre suprême , fa souveraine intelligence, et l’être fini, l’intelligence humaine. Dieu n’est donc autre chose que la vérité dans son essence, il est partout où se montre la vérité. Celui-là le reconnaît nécessairement qui ne peut concevoir de phénomène sans substance, d’événement sans cause. L’athéisme t esl impossible pour rejeter la croyance en Dieu, il faudrait refuser sa loi à toutes ces vérités. Ainsi Dieu compte autant d’adorateursqu’il y a d’hommes qui pensent; car on ne peut penser sans admettre quelque vérité, ne fût-ce qu’une seule; et loin que les sciences détruisent la religion, la physique, les mathématiques, la psychologie, la logique sont comme autant de temples où l’on rend un culte à Dieu. Le dernier problème"de l’actuel est résolu, nous sommes arrivés au fondement des idées absolues Dieu DU VRAI. . 129 est le centre et la source de toutes les vérités ; lui seul nous donne une base au-dessous de laquelle nous n’avons plus rien à chercher; c’est en lui seul que nous trouvons une vraie source de lumière et un inaltérable repos. PHILOSOPHIE. 9 i3o QUATORZIÈME LEÇON. V^UH\V*UVAAUVMUUW\AMMIM»M\ QUATORZIÈME LEÇON. Trois ordres de faits de conscience sensations, voûtions, aperceptions rationnelles t. —Le scepticisme ne peut attaquer ces dernières. —Liberté, sensibilité, raison. — Retour sur l’aperception pure. — Affirmation sans négation. —La vérité n’apparaît pas d’abord comme nécessaire /mais seulement comme vraie. — Fatalité et liberté de l’aperception pure. — L .litre absolu est la substance de la vérité absolue. — La vérité est un médiateur entre Dieu et l’homme ?.. Je me suis proposé deux buts dans ma dernière leçon le premier, de revenir sur les caractères que nous présentent les connaissances humaines dans l’état actuel; le second, de m’avancer progressivement jusqu'aux limites des connaissances 1 Voyez , Liugmens piuLosopmgi Ks , programme de 8i8, page 26G première édition. 2 Voyez ,* t kaomens paiLosopinoirEs, préface^ pages xxiij , xxiv et xliij première édition, P programme de 1818, page 29a. lü VRAI. 1 31 nécessaires , de saisir l’absolu sous le relatif et d’ar- river jusqu’au fondement de l’absolu lui-même. Je n’ai point abandonné la méthode que je m’étais prescrite cette méthode consiste à ne jamais se séparer de l’expérience, soit en recueillant ses données immédiates soit en recherchant les conséquences qui en dérivent légitimement. J e n’entends par expérience, ni l’observation extérieure sensible qui ne nous donne que des sensations diverses , multipliées et- variables , ni même l’observation intime dirigée sur des phénomènes in* ternes, aussi variables , aussi passagers, aussi fugitifs que les phénomènes du monde externe. Outre le moi et le non-moi , outre le monde intérieur et le monde extérieur , il y a un troisième monde qui fait son apparition dans l’intelligence ; il se compose deces notions nécessairesque des écoles fameuses appellent lois ou formes de l’entendement, mais qui impliquent, comme nous l’avons vu, des vérités absolues, indépendantes de la nature et de l’homme comme la conscience, qui est la lumière de l’intérieur, découvre et éclaire 110s sensations, c’est-à-dire, ce qui apparaît en nous du monde extérieur, comme elle découvre et éclaire nos voûtions, once qui apparaîten nousde nous-mêmes, elle découvre et éclaire aussi les manifestations de J a raison. Le moi, le non-moi, et laraison qui plane sur 1 un et sur 1 autie , tel est le triple objet de. la conscience la raison a ses aperceptions pures, comme 9 - l3?. QUATORZIÈME TlEÇON. lessensonl leurs sensations, comme le moi a ses voûtions. L’expérience, dont le témoignage est irrécusable, lorsqu’elle atteste les sensations et les voli- ti ons, sera-t-elle moi ns légitime lorsq u’elle nous présentera les aperceptions rationnelles? 11 est clair que l’expérience est valable partout où elle se trouve , ou qu’elle ne l’est nulle part. Si l’on donne comme on le doit au mot expérience la signification compréhensive que nous venons d’indiquer, on peut dire avec confiance qu’il n’y a pas d’autre philosophie légitime que celle qui dérive de • l’expé- i'ience i. La question relative à la réalité du monde rationnel est donc celle-ci Y a-t-il ou n’y a-t-il pas un ordre de laits qui se distingue; des phénomènes du moi et des phénomènes du non-moi , des sensations et des voûtions, et qui soit aussi réel que les uns et les autres? Cet ordre de laits se distingue des deux premiers par le caractère de nécessité. Lorsque je presse un corps, l’expérience me découvre en moi-même une sensation ; lorsque je déploie mou activité, l’expérience m’avertit de ma voli- t'on ; lorsqu’un lait commence d’exister, l'expérience me montre que je ne puis pas ne pas lui concevoir une; cause,- mais ce dernier l'ait, c’est-à- dire , cette apercepiion de la raison dillère des premiers eu ce qu’il est immuable. Je puis suspen- i Voyez, Fiucmens , préface, page xv première édition. DU VRAI. i33 dre , changer, dénaturer mes volitions ; daus les phénomènes du moi, tout est contingent et variable ; d’une autre part, si je ne suis pas libre d’éprouver telle ou telle sensation , j e sa is que la sensation que j’éprouve ne durera qu’autant que je serai en présence de l’objet qui me la donne , que cet objet peut changer ii chaque instant, et que dès qu’un autre lui succédera , ma sensation sera anéantie ; je sais erflin que si le monde extérieur venait à disparaître, il n’y aurait pas même la sphère des sensations est donc variable et contingente , comme celle des volitions ; il n’en est pas de même de la sphère rationnelle les faits qu’elle renferme ne peuvent pas changer. Ainsi, je pense que toute apparence suppose une substance ,' que tout ce qui commence d’exister a une cause cette aperception est nécessaire , je ne puis m’y dérober ; vainement essaierais-je de me figurer qu’il peut y avoir un changement sans cause , un phénomène sans substance, une multiplicité sans unité , etc. Jamais on ne pourra faire descendre ces principes à la simple contingence de nos sensations et de nos volitions. J’en appelle ii l’expérience des autres, je leur demande-si leur conscience interrogée ne leur fournit pas la même réponse, .le suis tellement convaincu de la nécessité de ces principes, que si je puis prêter mon intelligence aux préjugés les plus absurdes, aux labiés les plus grossières, sur tout autre sujet que sur 134 QUATORZIÈME UEÇON. les principes rationnels, je ne puis admettre, même pour un .instant, qu’il y ait des phénomènès sans cause et sans substance. Le scepticisme, qui est tout puissant lorsqu’il attaque le momie matériel, qui est déjà moins redoutable lorsqu’il s’en prend à la volonté ou à la liberté, demeure sans aucune prise sur les principes rationnels. Ainsi il n’est pas aisé de défendre la nature contre les argmnens de berkeley etde David Hume ; c’est là que triomphe le scepticisme; lorsqu’il veut détruire la volonté et la liberté, il ne perd pas encore toute chance de succès ; mais il se brise devant les principes rationnels. En vain il discute, il argumente, puisqu’il cherche à prouver , ii reconnaît donc une base sur laquelle s’appuient les arguments et les preuves', en un mot il reconnaît des principes. . Après avoir établi qu’il y a des principes nécessaires , il fallait tenter d’aller plus loin il fallait s’élever contre les théories qui regardent les vérités nécessaires comme des formes de l’esprit humain ; c’ést ce que, nous avons essayé de aire. L’esprit humain n’est pas enfermé dans certaines formes il est doué de raison , comme de sensibilité et de liberté la liberté est le moi lui-même ; la sensibilité limite le moi, car c’est par elle que nous sentons les obstacles lu mom le extérieur ; la raison au contraire agrandit la sphère du moi , parce qu’elle lui ouvrit un immense horizon. Lestons ne me montrent qu’une partie de l’univers; la raison nu VRAI. 135 me révèle le reste elle me dévoile les lois suprêmes qui gouvernent le monde intérieur et le monde extérieur. Bien plus, elle lue transporte dans une sphère supérieure aux deux autres, elle me fait saisir l’absolu; dans Son essor elle dépasse tellement le moi et la nature-, qu’elle ne les aperçoit plus , quelle se met face ;i face avec la vérité , et s’élève ainsi à une région où toute subjectivité expire. Maisla raison est à sonpointde départ une table rase elle ne contient pas plus de principes innés que la sensibilité et que la liberté dès que la sensibilité, est en contact avec les objets qui lui sont propres, il en résulte une sensation; de même , dès que la raison est en rapport avec l’objet qu’elle doit saisir, il en résulte une aper- ception. La vérité n’est donc pas une forme innée de la raison, mais elle impose h la raison ces formes qui deviennent ensuite ce qu’on appelle les nécessités de la raison. Primitivement donc il n’y a pas de lois nécessaires , de principes purement psychologiques, il y a des vérités la raison les acquiert ; elle ncpeut plus s’en séparer; mais on ne doit pas la confondre avec elles. C’est ainsi que nous avons essayé d’établir les aperceptions ou intuitions pures de la raison , et de prouver qu’avant la raison mise en possession dés vérités nécessaires, et ayant reçu de son commerce avec la vérité des formes qui engendrent ] a logique, il y » , P" 1 "' ainsi dire, une raison vide , sans formes arrêtées I 36 QUATORZIÈME d’avance , qui marche librement et qui reconnaît l’absolu sans y rien mêler de subjectif. Cette théorie de l’aperception pure a été attaquée; et il était difficile, en effet, qu’un premier exposé la fit admettre nous ne pouvons que la reproduire, en en variant un peu l’expression, afin de la présenter sous plusieurs faces , et de la rendre ainsi plus saisissable. . . Suivant la théorie des écoles écossaise et allemande, il n’y a que trois sortes de jugemens le jugement dubitatif, le jugement affirmatif et le jugement négatif. Laissons de côté , comme nous l’avons fait déjà, le jugement dubitatif, qui n’a rien à faire dans une discussion sur l’existence de la vérité ; nous accordons que dans l’état réfléchi tout jugement affirmatif suppose un jugement négatif, et réciproquement si l’on énonce devant moi cette proposition deux et deux valent cinq ; je le nie. Qu’ nier dans Ce cas? IS’est-ee pas affirmer la proposition contraire? Mon jugement est négatif, mais seulement dans sa forme. Lorsqu’on veut répondre à une proposition fausse , on suppose rapidement la forme qu’aurait dû prendre cette proposition pour être vraie l’esprit se trouve alors placé entre deux partis , dont l’un est absurde et l’autre rationnel ; il se fait donc ici une comparaison. Or, la comparaison repose sur l’attention, d où il suit que tout jugement qui est à la lois affirmatif et négatif est profondément ré- DU. VRAI. 1 3^ fléchi. Mais n’y a-t-il pas une affirmation primitive qui n’implique pas de négation? De,même que nous agissons souvent sans songer aux résultats de notre action, et qu’il se produit dans ce cas une activité pure , une liberté non réfléchie ; de même la raison aperçoit souvent par une aperception pure nous affirmons-le vrai sans penser qu’il peut y avoir du faux ; l’affirmation 11’enveloppe pas alors de négation. Nous ne pouvons pas nous arrêter dans l’apcrception pure elle brille et s’éteint comme une étincelle rapide , et elle est remplacée par l’absence de la pensée , ou par la présence de la réflexion, de l’affirmation négative. Comment donc saisir cette lueur passagère ? Il ne faut pas la demander à la réflexion qui la détruit ; mais adressez-vous à la mémoire, et vous vous rappellerez que souvent vous avez exercé cette aperception pure. Cette aperception n’est pas marquée du caractère de nécessité ; car la nécessité implique qu’on a cherché à se soustraire au joug d’une croyance, ce qui ne peut avoir eu lieu primitivement et avant tout retour sur soi-même. La vérité n’apparaît donc pas d’abord comme nécessaire , mais seulement comme vraie. Dans cette aperception pure se trouvent réunies au plus haut degré la liberté et la fatalité conmm la raison 11’a pas voulu résister à la vérité, on ne peut pas dire qu’elle soit asservie ; d’un autre côté, elle ne peut pas 11e pas apercevoir cette vérité ; 11 y a donc là ce que j’appelle 1 38 QUATOIIZIÈME LEÇON, activité pure, c’est-à-dire, réunion de la fatalité et de la liberté. Lorsque je m’ellbrcc en vain de lutter contre le pouvoir qui m'entraîne, il y a pure fatalité ; lorsque je veux làire évanouir un obstacle , et que j’y parviens, il y a pure liberté ; lorsqu’enfm je cède volontairentent au pouvoir qui me presse, il y a liberté et fatalité. L’absolu étant reconnu comme illimité, connue remplissant le passé, le présent et l’avenir , il ne peut être renfermé dans le réel, il n’est ni dans le moi ni dans le non-moi , il est supérieur à l’un et à l’autre; l’absolu plane sur le relatif, l’éternel plane sur le passager. Mais cette vérité pure, qui n est contenue ni dans le monde ni dans l’intelligence, où donc est-elle, et quelle en est la substance? A cette question on peut luire deux réponses si l’on s’arrête à une philosophie timide, on dira la vérité existe ; elle n’est ni le moi ni le non-moi ; ne m’interrogez pas au delà. Mais si l’on ose aller plus loin , et s’enfoncer dans de plus profondes recherches , on trouvera que la vérité suppose quelque chose au delà d’elle-même , quelque chose déplus élevé, de plus inaccessible fie même que 1 accidenL suppose la substance, que la qualité suppose le sujet, de même la vérité absolue suppose l’être absolu. 3Nous obtenons alors un absolu qui n’est plus suspendu dans le vague de l’abstraction , mais un absolu substantiel. Comme nous ne connaissons le sujet que par ses attributs, DU VRAI. i3g nous ne pouvons connaître de la substance infinie que les vérités absolues dont elle est le soutien. Tout ce qu’on sait de cette substance c’est quelle existe ; au delà de la vérité est la substance ; mais au delà de la substance il n’y a rien la substance est le terme après lequel on ne peut rien concevoir relativement à l’existence; arrivée à la substance , toute recherche doit s’arrêter. D’où il suit qu’il ne peut y avoir qu’une substance la substance de la vérité, ou la suprême intelligence - . La vérité, qui est absolue par râpportau moi et au non- jwoi , est relative par rapport à la substance. Ainsi elle se trouve placée entre l’homme et la suprême intelligence, comme un intermédiaire, comme un médiateur. C’est ce que Platon , dans sou langage poétique, appelle le ,dyoc ; c’est pour ainsi dire 1 interprète, la parole de la substance. Comme la substance ne peut exister sansaccidens, il y a coéternité entre la vérité et la suprême intelligence, entre le Àdyoç et leyoüç. Mais comment la vérité sort-elle de la suprême intelligence ? C’est un mystère impénétrable à nos yeux. Si la substance se manifeste, c’est qu’elle a la puissance de se manifester ; voilà tout ce que nous pouvons dire. Telle est la fameuse Triade de Platon i 0 la substance absolue ou la suprême intelligence ; o° la puissance de se manifester ou la force créatrice!; -3° la manifestation divine , la mission du Xoyoç. Toute cette théorie se déduit des apcrceptions l40 QUATORZIÈME pures de la raison je sais d’abord d’instinct la vérité ; je la sais ensuite par réflexion. -Soit par exemple une vérité arithmétique, d’où me vient-elle? Ce n’est pas du monde extérieur, car le monde extérieur n’existe que dans un point du temps et de l’espace, et- la vérité arithmétique est éternelle et universelle ; l'universel est la raison sulli- sante du particulier, quoique l'universel ne se découvre à nous que dans le particulier. Ni la nature; ni mon intelligence ne peuvent me rendre raison de la vérité arithmétique ce n’est pas parce qu’elle est aperçue par ma raison, ni parce qu’elle apparaît dans la nature physique qu’elle est vraie ; elle existe indépendamment du monde intime et tout ce qui commence d’exister a une cause, et il m’est impossible de ne pas croire à la vérité de ce principe? Essayez, tourmentez ce principe, jamais vous ne l’amènerez à une l'orme plus universelle , plus ultérieure que celle-là. Nous tenons donc les deux extrémités de l’intelligence ; nous possédons l’état actuel et l’état primitif. Nqu s n’avons, donc plus à résoudre que la troisième des questions que nous nous étions originairement posées • trouver le lien l68 DIX-SKPTIKM E T/EÇON. des deux sphères, le passage du primitif à factuel. Pour nous garantir de la marche hypothétique dans cette nouvelle recherche comme dans les deux autres, nous devons nous attacher à. ce qui nous est donné, examiner ce qu’il y a de semblable et ce qu’il y a de dilïerent dans le primitif et dans factuel nous négligerons la ressemblance pour ne nous attacher qu’à la différence ; et si nous trouvons une opération intellectuelle qui rende compte de la différence, nous aurons ainsi découvert la transition du primitif à factuel. Qu’y a-t-il donc de semblable entre les deux états de l’intelligence relativement au principe de causalité, qui jusqu’ici nous a servi d'exemple ? Ce qu’il y a de semblable, c’est la croyance nécessaire et l’intuition pure. Dans un cas comme dans l’autre , que vous appliquiez le principe, ou que vous le contempliez sous sa forme universelle et indéterminée, toujours est-il que ce principe vous éclaire d’abord , et force ensuite votre croyance. Qu’y a-t-il maintenant de dissemblable? C’est, que dans l’état primitif, fé principe de causalité est applique et concret, et que dans l’état actuel il est indéterminé et abstrait. J’aurai rendu compte du passage du primitif à factuel, si j’explique comment du principe déterminé nous nous élevons, au principe indéterminé. Or, ce passage s’opère par l’abstraction ; ce que nous dirons ici de l’idée du vrai pourra s’appliquer à l’idée du bien et à celle du DU \KA 1 169 beau 1. Il y a deux genres d’abstraction soit donnée une suite d’objets particuliers vous examinez les caractères communs de ces objets, vous les réunissez en un caractère général qui les contient tous. Ce caractèi'e général est un caractère absti'ait, une pure idée, puisqu’il n’existe pas indépendamment des individus. Nous exerçons dans ce cas une abstraction que j’appelle abstraction comparative et collective ; comparative , parce qu’elle procède par voie de comparaison ; collective , parce qu’elle n’est qu’une collection de cas particuliers. Tel n’est pas le second genre d’abstraction un seul cas étant donné, sans comparer ce cas avec aucun autre, sans avoir besoin en conséquence d’une collection de faits particuliers, la seconde abstraction passe à l’instant même du concret à l’abstrait. Lorsque le principe de causalité est appliqué à un cas particulier , il y a d’une part l’objet déterminé, et de l’autre le principe pur de causalité aussitôt que vous séparez celui-ci de ce qui l’individualise, vous le rendez à son universalité. Or, comme il 11’y a pas de degrés dans l’universel , il s’ensuit que pour l’obtenir vous n’avez pasbesoin de recourir à une comparaison , ni d’observer plusieurs cas particuliers. C’est ainsi que, par une abstraction immédiate, par une seule opération de 1 esprit, on élimine le déterminé, et Ion obtient le principe pur de causalité. C’est donc 1 Voyez la villgl-et-unième leçon. I7O DIX-SEPTIÈME LEÇON, sans le secours d’uni; comparaison et d’une collection que l’on passe du concret à l’abstrait, du réel au vrai, du déterminé à l’universel. 11 n’en va pas ainsi dans l’autre genre d’abstraction ; prenons un exemple , examinons comment nous arrivons à l’i- dée générale de couleur ; soit placé devant-mes yeux un objet blanc ; avec quelque rigueur que je pousse l’analyse, arriverai-je ici à l’idée de couleur en général ; pourrai-je mettre d’un côté la blancheur et de l’autre la couleur; cette séparation est- elle possible? Que quelqu’un à propos d’un seul objet arrive à l’idée de la couleur en général, je reconnais que ma distinction entre les deux genres d’abstraction est vaine. ]Nous ne pensons pas qu’à l’aspect d’un seul objet l’esprit puisse faire deux parts dans sa couleur, l’une pour le variable, l’autre pour l’invariable. Analysez ce qui se passe en vous à l’aspect d’un objet blanc, vous éprouvez une sensation; ôtez ce que cette sensation a d’iudivi- duel, vous la détruisez tout entière vous ne pouvez pas faire évanouir la sensation de blancheur , et réserver la sensation de couleur. A l’objet blanc dont nous parlions tout à l’heure, joignez un objet bleu , votre position intellectuelle est entièreinent changée, votre esprit peut laire alors abstraction de la sensation particulière du blanc , et de lu sensation particulière du bleu, ne conserver que l’idée abstraite de la sensation de la vue ou de la couleur en général. Mais, dans le cas précédent, nous nions DU VRAI. .171 qu’il soit possible à l’esprit de faire une distinction entre sensation de la blancheur et sensation de la vue. Prenons un autre exemple si vous n’aviez jamais senti qu’une seule Heur, auriez-vous l’idée de l’odeur en général? L’odeur ne vous paraîtrait-elle pas un élément spécial de cette fleur, qui ne se retrouverait nulle part? Si maintenant à l’odeur d’œillet se joint pour vous l’odeur de rose, vous pourrez vous élever à l’idée générale d’odeur ; mais qu’y a- t-il de commun entre l’odeur d’une fleur et celle d’une autre, sinon quelles ont été senties par le même individu? Ce qui rend ici la généralisation possible, c’est précisément l’unité du sujet qui se souvient d’avoir été modifié de la même manière par des sensations différentes ; mais ce sujet ne peut opposer quelque chose de semblable et quelque chose de dissemblable, qu’à la condition de la diversité, et par conséquent de la pluralité des sensations. Il y a donc dans ce cas comparaison , collection, abstraqtion médiate; pour arriver au principe de causalité , nous n’avons pas besoin de tout ce travail. Si vous supposez six cas particuliers desquels vous ayez abstrait ce principe, il ne sera pas chargé de plus d’idées que si vous l’aviez abstrait d’un seul, ni de moins d’idées que si vous l’aviez abstrait de dix-mille. En effet, pour arriver à cette formule V événement que je vois sous mes jeux doit avoir une cause', il n’est pas nécessaire d’avoir vu plusieurs événemens. Le principe étant 1^2. DIX-SEPTIÈME leçon. indivisible, il est tout entier dans un seul cas, et il y est sous sa forme pure il ne s’agit donc que d’éliminer la particularité du phénomène, soit la chute d’une pierre, soit le meurtre d’un homme, et l’on arrive immédiatement à l’idée de la nécessité d’une cause, pour tout ce qui commence d’exister. Ici, ce n’est pas parce que j’ai été le même , ou affecté de la même manière pendant plusieurs sensations différentes, que j’arrive à l’idée générale et abstraite. Une feuille tombe, je sais à l'instant même qu’il doit y avoir une raison à cette chute un homme a été tué, je sais immédiatement qu’il doit y avoir une cause à sa mort L’idée générale ne dérive pas ici de l’identité du moi, ou de la ressemblance de mes modifications dans des cas différens. Ce qu’il y a de. semblable entre les deux faits que je viens de citer, c’est qu’ils sont doubles, qu’ils renferment quelque chose d’individuel et quelque chose d’universel mais je puis faire le partage entre l’individuel et l’universel, propos du premier fait comme à propos du second. Ût, en effet, si je n’avais pas conçu l’universalité du principe à propos du premier fait individuel, je ne la concevrais pas davantage à propos du second, ni du troisième, ni du millième; car mille ne sont pas plus près que un de l’infini. Telle est donc la théorie de 1 abstraction immédiate, abstraction qui diffère, comme on le voit, de l’abstraction médiate comparative. D li VRAI. i 7 3 Nous avons achevé maintenant ce que nous avions à dire sur l’état primitif de notre esprit relativement aux vérités absolues, et sur le passage de l’état primitif à l’état actuel ; nous avons vu que trouver l’origine du principe de causalité, ce n’est pas autre chose que saisir la position intellectuelle primitive dans laquelle nous saisissons le principe. Indiquer la génération du principe de causalité, c’est montrer le procédé intellectuel qui élimine le déterminé , dégage l’indéterminé et fait passer celui-ci, du concret qu le contenait et le cachait, à l’abstrait et à l’absolu, où il éclate tout entier. Dans le tableau de l’état actuel, nous avons vu que la croyance nécessaire qui subjective la vérité n’est rien autre chose qu’un reflet de l’intuition pure, ou de l’aflirmation non réfléchie. C’est ainsi que nous avons séparé l’objectif du subjectif , et que nou6 avons montré comment l’indéterminé se dégage du déterminé, l’universel du particulier. Il s’ensuit donc que l’indéterminé est sous le déterminé , que l’objectif est sous le subjectif, et que la philosophie ne doit s’arrêter ni dans le sensualisme de l’école de Locke, ni dans l’idéalisme subjectif de l’école allemande. 174 DIX-HUITIÈME LEÇON. DIX-HUITIÈME LEÇON. Les idées qui composent les principes nécessaires leur sont antérieures ou contemporaines. —Ni dans l’un ni dans l'autre de ces deux cas on ne peut faire dériver les principes des idées élémentaires dont ils sont formés. — Principe de causalité. —> Principe de substance i. Nous nous sommes efforcés de constater l’exis- ence des vérités absolues nous les nvûus dégagées des formes subjectives qüi les enveloppent sans les détruire ; nous avons lait voir comment, elles nous apparaissent d’abord, il propos d’un fuit particulier et déterminé, et comment l’esprit, par une abstraction immédiate , élimine b l’instant même 1 élément particulier, pour conserver pur et intact l’élément individuel. 11 reste encore une objection contre laquelle nous avons à défendre l’existence des vérités absolues. L’énonciation des principes 0 Voyez, fRAGMEiys philosophiques y programme de 1818, page 276 première édition. DU VRAI. 175 nécessaires se compose d’un certain nombre de termes on a recherché l’origine des idées renfermées sous ces termes, et on a cru par-là détruire l’existence des principes, comme vérités simples et primitives. Ainsi, par exemple, dans le principe tout phénomène suppose une cause ; dans cet autre toute apparition suppose une substance, nous avons les idées particulières de phénomène, de cause, d’apparition, de substance* Quelques philosophes pensent qu’il s’agit uniquement de rechercher séparément l’origine de toutes ces notions ; ils considèrent les idées qui entrent dans les principes comme antérieures à ces principes. Mais quand nous leur accorderions ce premier point, ils auraient trouvé l’origine de ces idées particulières , qu’ils n’auraient rien fait encore pour l’origine des principes eux-mêmes. Trouver, par exemple, l’origine de la notion d une cause particulière, ce n’est pas trouver l’origine du principe de causalité. Vous avez découvert, je suppose, que la notion de cause est puisée dans le monde intérieur je suis libre, jeveux produire certains élïèts et je les produits ; mais de ce fait purement contingent à cet axiome tous les phénomènes doivent nécessairement avoir une cause, il y a un abîme. Il laut passer des notions élémentaires aux principes, et c est-ce qu’aucun philosophe n’a pu faire. Quelques-uns ont senti cette impossibilité, et, s'attachant à l’origine des notions élémentaires, ils ont pris le parti de nier les principes ils ont dit que les no- f7 représentation d’un objet individuel ; plus les objets auxquels la sensation s’applique deviennent nombreux , plus la sensation se généralise; mais au-dessus de la sensation généralisée , il place ce qu’il appelle les idées îôéxi , c’est-à-dire des conceptions absolues et indépendantes de l’expérience; l’ensemble de ces idées est ce qu’il appelle le X070;. Ainsi, dans le dialogue intitulé Théétète, quand Socrate demande à son l88 DIX-NEUVIÈME LEÇON interlocuteur de définir la science en général, Théé- tète, nourri dans les doctrines de Protagoras, répond la science. c’est la sensation ; savoir , c’est sentir ; la sensation est le rapport du - moi au non- moi , de l'homme à la nature ; il n’j a dans la nature que ce qu’il y a dans la sensation ; de là , le précepte fameux de l’école de Protagoras la sensibilité est l’arbitre suprême , l’homme est la mesure de toute chose. Dans la théorie du beau , ces deux écoles se retrouvent en présence l’une admet l’idéal , l’autre se borne au réel ; en général, on ente d par réel tout ce qui n’est pas une création de l’esprit; si l’objet que l’on veut copier d’après nature présente quelque beauté , l’imitation est belle ; mais on n’a produit qu’une beauté réelle. Si l’on ne se contente pas d’un seul objet, et qu’on assemble un grand nombre de modèles ; si pour peindre une figure humaine on prend’à l’un son front, à l’autre ses yeux , à un troisième son sourire , on arrivera à une beauté réelle collective , mais non pas à l’idéal ; car l’œuvre rie contiendra pas un seul trait qui pe se retrouve dans l’nn ou dans l’autre des originaux. De même que nous avons distingué des idées absolues et des idées collectives, de même nous distinguerons un beau idéal et un beau réel. Mais les partisans exclusifs du réel nient l’existence de l’idéal, ou disent qu’il ne consiste qu’à rassembler ou à choisir, ce qui équivaut à la négation de l’idéal. L’école opposée à celle-ci n’admet , I U B E A l . 189 au contraire, que l’idéal, et fait complètement abstraction des modèles dé la nature ; il y a des artistes qui travaillent d e-tête c’est leur expression. La première école, qui ne veut voir dans l’art que l’imitation du réel, oublie que tout ce qu’on rencontre dans la nature n’a qu’une beauté imparfaite, et que le beau se cache sous le réel. La seconde, qui ne s’attache qu’à l’idéal, tombe dans l’excès opposé, et produit des œuvres qui sont inaccessibles à nos sens. L’idéal seul est froid et manque de vie ; il ne faut pas plus négliger le réel dans l’école des arts, que l’idée collective dans l’école des métaphysiciens ; mais il 11e faut s'arrêter ni au collectif ni au réel. Les partisans de la réalité nous disent peignez ce qui est animé , ce qui est sensible , l’enfant sur le sein de sa mère, la jeune lille mêlant avec grâce les trames, d’un tissu, le jeune homme à la fleur de l’àge se préparant pour le combat ; plus votre imitation sera fidèle, votre peinture vivante , votre tableau animé, plus votre œuvre sera belle; l’art, c’est l’imitation, c’est la vie. Nous réclamons, en faveur de l’autre école, contre cette sentence exclusive les tableaux qu’on vient de décrire seront agréables comme les scènes de la nature; mais ilslaisseront au-dessus d’eux unebeauté que la réalité n’atteint jamais, et qu’il faut essayer de réaliser, eu partie car une réalisation complète est impossible, si l’on veut remplir toutes les conditions de lart. L’idéal sans le réel manque de igo dix-neuvième leçon. vie, mais le réel sans l’idéal manque de beauté pure. L’un et l’autre doivent se réunir; les deux écoles doivent se donner la main et faire alliance les chefs-d’œuvre sont à ce prix. Ainsi, le beau est une idée absolue et non une copie de la nature imparfaite, finie' et contingente. L’idée peut faire son apparition au sein de la nature; mais elle y est toujours voilée et mutilée ; elle apparaît d’une manière plus éclatante dans les œuvres humaines , parce que lé bras guidé par l’intelligence, se rapproche davantage du modèle conçu par celle-ci ; mais l’idée ne peut jamais s’y réaliser tout entière. Nous continuerons, dans les leçons prochaines, d’approtondir l’idée du beau, qui est une des manifestations les plus brillantes de l’être absolu, un glorieux intermédiaire entre Dieu, la nature et l’homme. DTJ BEAU. Ï9 1 V\\WlW\WVlV%!tV%UV»\\A ! V VVV\vv\V\ \ VV\W\ W\ VV\ tvv VV^> VINGTIÈME LEÇON. Position des questions relatives à l’idée de beauté. — Y a-t-il du beau dans la nature; quels en sont les caractères; par quelles opérations intellectuelles arrivons-nous à le saisir? —Distinction entre la sensation et le jugement. Le problème de la beauté est extrêmement complexe il soulève une multitude de questions que nous devons poser avec précision, pour nous tracer d’avance un plan méthodique et complet. La première question qui se présente est celle de savoir s’il y a du beau dans la nature, quels sont les caractères du beau naturel, et par quelles opérations intellectuelles nous atteignons ce genre de beauté. Supposé qu’il y DU BEAL. 193 on s’aperçoit que le point de vue est changé, mais les deux régions sont contiguës , et pour aller de l’une-à l’autre on n’a pas d’abîme à franchir. 11 fau- dra'donc indiquer les rapports intimes et essentiels des deux sphères de la beauté. Quand nous aurons connu les liens du beau naturel et du beau idéal, il nous restera la tâche d’examiner l’idéal en lui-même , d’en déterminer les caractères, de chercher s’il est susceptible de degrés. Deux figures idéales étant données, sont- elles, au même degré ou à des degrés divers, la représentation du beau idéal ? La sainte Cécile du Dominicain, et celle de Raphaël, sont-elles plus ou moins idéales l’une que l’autre P Si l’idéal admet du pliis ou du moins, il 11 ’est donc pas invariable , il n’est donc pas absolu ? Comment peut-il alors se distinguer du beau naturel ? Si d’un côté l’idéal est pour ainsi dire mouvant, et si de l’autre il n’est pas le beau naturel, que peut-il être ? Enfin, quel peut être le rapport du beau idéal avec la substance de toute chose , avec l’être infini ou Dieu? D’une part nous aurons recherché le rapport de l’idéal avec la nature ou le dernier terme du fini ; de l’autre nous examinerons son rapport avec Dieu , ou le dernier terme de l’infini. La nature nous apparaîtra peut-être comme le point de départ de l’idéal, et Dieu comme le point où il aboutit. Dieu et la nature seront pour ainsi dire les deux mondes entre lesquels l’idéal restera l3 PHILOSOPHIE. ig4 vint, tièmf. leçon. comme suspendu. Il ne serti peut être qu’un rapport entre ces deux termes si éloignés , et les deux pôles de l’art seront Dieu et la nature, l’iniitii et le lini. » Après avoir agité tous ces problèmes, nous aurons à examiner en quoi consiste le rôle de l’art, quelle délinition on en peut donner; quels sont les rapports de l’art et de la religion. Si l’art est la faculté de réaliser l’idéal, si l’idéal est un pont jeté entre le fini et l’infini ,. et que la religion , comme nous l’avons dit plus haut, soit un regard porté de la sphère du fini vers l’infini , on entrevoit déjà que l’art doit avoir un côté religieux. Nous aurons à montrer depluscomment l’art se compose de raison et d’amour , comment par l’amour il tient au bon- ’ heur, et par la raison à la philosophie et à la vérité. Ne la udra-t-il pas nous interroger aussi sür la nature fie l’enthousiasme et sur celle du génie, et terminer toutes ces recherches par un exposé des règles de l’art, non pas de tel ou tel art particulier, mais de l’art en général, envisagé, non comme collection des arts individuels, mais comme principe de tous les arts, ou si l’on veut comme producteur de l’idéal. Si nous ne pouvons parvenir à des solutions complètes sur tous ces points, ce sera’ déjà beaucoup d’avoir attiré 1 attention sur des problèmes qui ont occupé toute l’antiquité, et qui malheureusement ont été trop négligés par les philosophes modernes. En France, je ne sache p aS Dl BEAT;. .IqS qu’on ait écrit sur ce sujet une seule ligne avant le père André et Diderot. Diderot, dont l’esprit était souvent traversé par des éclairs de génie, n’avait cependant pas la méthode et la profondeur nécessaires pour établir une théorie ; le père André a. traité la question avec une abondance qui n’exclut pas la rigueur il a tenté dé descendre jusque dans les entrailles de l’art et de saisir le fond de toute beauté ; son ouvrage mériterait d’étre plus connu.’ Tout récemment, M. Quatremère de Quineÿ a jeté beaucoup de lumière sur la question de l’imitation il a prouvé d’une manière incontestable , selon moi, que l’art n’est pas seulement copiste, mais créateur. Depuis Winckelmann, l’Allemagne s’est occupée de théorie sur la sculpture en particulier et sur l’art en général, et elle a produit des ouvrages dont on finira par reconnaître l’importance. Enlin, l’Angleterre a peu écrit sur les beaux - arts ; les observations fines et judicieuses de ses écrivains sont plutôt applicables à tel ou tel art particulier qu’à la théorie générale de l’art. INous allons essayer de résoudre la première des questions que nous avons posées y a-t-il du beau dans la nature ; quels en sont les ca- ratères ; p ar quelles opérations intellectuelles arrivons-nous à le saisir ? Lorsque nous jetons les yeux sur la nature vi- i3. igfi VINGTIÈME LEÇON. vante, soit de cette vie spéciale qu’on appelle la vie humaine, soit de cette vie plus générale qu’on appelle la vie organique, et la nature inanimée, soumise aux seules lois de la mécanique , nous rencontrons des objets .qui nous font éprouver de douces ou de pénibles sensations. Une forme se présente à vos yeux en même temps que vous jugez qu’elle existe, vous éprouvez une sensation agréable ou désagréable. Si l’on vous demande pourquoi elle vous agrée, vous ne pouvez en donner la raison si l’on vous représente qu’elle déplaît h d’autres, vous ne vous en étonnez pas, parce que Vous savez que la sensibilité est diverse, et qu’il ne liiut pas disputer des sensations. Jusqu’ici nous n’avons pas mis le pied dans le .domaine de l’art son objet, c’est le beau, et nous ne sommes encore qu’à l’agréable. Or, n’arrive-t-il pas quelquefois qu’une forme ne nous est pas seulement agréable , mais que de plus elle nous apparaît comme belle? Quand on nous demandait pourquoi elle nous était agréable, nous n’avons pu répondre que par notre propre autorité je suis le seul juge de ce qui me plaît ou me déplaît; quand on nous demande pourquoi nous disoi s que cette forme est belle, nous en appelons à une aütorité qui n’est pas la nôtre., qui s’impose à tous les hommes, à l'autorité de la raison. Nous permettons qu’on nous conteste DU BEAU. ' ' 197 l’agrément le cette ligure, car le plaisir se renferme dans la splière individuelle de chacun, et si quelqu’un nous dit qu’il jouit ou qu’il soi lire, il ne nous vient pas à l’esprit de contester son assertion , à moins que nous ne veuillons l’accuser de mensonge. Quand nous jugeons aii contraire qu’une figure est belle, si Ton nous soutient quelle ne l’est pas, il nous semble qu’on s’établit dans le domaine commun à tous les hommes, que chacun ici ai le droit de contestation, et nous • accusons notre adversaire, non pas de mensonge, mais d’ La peine et le plaisir n’ont de réalité que dans le sein de celui qui .les éprouve, et quand nous disons cela m’agrée , cela me déplaît, nous jugeons comme individu, et nous épuisons d’un seul coup tous les degrés de juridiction ; mais la vérité, et cette partie de la. vérité qu’on appelle beauté, n’çst pas enfermée dans chacun de nous ; c’est comme la patrie commune de l’humanité, dont personne n’a Je droit de disposer souverainement ; et quand nous disons cela est vrai, cela est beau , ce n’est plus lu sentiment variable et individuel que nous voulons exprimer , mais le jugement uiiiverr sel, la loi objective imposée à tout homme ; quand je dis ; cela est agréable, je ne parle que pour moi '1 quand je dis cela est vrai, je parle pour tous les hommes. Prenons un exemple , sinon dans la nature, où la beauté est encore 1^8 VINGTIÈME LEÇON. enveloppée de nuages, du moins dans l’art, où elle éclate avec plus de pureté devant l’Apollon du Belvédère, je dis que cette figure, est belle ne suis-je pas convaincu que je parle ici, non d’une impression personnelle, mais du jugement de tout le monde ? Je n’impose ma sensation à personne, mais je me sens le droit d’imposer à tous la. raison. 11 en serait de même à la vue d’une beauté naturelle. Nous devons donc reconnaître qu’il y a dans l’homme de la sensibilité physique et de la raison ; que tantôt la sensibilité physiqueagitscule, et qu’a- lors il n’y a lieu à erreur nia dispute ; que tantôt la raison à son tour, et que, dans ce cas, elle est l’expression de quelque chose d’objectif, et par conséquent d’universel ; que si la sensation et le jugement sont réunis, il existe alors un élément individuel et un élément universel. Nous sentons comme individu, nous jugeons comme humanité;, ou, en d’autres termes, le jugement a une portée qui s’étend au dehors de la sphère personnelle. Maintenant quels sont les caractères de 1 agréable et du beau? Notre réponse, que nous développerons et que nous confirmerons dans la suite, c’est que l’unité, la proportion, simplicité, la régularité , la grandeur, la généralité, apparaissent plus ou moins d ;,ns les objets que nous jugeons beaux, et que les caractères de l’agréable sont l a DU BEAU. *99 variété, le mouvement, la souplesse; l’énergie, l’individualité. Ainsi, tout ce qui a vie nous agrée; la détermination des formes, le mouvement varié, la diversité des sons, tels sont les faces du joli ou' de l’agréable , dont les nuances ont été saisies par Burke avec beaucoup de finesse et d’habileté. L’agréable a deux caractères principaux , qui produisent des impressions différentes et qui ont reçu des noms différons. Par exemple, à la vue d’une rose, je suis affecté d’une sensation agréable, que j’appelle expansion; à la vue d’une nuée d’orage, aux contours fortement accentués , aux teintes de pourpre et d’argent qui tranchent sur le bleu foncé du ciel, j’éprouve une sensation agréable, mêlée de concentration. Quelques philosophes, et Burke à leur tète, ont nommé du nom de beau le premier genre d’agréable , et ont donné au second le nom de sublime ; nous ne pouvons voir ici que deux genres d’agréable l’un flatteur, l’autre sévère, mais tous deux excités par la variété et la vie. Au-dessus de ces deux espèces d’agrément est le beau , qui a pour caractère fondamental l’unité. Nous avons donc résolu notre première question il est certain en fait que nous concevons du beau dans la nature, et que nous ne sommes pas seule- ment réduits à sentir de l’agréable ; que le beau et l'agréable ont des caractères différées ; que le second est l’objet d’une sensation individuelle qui n’a J200 VINGTIÈME LEÇON, plus de valeur hors de la sphère de chacun , et que le second appartient à un jugement universel, à un monde supérieur aux hommes, à la souveraine raison i 0X1 U EAU. - 201 VVYVVV\VVVW\ vwvwwvwwwWM/wfcvviwvvtaiw v wvw V\v AV VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. Du beau idéal. — Comment arrivons-pous à le concevoir. .-—De l’imitation. — De la création.— L’esprit débute par le concret et l’abstrait, par l’individuel et l’absolu. — L’art doit exprimer l’individuel et l’absolu, plaire à la sensibilité physique, et satisfaire la raison, unir le réel et l’idéal. — Simultanéité de l’idée individuelle et de l’idée absolue. — Spontanéité et réflexion ; vue concrète et vue abstraite. —> Abstraction immédiate i> Nous avons vu dans la leçon dernière. qu’il y a du beau naturel, qu’il se distingue de l’agréable; quel est. le caractère de l’un et de l’autreet par quelles opérations psychologiques nous arrivons à les saisir. Nous devons aujourd’hui insister * Voyez, Fragmens philosophiques, du beau réel et du beau ideai 7 de ]a page 3 27 M la page 336 première édition. 302 VINGT-ET-UNIÈME LEÇON, sur le beau idéal, et considérer dans quel ordre' lés deux genres de beauté’se manifestent à notre esprit. . INous. nous sommes déjà demandé si le beau idéal n’est qu’une généralisatiôn appliquée aux objets de la nature, ou s’il diflère des données expérimentales ; nous avons ramené la question à celle-ci le cercle géométrique n’est-il que la collection des divers cercles imparfaits que nous trouvons dans la nature, ou doit-il être regardé coi unie quelque choso d’absoju et d’indépendant de au te collection expérimentale? J’ai essayé de montrer que si le cercle n’est cercle qu'en vertu de la définition , la ligure qui ne satisfait pas aux conditions demandées par cette définition n’est pas un cercle. C’est ce qu’on peut dire des cercles de la nature ; de sorto que nul cercle naturel, et même nul cercle artificiel, n’est un cercle. Si le cercle géométrique , avons-nous dit, n’est que la collection de plusieurs cercles naturels, if ne peut y avoir dans cette collection que. ce qu’il y a dans les individus; car une collection n’est qu’une somme, et ne contient que ce qui se. trouve déjà dans les parties additionnées^ Or , si chaque cercle, considéré isolément, est dilïérent du cercle géométrique, la somme les cercles naturels, de quelque façon qu’on la considère, ne pourra jamais donner le cercle de la géométrie. Comment arrive-t-il donc que l’intelligence conçoive le* cercle? quelle est’ DU BEAU. ao3 cette opération de l’esprit qui nous fait imposer la notion de cercle parfait, à une figure imparfaite, ou transformer la figure naturelle en figure parfaite? •• Une académie i a ouvert un concours sur la question suivante Quelles sont les principales rait- sons qui produisirent chez les Grecs les grandes époles de sculpture et de peinture ? par quel moyen pourrait-on les reproduire? L’auteur couronné, M. Eméric David, prétendit que c’était par la contemplation et l’étude assidue des formes réelles, par la reproduction exacte des objets naturels, que les anciens avaient élevé les arts au plus haut degré de la perfection ; qu’aiusi l’imitation pouvait seule faire parvenir à cette beauté grecque , .véritable expression de la vie. M. Quatremére de Quincy 2 combattit l’opinion du lauréat; il avança que ce n’était pas par l’étude des formes naturelles, mais par la réalisation du beau idéal, que les Grecs tirent au jour ces œuvres qu’on rie retrouve pas dans la nature ; il montra qu’il, y a deux grands principes dans les arts, l’un individuel et d’imitation, l’autre général., abstrait, absolu et de création. Le prç- niier ne saurait produire que des portraits ; le second atteint à la beauté pure. M. Entériç David 1 L»a troisième classe de Hnsfitut Académie des inscriptions et belles-lèttres T en 1807. 2 Voyez Archives littér, et philos, m! l’Eusope , tomes 2 , 304 VINGT-ET-UJN1ÈME LEÇON, avait soutenu que le beau idéal est dans le modèle, et le modèle dans la nature; i\I. Quatremère établit que le modèle, si beau qu’il soit, n’est toujours que le moins imparfait des individus humains. L’art, suivant M. de Quincÿ, exprime le général ou l’absolu; suivant M. Eméric David, il exprime l’individuel. On peut concilier ces deux théories, car nous ne procédons dans les arts nipar l’individuel tout seul, ni uniquement par l’absolu. Nous livrons-nous exclusivement k la contemplation d’un seul individu, ou concevons-nous un modèle tout- à-fait idéal dont on ne trouve aucun vestige dans la nature vivante ? La question se ramène encore ici à celle du cercle géométrique. ÎYlon opinion est que nous commençons-à la fois par l’individuel et par l’absolu. A la vue d’une ligure naturelle qui affecte grossièrement certaine propor tion , l’esprit doué de la faculté de concevoir l’absolu, à propôs dii particulier , construit cette figure grossière -en un cercle parfait ; mais jamais l’homme ne pourra réaliser matériellement un cercle géométrique ; il ne produira qu’un cercle naturel, et par conséquent un cerclé imparfait. C’est ainsi que l’idée du vrai, du beau et du bien est toujours mêlée de deux élé- mens, 1 un concret et particulier, l’autre abstrait et absolu. * Comme nous 1 avons déjà dit, il y a deux espèces d’abstraction t° nous examinons plusieurs individus ; nous écartons leurs diilèrenccs, pour n r nu BEAU. 2û5 saisir que leur ressemblance , dont nous lbrmous une sorte d’unité collective ; cette opération de l’esprit peut se nommer abstraction comparative ; 2° par une abstraction d’un, autre genre, un individu étant donné, sans avoir recours à aucune comparaison, nous dégageons du Soin de l’individuel un point de vue général et absolu j’appelle ce procédé de l’esprit absti’action immédiate. Ce n’est pas .seulement au vrai géométrique et à la conception du beau dans les arts que cette opération s’applique, c’est aussi à la conception du bien moral. Ainsi, sommes témoins d’une bonne action , notre intelligence laisse de côté tous les élémens particuliers, toutes les circonstances individuelles , pour s’élever sur-le-champ à la conception du bien absolu. Quelques philosophes prétendent qu’avant déjuger l’acte le plus simple., il faut posséder les idées absolues de mal et de bien ; les autres pensent qu’il est absurde de placer le général et l’absolu au début des connaissances humaines, et que l’esprit doit commencer par l’indi- duel. La solution de la dilliculté se présente quand on ne; la cherche pas dans un parti extrême tout fait primitif est à la fois individuel et général. Si vous dites que l’on débute par l’absolu , vous placez l’esprit dans une condition incompréhensible ; si vous avancez quil débute par l’individuel, j e délie que vous eu puissiez jamais tirer l’absolu. Cest de la même façon que nous nous élevons au prin- 206 VINGT-ET-UNIÈME LEÇON, eipe le causalité je veux mouvoir mon liras; je le meus, et au meme instant j’ai la perception immédiate de cause et d’effet moi cause ; mouvement effet. Rien n’est plus individuel que chacun de ces deux termes, et cependant, aussitôt que ce rapport s’est placé sous les yeux de la conscience , les deux termes disparaissent pour ainsi dire, et il ne reste plus que le rapport cause et effet, ou le principe de causalité qui peut se formuler ainsi tout commencement d’existence suppose unecause. C’est ainsi que s’opère le passage de l’individuel au général, du réel au nécessaire on va de l’un à l’autre par une opération naturelle et simple nulle idée individuelle sans idée générale , nul contingent sans absolu. L’homme ne voit Dieu que dans ces formes . le vrai, le bien et le beau ; et il ne voit ces formes absolues que dans le relatif, dans le contingent, dans le moi et le non-moi. Le beau idéal se tire donc du beau réel par une abstraction' immédiate qui aperçoit l’un dans l’autre. L’opération est double ; si elle ne l’était pas, on n’obtiendrait que l’individuel tout seul, ou l’absolu sans l’individuel, c’est-à-dire la vie sans!’idéal-, ou 1 idéal sans la vie. L’art doit s’attadber à reproduire également l’idéal et la nature. Le beau idéal ayant été séparé du beau naturel, qu’est-ce maintenant que le beau idéal ? Le beau est identique avec le bien et le vrai nous avons dit, dans une leçon précédente i qu’il n’y avait p-'S DU BEAU. 207 une seule- vérité , mais plusieurs vérités. Donnez- moi, disais-je, une venté, je me charge d’en trouver une plus élevée et plus, vaste ; donnez-moi une belle action , j’en trouverai une encore plus belle. 11 en est de même de l’idéal il reste indéterminé ; c’est un point qui recule sans cesse, et qui fuit jusqu’à l'infini. Toute œuvre de l’art, quelque, idéale qu’elle soit, est encore individuelle l’Apollon affecte certaines formes, présente telle ou telle attitude T il est déterminé, il n’est donc pas l’idéal lui-même ; autrement il n’y aurait qu’un seul genre d’idéal, et toutes les statues devraient être jetées dans le même moule. Toute œuvre de l’art n’est donc qu’une approximation le dernier terme de l’idéal est dans l’infini ou en Dieu. Depuis la limite où les efforts humains expirent jusqu à Dieu, existe un intervalle qui ne peut se combler. Il en L. t ainsi pour le vrai jamais voiis n’atteignez l’être vrai en lui-même ; il en est ainsi pour le bien vous avez beau épurer le réel, l’élever à la plus grande hauteur, le bien absolu est toujours plus haut et plus pur , et nous ne l’atteignons jamais.. L’infini est l’origine et le fondement de tout cé qui est il sc révèle à nous par le vrai, le bien et le beau; en descendant de cet être suprême , on arrive à tuie suprême beauté, qui est la moins éloignée du type infini, mais qui en est déjà bien loin; de là , de dégradation en dégradation , vous descendrez à la beauté réelle ; vous aurez parcouru 208 Y IX G T - F. î - U N1È M E LEÇON. une multitude de degrés intermédiaires, vous aurez rencontré l’art et tous les degrés de l’art, l’Apollon, la Vénus, le Jupiter, etc., et au- dessous de l’art, la .nature , et tous les degrés de la beauté naturelle. Souvenez-vous cependant cpie toutes ces sphères différentes se touchent et se pénètrent pour ainsi dire. Au-dessous du beau, enfin, vous trouverez l’agréable, c’est-à-dire, après les objets du jugement, les objets de la sensation. N’oubliez pas surtout que le beau et l’agréable, pour être divers, n’en sont pas moins quelquefois simultanés, et que dans ce cas le jugement et la sensation s’aceompagnent. Nous pouvons entreprendre maintenant la définition de Tait. L’art est-il au service de la sensibilité physique ou de la raison, ou, en changeant les expressions du problème, sans en changer la nature, l’art représente-t-il l’individuel ou l’absolu , l’idéal ouïe réel, l’infini ou le fini? Je réponds que l’art représente la vie humaine tout entière or, la vie se compose d’invisible et dè visible, d’infini et de fini, de jugement et de sensation. L’art doit donc, se proposer deux buts plaire à la sensibilité physique , satisfaire la raison. Quand l’art ne reproduit que la réalité vivante, il est incomplet; s’il voulait réaliser le beau idéal sans la vie, sans la forme réelle, ses ellorts seraient vains. Le génie, c’estl’aperception vivent rapide delaproportion dans laquelle doivent s’unird'idéal et le naturel. L’artiste 1> li HUAI. a°9 veut représenter ]a vie il faut donc qu’il s’attache au déterminé , à l’individuel, qu’il soit imitateur ; d’autre part, il veut idéaliser son œuvre il faut qu’il l’approche autant que possible de l’inlini, de l’unité. Le phénomène et l’être se partagent toutes les idées, le phénomène est varié , l’être est unique, l’art qui représente l’unité et la variété représente donc aussi la substance et le phénomène. Unité et variété, telles sont donc les deux règles suprêmes de l’art. D’après cette théorie, quelle méthode doit-on suivre dans l’enseignement des beaux-arts ? Les élèves doivent-ils commencer par l’idéal ou par le réel?par l’unité ou pur la variété? M. Quatremère se déclare en faveur de l’idéal. Pour moi, je pense que les Grecs n’ont débuté ni par le réel ni par 1 idéal tout seul , mais par l’un et l’autre à la fois. La nature ne commence ni par l’un ni par l’autre, c’est-à-dire qu’elle n’offre jamais le général sans l’individuel, ni l'individuel sans le général. Pourquoi ne mettrait-on pas les élèves aux prises avec la variété et avec l’unité en même temps, et ne les ferait-on pas marcher comme les Grecs et comme la nature ? Nous avons déjà résolu les questions les plus importantes sur l’idée de la beauté. Nous avons vu qu’il y a du beau dans la nature; que le beau idéal diffère du beau naturel; qu’il est impossible de déterminer l’idéal ; que c’est pour ainsi I/ 310 VINGT- ET -UNIÈME LEÇON, dire un plan mobile entre la nature et l’infini. Nous avons cherché comment l’esprit saisit le beau réel et le beau idéal, enveloppés pour ainsi dire l’un dans l’autre. Dans tout objet qui réfléchit plus ou moins la beauté , se rencontre l’élément indi viduel et l’élément général. Toute figure humaine est composée d’un certain nombre de ' traits individuels qui la distinguent de toutes les autres , et en même temps elle offre des’ traits généraux qui en font ce qu’on appelle x non pas la physionomie de tel ou tel individu, mais la figure humaine. Ce sont'ces linéamens constitutifs qu’on fait tr acer à'l’élève qui débute dans l’art du dessin. Nous ne voulons pas dire que les traits généraux ou communs de; l'humanité soient le type de la beauté, mais que sous chaque figure naturelle l’esprit saisit la proportion , la régularité, l’unité , ou en un mot l’absolu. L’essence et l’individualité, voilà pour ainsi dire les deux pôles de tout objet observable. L’essence ne peut changer, car la changer ce serait la détruire; l’individualité, au contraire, peut subir une multitude de variations. Aux termes d’essence et d’individualité , nous pouvons substituer ceux de substance et de phénomène, et nous obtiendrons ces axiomes , déjà bien connus de nous ; dans tout objet il y a la substance et le phénomène; le phénomène constitue le variable, la substance constitue l’invariable. Tout ce qui existe participe donc à l'absolu ; tout ce qui est n’est pas UU BEAU. 21 ï Dieu, mais doit avoir quelque chose de Dieu. Maintenant comment nous sont donnés la substance et le phénomène ? laquelle des deux idées germe la première au sein de l’intelligence ? Ni l’une ni l’autre, mais toutes les deux à la fois. L’esprit ne commence ni par une analyse, ni par une synthèse, si ce mot signifie une recomposition , fille de l’analyse, mais par ce que je pourrais appeler une thèse , une composition , ou plutôt un fait 'complexe. Cet état primitif est obscur, confus nous n’en distinguons pas les deux élémens ; complexité et obscurité sont synonymes; il faut décomposer et recomposer le complexe pour l’éclaircir. Or, comme tout spontané est complexe, tout spontané est obscur. L’analyse seule enfante la lumière, et l’analyse suppose la réflexion , qui n’est, comme vous le savez, qu'un second point de vue de l’esprit. L’ôbjet extérieur nous est donc donné d’abord comme un composé, un ensemble de deux élémens la substance et le phénomène, l’invariable et le variable, l’absolu et le relatif. L’opération interne qui s’applique à cet objet est également composée ; c’est le jugement et le sentiment , l’intelligence et l’amour. Tel est le début de l’humanité , telle est la base sur laquelle doit tra= vailler la philosophie. En effet, qu’est-ce que la philosophie? Un éclaircissement, et l’éclaircissement suppose des ténèbres antérieures. La lumière sort donc de la nuit, c’est-à-dire que la philosophie 14. A I A UiUiT-El-UUÈMK LEÇON. ou Ja réllexion part de la spontanéité. La réflexion décompose, divise les parties pour les éclairer, puis elle les recompose et les réunit dans, leur ensemble; la complexité n’exclut pas alors la clarté. C’est dans cet état que l’on distingue nettement, et que l’on peut contempler l’un après l’autre le général et le particulier, l’absolu et le relatif, la substance et le phénomène ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, vous divisez alors le composé, vous ne le créez pas, vous n’ajoutez pas un terme à un autre, vous allez de l’un à l’auti'c, mais ils coexistaient primitivement tous les deux. L’analyse n’a rien créé, elle n’a fait que dégager des élémens existans. L’analyse procède par abstraction ; mais, je le répète encore, l’abstraction est de deux espèces. Par l’une on parcourt une série d’individualités , on dégage les caractères communs, et on arrive ainsi, après une attention minutieuse , à une idée abstraite collective. Telle est l’abstraction médiate ou comparative, médiate parce qu’elle naît de l’observation de plusieurs objets , comparative para que son instrument est la comparaison. L’aut -e espèce d’abstraction saisit, immédiatement ce que le premier objet soumis à son inspection renferme de général, ou plutôt d’absolu. Et en eflèt, si dans chaque objet il se trouve de l’absolu, nous n’avons p as besoin de comparer successivement plusieurs objets pour dégager un élément Dti BEAI’. 3 1 3 qui se rencontre aussi bien dans le premier que dans le dernier. Lors donc que dans un objet complexe je néglige le variable, le contingent, le déterminé, pour ne considérer que l’invariable, l’indéterminé , le nécessaire , j’obtiens une idée absolue, abstraite et immédiate, absolue parce qu’elle n’a plus rien d’individuel, abstraite parce qu’elle a été recueillie dans les enveloppes de l’individualité , immédiate parce qu’elle n’a pas eu besoin de la comparaison d’un grand nombre d’objets , mais quelle s’est dégagée à l’inspection d’un seul. Ainsi nous commençons par le complexe et nous finissons par le simple. Dans la nature, les parties et l’ensemble, le simple et le composé, les sons et l’harmonie, les instrumeus et le concert, tout cela est contemporain ; il n’en est pas de même dans l’esprit, de l’homme, où le simple ne vient qu’a- près le* complexe, parce que la réflexion est postérieure à la spontanéité. Appliquons toutesces réflexions àl’idée de beau té. Primitivementle beau naturel nous apparaît comme composé d’individuel et d’absolu ; c’est un complexe obscur, confus, indistinct. Ultérieurement 1 abstraction immédiate dégage l’absolu du sein de l’individuel, et l’élève à l’état de pureté et de simplicité. Ainsi, après avoir perçu d’abord le beau mixte, nous obtenons le vrai beau , le beau pur, et l’idéal est trouvé. Au point de départ il n’y a pas d’idéal, mais le beau réel, le beau nature], le 214 vingt —ET—U NIÈME leçon. beau renfermé dans un concret, enfoui dans la complexité. Quand l’abstraction l’en a dégagé * il brille de toute sa simplicité. LS beau idéal dillere du beau naturel, en ce que le second tombe à la fois sous la perception des sens et de fesprit, tandis que le premier n’est jamais vu par les yeux , et demeure toujours une pure conception de l'intelligence. Le beau naturel peut être vu> le beau idéal ne peut être que pensé. V ♦ • n > , ! . .xi * » • /fur ; DU BEAU, ai5 \>W»W»V\V VINGT-DEUXIÈME LEÇON. Du sentiment du beau qui accompagne le jugement de de beauté i. — Ce sentiment se distingue i°'de la sensation et du désir de possession. — 2 0 De la pitié et la terreur.—3° De la recherchedel’intérêt, soit particulier, soit général. — 4° De l’illusion. — 5° Du sentiment moral et religieux. —- L’art est sa propre fin à lui- même , comme la religion et la morale sont leur propre fin. Nous avons accompli déjà unegrandepartiedela tàclie que nous nous étions imposée dans nos recher- chessuiTidéedubeau ; nous avons examiné en quoi consistelebeauréeletle beauidéal, etcommentnous passons de l’un à l’autre ; nous avons indiqué les caractères extérieurs du beau naturel et du beau absolu ; nous avons vu qu’au double caractère du l Voyez, FrIGMEns philosophiques . du beau réel et du beauidéal^ page 324* 216 VIN G T - D E C X 1ÈTVI E LEÇON, beau, c’est-à-dire à l’absolu et-à riiulividuel, à l’unité et à la variété, correspondent deux phénomènes intimes un jugement et une sensation. Nous devons signaler maintenant un élément dont nous n’avons pas encore parlé, qui est intermédiaire entre la sensation et le jugement; tenant de la première, parce qu’il est aussi un plaisir, une expansion , un amour ; tenant du second, parce qu’il en est toujours précédé , et qu’il lui doit son origine c’est le sentiment du beau. La sensation est variable, nous ne prétendons l’imposer à personne ; nous laissons chacun maître de sa sensibilité physique, comme on nous laisse entièrement maîtres de la nôtre ; mais le sentiment, fils du jugement , emprunte à celui-ci son caractère d’universalité. Placez-vous devant un objet de la nature, dans lequel tous les hommes reconnaissent de la beauté; examinez le phénomène total qui se passe en vous à cet aspect, et cherchez à en dégager les élémens . il est certain que vous prononcez que l'objet est beau, et que vous prononcez ce jugement d’une manière absolue; vous savez que ce n’est pas vous qui laites votre jugement, mais qu’il vous est imposé du dehors ; et si l’on vient vous contredire, vous allumez qu on se trompe ; qu’il ne s’agit pas ici d’un fait qui vous soit personnel, mais d’une lumière objective qui éclaire tous les esprits- Il est encore certain qii’après avoir jugé que l’objet DU IiE VI. 31'J est beau, vous sentez sa beauté, c’est-à-dire que vous éprouvez une émotion délicieuse, et que vous êtes attiré vers l’objet par l’amour, suite inévitable du sentiment de plaisir. Si au contraire l’objet en présence duquel vous vous trouvez est en opposition avec le beau, vous jugezde sa laideur, et vous éprouvez un sentiment contraire à celui que nous décrivions tout à l’heure. De ce sentiment naît l’aversion ou la haine la haine accompagne toujours le jugement du laid comme l’amour le jugement du beau. Ainsi, la beauté et la laideur sont à la fois en rapport .avec le jugement et avec le sentiment. Le jugement et le sentiment, tels sont les deux vrais élémens internes dé l’idée du beau. Nous avons insisté sur la nature du jugement, sur sa nécessité absolue, sur sa valeur objective, niée par Kant et par Fichus; nous présenterons aujourd’hui quelques considérations sur la nature du sen liment qui se joint au jugement du beau. Plusieurs théories ont été mises en avant sur la nature de ce sentiment. Nous parlerons d’abord d’une doctrine née en France au dernier siècle, et plus ou moins adoptée par les sectateurs de la philosophie qui lui a donné naissance. D’après cette théorie, le sentiment excité en nous par la vue du beau exteneur est une pure sensation suivie du désir de la possession. À la vue d’un vase antique, par exemple, vous vous sentez ému d’urîe sensation agréable; vous désirez la possession de cette 218 vingt-deuxième leçon. œuvre de l’art, et c’est pour cela cpie vous l’appelez Icelle. Nous pensons que la vérité est préciser ment dans le contraire de cette opinion, et que le sentiment du beau est entièrement désintéressé ; que loin d’éprouver le moindre désir de nous emparer de l’objet, d’en jouir, de l’assimiler à nous- mêmes par ime réunion intime, notre sentiment reste pour ainsi dire sur lui-même, et se mêle d’une sorte de vénération qui retient le moi dans sa sphère intérieure. Loin que le sentiment du beau soit le désir de possession, je dis que partout où naîtce désir, le sentiment du beau n’existe pas ou s’évanouit. Prenons un exemple où le désir de possession se montre dans son plein développement; plaoons- nous en présence d’une table chargée de mets délicieux le désir de jouissance ou de possession s’éveille, mais non*pas le sentiment du beau. Le désir de possession est. un besoin d’assimiler l’objet à nous-mêmes, le sentiment du beau n’est pas un besoin ; il ne nous demande rien au dehors ; il est satisfait par cela seul qu’il existe. Si au lieu de songer à la saveur des mets, j’ènvisage l’ordonnance et la symétrie des vases et des coupes, le sentiment du beau pourra naître, niais ce ne sera pas le besoin de m’approprier cette symétrie. C’est de là probablement que ilurke a été conduit à cette remarque, dont il n a pas aperçu lui-même loule la portée ; le propre de la beauté est, non pas d’exciter le désir, mais de tendre à l'étouffer. OU BEAU. 2ig En effet plus la femme est belle, plus, à son aspect, le désir est remplacé par un sentiment pur, par un culte désintéressé. Tel est le langage d’un véritable ami de l’art. Si la vue d’une belle statue réveille en vous le désir de la possession, 11e vous mêlez pas du beau, vous n’êtes pas fait pour le sentir, vous n’êtes pas artiste. Le sentiment du beau n’étant pas le désir, que dirons-nous de ces peintres qui cherchent à faire illusion aux sens , à reproduire exactement le réel, à représenter les formes qui peuvent réveiller l’appétit sensuel, le désir de la possession ? le but de l’art est manqué par eux, rien de cé qui est désiré n’fest beau , et rien de ce qui est beau n’excite le désir. Je passe à une seconde théorie, plus spécieuse et plus difficile à combattre, parce qu’elle s’appuie sur un ordre de sentimens plus relevé que le désir de possession. Je veux parler de celle qui confond le beau avec le pathétique , et ramène le sentiment du beau à la pitié et h la terreur. Remarquez que la question n’est pas de savoir si le beau ne peut pas éveiller des sentimens de ce genre, ou si le sentiment du beau ne peut pas être accompagné de quelque émotion dilférentè de lui-même, mais si- l’objet propre de ce sentiment est le pathétique. Dans cette dernière hj-pothêse , tout objet naturel , excitant la pitié . ou la terreur , serait appelé S 20 VINGT-DEUXIEME LEÇON. beau. Or, que je rencontre .sur ma route des malheureux mourant de froid et de misère, ma pitié s’émeut vivement, et cependant je ne dis pas que ce soit là un beau spectacle. De même un animal hideux peut répandre la terreur, et. cependant il ne sera pas beau, parce qu’il sera terrible. De la nature passons à l’art. Sx les objets -dont xxous pallions tout à l’heure ne sont pas beaux dans la nature, sullira-t-il que l’art les imite pour les revêtir de beauté ? Dans ce cas , rien ne serait plus beau que l’imitation du supplice capital. pas que nous sommes quelquefois plus vivement émus de terreur et de pitié par un drartie informe que par la plus parfaite des .œuvres du théâtre? Je dis plus la pitié ou la terreur,, portée à un degré trop élevé, étouflb le sentiment du beau. Lucrèce a' dit que ce n’est pas le plaisir de voir la souffrance des naufragés qui constitue la beauté d’un naufrage; ne la cherchez pas non plus dans la pitié ou la terreur, car de pareils sentimens nous éloigneraient de ce spectacle ; il faut une émotion différente de celles-là, et qui en triomphe pour nous attacher au rivage cette émotion, c’est le pur sentiment du beau, causé par la grandeur du spectacle , par la vaste étendue des flots, par les mouvemens majestueux des vagues et du navire. Si nous songeons un instant que sous ces vastes propor- 1H BEAL. 32i tions se cachent l’agonie et le râle des mourans, nous ne pouvons plus supporter ce spectacle, le sentiment du beau a disparu. C’est pour cela que la représentation scénique d’un naufrage est plus belle qu’un naufrage réel le sentiment du beau n’est pas alors étouffé par la pitié ou la terreur; il peut en être accompagné, mais il les domine c’est donc un sentiment tout spécial, et dont l’objet n’est pas le pathétique. il existe un troisième système qui veut ramener le beau ii l’utile il a quelques rapports avec la première théorie. Le désir de la possession s’applique à un objet immédiatement agréable ; l’utile est un objet qui nous deviendra plus tard agréable, ou qui doit nous procurer un autre objet agréable par lui-même ; l’utile est donc de l’agréable à _ venir. Mais l’utile n’est pas plus que l’agréable, une seule et même chose avec le beau. Voyez un levier, une poulie assurément rien de plus utile ; cependant vous n’êtes pas tenté de dire que cela soit beau. Battu de ce côté, le système se retranche dans l’utilité générale. S’il n’est pas vrai, dit-on , qu’une chose , envisagée comme utile à vous seul ,’ soitinarquée parcela même du caractère de beauté, vous ne pourrez refuser le nom de beau à ce qui est utile à tous. L’utile, avons-nous dit, n’est que le chemin de l’agréable; or, si l’agréable n’est pas beau, même quand il est goûté par tous les hommes, pourquoi l’utile serait-il mieux partagé? Si 1 utile 222 VINGT-DEUXIÈME LEÇON. n’est pas le beau, que dire de l’artiste qui se met au service de l’utilité ? Le peintre n’est plus qu’un décorateur ; le musicien devient un artisan. Le véritable artiste n’a d’autre but que d’exciter le pur sentiment du-beau. Une quatrième doctrine a pensé que le beau n’était ni l’agréable, ni l’utile, ni le pathétique, mais l’imitation de tout cela, et de quelque chose de plus encore , c’est-à-dire la copie de toute réalité; elle identilie le sentiment du beau avec l’illusion. L’art est ainsi réduit à un trompe-l’œil. Mais alors il ne contiendra pas plus de beauté que la nature ; et si tout ce qui est dans la nature n’est pas beau , vous n’aurez rien fait pour' la délinition delà beauté, quand vous aurez dit qu’elle est une imitation du .naturel. Que vous transportiez sur le théâtre français la place publique d’Athènes, ou l’intérieur du sénat romain; que vous me montriez J3rutus avec son costume véritable, que vous ayez ramassé, s’il est possible, le niême poignard qui lut l'instrument de son meurtre ; si le rôle de Bru tus n’a pas été beau dans la nature, il ne sera pas beau sur la scène. L’illusion n’est donc pas I e Sentiment du beau. Si je croyais qu’lpbigénie lût une jeune lille innocente, sur le point d’être immolée par son père, je sortirais de la salle en lrémissant d’horreur; si je croyais qu’Ariane fût une amante abandonnée , dans cette scène pathétique où elle demande qui lui a ravi son amant, je répondrais DU BEAU. 223 comme cet Anglais, sous le joug le l’illusion qu’on réclame ; c’est Phèdre ! c’est Phèdre ! Que l’on eût demandé, sur le moment même, à cet Anglais, si ce qu’il voyait était beau , il aurait répondu que c’était coupable, et rien de plus. Je ne dis pas que l’illusion ne puisse accompagner le sentiment du beau; mais je soutiens qu’elle né le constitue pas. J ’examinerai enfin une dernière théorie qui confond le beau avec la religion et la morale, et par conséquent le sentiment du beau avec le sentiment moral et religieux. Dans cette opinion, le but de l’art est de nous rendre meilleurs, et d’élever nos cœurs vers le ciej. Que ce soit lit un des résultats de l’art, je ne le conteste pas, puisque le beau est une des formes de l’infini comme le bien ; et que nous élever vers l’idéal, c’est nous élever vers 1 infini ou vers Dieu. Mais je prétends que la lorme du beau est distincte de la forme du bien ; et que si l’art produit le perfectionnement moral, il ne le cherche pas, il ne le pose pas comme son but. Le beau dans la nature et dans l’art ne se rapporte qu’à lui-même; aiusi, dans uneoucert, à l’audition d’une haute et belle symphonie, je demande si le sentiment que j’éprouve est toujours un sentiment moral ou religieux. Je saisis l’idéal qui se cache sous la diversité et la variété clos sons qui frappent mon oreille; cet idéal est ce que j’appelle le beau , mais ce n’est dans ce cas uj la vertu ni la sainteté. Je lie dis pas que le sentiment pur et désintéresse du beau VINGT-DKIj XIÈ1ME LEÇON. ne soit un noble allié du sentiment moral et du sentiment religieux, et que le premier ne puisse réveiller les deux autres ; mais il ne faut pas les confondre. Le beau excite un sentiment interne , distinct, spécial, qui ne relève qùb de lui-même ; l’art n’est pas plus au service de la religion et de la morale qu’au service de l’agréable et de l’utile ; l’art n’est pas un instrument, il est sa propre fin à lui-même. Et ne croyez pas que je le rabaisse, quand je dis qu’il ne doit pas servir la religion et la morale, je l'élève, au contraire, à la hauteur de la morale et de la religion. La défense que je viens de présenter en laveur de l’art pourrait être reproduite en laveur de la religion et. de la morale elle-même. On a voulu aussi les donner toutes deux comme des instrumens, comme des moyens, et la fin qu’on leur assignait, c’était l’intérêt ou l’utilité. 11 faut, dit-on, de la religion et de la morale pour la sûreté de l’état. Rien de plus immoral, rien de plus athée qu’une pareille doctrine. La religion et la morale sont ce qu’il y a de plus élevé ; il ne. faut donc les mettre'au service d’aucune autre chose que d’elles-mêmes, ni surtout an service de l’intérêt. 11 faut de la religion pour la religion , de la morale pour la morale , comme de l’art pour l’ai t. Le bien et le saint ne peuvent être la route de l’utile, ni même du beau ; de même que le beau ,,e Ut! BEAU. 225 peut être la voie ni de l’utile, ni du bien , ni du saint; il ne conduit qu’à lui-même. Rappelez-vous ce que nous avons dit des trois formes de l’inlini , et vous reconnaîtrez à quelle hauteur l’art s’élève dans cette théorie,. Dieu se manifeste à nous par trois formes accessibles à notre faiblesse par l’idée du vrai, par l’idée du bien et par l’idée du beau; ces trois idées sont toutes trois filles du même père, et égales entre elles, toutes trois contemporaires dans l’esprit humain comme dans la vérité éternelle ni l’une ni l’autre ne doit être mise au service de ses sœurs. On a dit que les Grecs avaient conçu la poésie comme un moyen politique quand ils célébraient sur le théâtre l’héroïsme fie leurs ancêtres, ils étaient portés, dit-on, à imiter ces modèles. Je l’accorde; mais ce patriotisme , enfanté par l’art , n’était que sa création médiate. Le poëte avait d’abord excité le sentiment du beau. Il en est de tous les arts comme de la poésie. La peinture, la sculpture, la musique, peuvent concourir à la production du sentiment moral et du sentiment religieux ;. mais d’abord elles ont causé un sentiment spécial, parce que 1 idée du beau est une idée irréductible à aucune autre. La morale et la religion peuvent gagner à la compagnie des beaux-arts; l’art peut aussi s’embelhr du cortège' de la religion et de la •i ° “ morale, mais n y a une grande différence entre se secourir mutuellement et se produire l’an i5 m i i osoi»niï!. 226 VINGT-DEUXIÈME LEÇON. l’autre, et, ce qui est plus encore, s’identifier. - Je me résume le sentiment du beau, excité par la présence d’un objet, soit naturel, soit artificiel , est pur et dépouillé de toute idée étrangère. Il ne se rapporte ni à l’agréable, ni au pathétique, ni à l’utile, ni à l’imitation , ni à la religion , ni à la morale. L’art ne doit avoir pour but que d’exciter le sentimeut'du beau, il ne doit servir à aucune autre fin ; il ne tient ni à la religion ni k la morale, mais comme elle il nous approche de l’infini, dont il nous manifeste une des formes. Dieu est la source de toute beauté, comme de toute vérité, de toute religion, de toute morale. Le but le plus élevé de 1 art est donc de réveiller à sa manière le sentiment de l’infini. DU BEAU. 22*7 b wwwwvvm vwvwvww m v'vW'V'wwwwv^ wwwwwwvvwwv'WW\vv>AW / V\ VINGT-TROISIÈME LEÇON. Retour sur la sentiment du beau et du désir de possession.—Le beau est immédiat, l’utile ne l’est pas — Le beau comme beau est inutile. — Le sentiment du beau se place entre le jugement absolu qui le détermine et le précède d'une part, et de l’autre la' sensation qui le précède et. qui peut encore 1 accompagner et le suivre, mais avec laque, leil ne se confond pas.— Théorie de l’imagination. — Premier élément de l'imagination mémoire imaginative ou représentative. — Deuxième élément abstraction ou choix rationne et volontaire. — 1 roisième élément jugement et sentiment du beau» — L’imagination n’est ni la sensibilité physique toute seule, ni la raison toute seule, ni la simple réunion de ces deux facultés; il faut y joindre l’amour pur et désintéressé, c’est-à-dire, le jugement et le sentiment’du beau. Nous avons essayé de montrer que le sentiment du beau est un sentiment spécial, nous voulons indiquer maintenant comment il se mêle à l’iina- gination, phénomène complexe dont il constitue l’élément le plus important. Mais auparavant nous i5. au8 . V liNGt-TKOISIÈWE LEÇON, reviendrons en quelques mots sur la distinction du sentiment du beau et du désir de possession, avec lequel il a été le plus souvent confondu. Pour que le seutimentdu beau soit pur et désintéressé , il faut que le beau ne soit ni l’agréable ni l’utile. Nous avons dit que si le beau n’était que l’agréable, tout agréable serait beau. Or, en fait, est-il vrai que toute forme agréable, c’est-à-dire excitant le désirde possession, soit marquée du caractère de beauté? Nous avons prouvé que d’une part le désir est souvent excité en nous par des objets que la raison rejette du rang de la beauté, et de l’autre que si un objet excite Je désir d’assimilation , ce n’est pas par le côté que les hommes appellent beau. Le sentiment du beau et le désir d’appropriation se repoussent mutuellement. Ce que nous disons des objets de la nature s’applique aux objets de l’art . si celui-ci, par une imita Lion ii- dèle, excite le désir de possession, il détruit par cela même la beauté. Nous accordons toutefois que la sensibilité physique peut se mêler à la sensibilité morale, c’est-à-dire que le même objet excitera par un de ses côtés le sentiment du beau , et par l’autre la sensation agréable Ainsi 1 homme, en présence de la beauté de la femme , éprouvera rarement un sentiment pur et unique. Cette beauté, reproduite et épurée par l’artiste, causera peut-être encore chez quelques-uns un mélange de sentiment et de sensation ; mais la sensation est déjà beau- DTJ deau. 229 coup plus rare en présence des productionsdel’art, et âi elle se développe, elle trouble et altère le sen- timentdu beau. Demêmcquenous avons distingué l’agréable d’avec le beau , de même nous en avons distingué l’utile. L’utile, avons-nous dit , estce qui doit nous procurer plus tard l’agréable, ou .c’est un genre d’agréable dont la jouissance est peut-être moins vive, mais dont la perte entraînerait plus de souffrance que tel autre agrément plus immédiat ou plus doux; l’utile n’est donc toujours qu’un agréable plus ou moins déguisé, et montrer que le beau 11’estpas l’agréable , c’est montrer qu’il n’est pas l’utile. Mais nous pourrions, sans analyser l’utile, poser la question comme nous l’avons fait pour l’agréable, et nous demander si tout objet utile est beau, en ajoutant cette autre question tout objet beau est-il utile? jNous avons montré qu’il y a une multitude de choses utiles qui 11e sont pgs belles ; nous avons emprunté à la mécanique des exemples qui nous ont paru convaincans. Maintenant tout objet beau est-il marqué du caractère d’utilité? Je ne veux pas nier que'le beau ne puisse être quelquefois en même temps beau et utile , mais je prétends que la beauté est aperçue indépendamment delutdité. Ainsi, la symétrie et l’ordre sont des choses belles, et eu même temps ce sont des choses utiles, soit parce qu’elles ménagent l’espace, soit parce que les objets disposés symétriquement sont plus faciles à observer et à trouver quand le besoin 2 3o vingt-troisième LEÇON, s’en fait sentir; mais je nie que nous ayons besoin de ce retour sur l’utilité delà symétrie pour la proclamer belle; je dis que nous la saisissons directement, immédiatement, comme belle, et que c’est ultérieurement que nous la jugeons utile. Ainsi le beau est immédiat, l’utile ne l’est pas; et il arrve mille fois qu’après avoir proclamé la beauté d’un objet, nous ne pouvonseux divers objets coin- 2 \\\^vwvt \VV\WAVV> UX VVA\\\IWW»W%W>VV>\%WAlAV\\\%V\\\A'A'^V*V\wv\v VINGT-SEPTIÈME LEÇON. Retour sur le goût et le génie. — Une pensée de Plotin —- Les hommes beaux sont seuls juges de la beauté. — Ecole de Locke. —Ecole de Kant; — Lé beau n’est ni matériel ni subjectif; il est absolu, indépendant de la nature et de l’homme. — Règle de la composition. — Le critérium de l’art n’est ni le plaisir ni la clarté , mais l’expression. -— La poésie est le premier des arts. Puissance symbolique du mot. — L’éloquence, la philosophie et l’histoire ne font point partie des beaux- arts. — Le second des arts est la musique. — Viennent ensuite la peinture, la sculpture, l’architecture et la construction des jardins. Nous avons dit que l’art est la représentation libre du beau, que le génie est le goût mis en action, que l e goût renferme trois élémens qnt correspondent aux trois élémens du beau. Reprenons toutes ces propositions pour qu’un objet soit beau il doit, i “ exprimer une idée ; 2° présenter t 272 VINGT-SEPTIÈME LEÇON, une unité qui lasse briller l’idée exprimée ; 3 ” être composé de parties différentes déterminées ; en' d’autres ternies, idée morale, unité et variéèé , telles sont les trois conditions du beau. L’esprit doit offrir trois phénomènes correspondant à ces trois élémens l’esprit doit saisir l’idée qui est renfermée dans l’objet, apercevoir l’unité sous laquelle l’idée pure se réfléchit, et enfin les parties diverses dont cette unité est le lien. Le' sentiment du beau, la raison et la faculté de représentation, telles sont les trois conditions du goût. Mais ces trois facultés peuvent rester improductives, elles reçoivent et 11e rendent pas; pour former le génie, il leur faut un plus haut degré d’énergie. Le goût apprécie l’idée, l’unité et la variété; le génie produit la variété , l’unité et sous elles l’idée. L’élément le plus important de la beauté, c’est l’idée morale ; l’unité et la variété doivent en être empreintes, et lui servir seulement de manifestation, 9 et, en conséquence , l’élément le plus important k du goût et du génie, c’est le sentiment du beau moral. L’intérieur de l’homme peut seul percevoir l’intérieur de la nature c’est mon aine qui sent l’âme de l’univers. Dans les ouvrages d’un philosophe d’Alexandrie, il y a un chapitre célèbre qui porte ce titre Les hommes beaux sont seuls juges de la heaute. Rien de plus étrange au premier coup d’œil, rien de plus vrai quand on y réfléchit. L’âme seule juge l’âme; le beau est dans les DU BEAU. 273 formes sans être constitué par elles il faut l’en dégager ; le beau n’est qu’une beauté morale , une idée, un sentiment; il. n’y a donc que l’homme beau, c’est-à-dire celui qui possède en lui, soit constamment, soit à un moment donné , l’idée ou le sentiment empreint dans la nature, qui puisse juger le beau, c’est-à-dire , retrouver dans le symbole extérieur l’idée dont il est lui-même pénétré. Toutes les fois que nous saisissons le beau à l’extérieur , c’est que nous le portons déjà dans notre esprit, c’est par notre côté moral seul que nous pouvons nous mettre en rapport avec le moral de la nature. Yoilà ce que Plotin a voulu dire par cette expession singulière les hommes beaux sont seuls juges de la beauté. Mais il ne suffit pas que l’homme porte le beau moral en lui-même , il faut encore qu’il soit doué d’une faculté qui perçoive ce beau. Personne ne s’est avisé de voir dans les êtres inanimés, et même dans les animaux, des juges de la beauté ; l’animal est beau , cependant il ne peut ni reconnaître ni juger la beauté. Quoiqu’il contienne , comme la nature, le beau moral, ni lui ni la nature 11e sympathisent l’un avec l’autre, parce que, tout semblables qu’ils sont, ils ne connaissent pas, cette ressemblance. L’homme seul reconnaît en lui le heau moral, comme dans la nature, connne dans 1 auimal, comme dans ses semblables., et voila pourquoi il sympathise avec l'homme , avec l’animal et avec la nature. Pour comprendre rnitosoruiE. 1 s 274 VIN G T -SEPTIÈME LEÇON. l;i Sympathie do l'homme, il faut s’élever jusqu’à latérite siiprêrhfe, jusqu’à l’être unique et universel, jusqu’il Dieu. Dieu, c’est le fond du vrai , du bien fct du beau c’est l’absolu , qui S e réfléchit tout entier dans foutes ses manifestations, ou, comme bti dit oi’dinairement, dans toutes ses créations. Dicü ést dbric à la fois dans la nature et. dans î’hbtnme, et c’est altisi que s’explique la sympathie de l’ironlme pour la nature. Àiilsi il né fliütpas dire, avec une certaine école^ jue l’homiité est une pu Ce réceptivité frappée par la beauté de la nature -, mais ne possédant pas en lui-même l’idée du beau. Cette théorie a son principe dans les ouvrages de Locke et de Condillac. Si rhbmnie n etaitpas par lui-même une créature morale , comment pdiirrait-il concevoir le moral de la nature extérieure? S’il n’avait pas une intelligence , comment trouverait-il les lois qui gouvernent le monde? L’honunë n’est pas , en naissant, une tablcrase sur laquelle l’univers vient graver la beaüté des objets extérieurs. Sotte beauté serait ignorée dé l’homme, connue elle l’est de la nature , si l’homme n’était doué d’une faculté morale qui saisît le beau en lui-même comme à l’extérieur. L’école de Kant s’est jetée dans l’excès opposé ; elle a pensé qu’il n’y avait dans la nature lien de vrai, de bon et de beau , si ce n’est le vrai, le beau et le bon que l'homme trouvait dans son àme, et D TI BEAL'. 2^5 qu’il réalisait illégitimement au dehors de lui ; ainsi, le philosophe allemand a fait sortir l’extérieur de l’intérieur, l’univers de l’Ame, le non- moi du moi ? comme le philosophe anglais avait produit l’intérieur par l’extérieur , l’homme par la nature, le moi par le non-moi. Tels sont, les deux rivages entre lesquels Hotte la philosophie. L’intelligence humaine, c’est-à-dire, la véritable existence de l’homfne est engagée et compromise tout entière dans la question. Si l’intelligence n’est qu’un reflet de la nature, l’homme n’est pas seulement l’écolier de là nature, il en est encore la production , il n’est que ce qu’elle le fait. D’un autre côté, si la nature n’est qu’une induction de la pensée, elle n’est que ce que nous la faisons, qu’un fantôme que nous pouvons détruire. Telles ont les deux opinions exclusives qu’il faut ljriser 1 une contre l’autre, sans cependant détruire ce qu’elles peuvent contenir dé vérité. A mon avis, la vérité n’est ni lille de l’homme , ni fille de la nature; la vérité existe par elle-même ; mais elle se trouve en moi comme elle se trouve dans la nature. Ainsi la nature est soumise à certaines lois; moi-même je subis des lois qui correspondent à celles de l’univers ; il y a donc de la vérité, de l’absolu daiis la nature et dans .l’homme, quoique l’absolu ne dépende ni de 1 homme, ni de la nature. Ainsi , par exemple, 1 aiiLhnietique est tout-à-lait indepfen- dante de la nature et de l’homme; cependant on 18 . 2^6 VINGT-SEPTIÈME LEÇON, trouve clans l’un et l’autre toutes les vérités dont l’arithmétique se compose ; le rappolt des nombres peut se reconnaître dans l'homme l’homme est une unité; il est aussi une diversité ; il peut compter ses allèctions, et saisir l’unité de sa substance. On retrouve pareillement dans la nature l’unité et la diversité Pythagore avait conçu le projet de ramener toutes les sciences aux mathématiques ; il faisait rentrer dans leur sein, uon-seulemCnt l’astronomie , mais encore la religion , la morale et la politique. La tentative de Pythagore a été reprise de; nos jours; M. llerbart, successeur de Kaiit dans la chaire de philosophie de Kœnigsberg, a publié des ouvrages où il essaie l’alliance de la psychologie et des mathématiques. M. Wagner se propose de publier des ouvrages sur toutes nos connaissances, en les soumettant au calcul. On sait que Condillac, mécontent de la science humaine dans laquelle il ne trouvait pas une assez grande exactitude, forma le projet de construire une encyclopédie des connaissances, à laquelle il aurait donné les mathématiques pour londement, et il a réalisé une partie île ce projet dans son ouvrage intitulé ; La Langue, des calculs. Comme il n’y a pas de phénomène sans substance, toute diversité suppose l’unité, et les lois psychologiques et physiques, qui ne sont que des phénomènes, contiennent toutes quelque chose d’absolu. Ainsi, après deux ou trois mille ans, l’humanité, dans ses esprits d’é- DU BEAI. 2 77 lite, revient à la philosophie grecque ; et, en efïêt, on n’a jamais agité les grands problèmes de la philosophie avec plus de profondeur et plus de fQrce que dans la Grèce. Seulement les philosophes, qui cherchent à saisir un point d’appui fixe et inébranlable, immotum cfidd et inconcussum , qui aspirent à saisir l’absolu, devraient s’attacher plutôt à Platon qu’à Pythagore. Platon, en même temps qu’il a saisi l’absolu, a tenu compte du contingent et du variable, et il n’a pas enfermé l’absolu dans une seule idée, mais il en a] embrassé toute l’étendue. Reconnaissons donc que le beau comme le vrai plane sur la nature et sur l’homme, etque l’homme ni la nature ne son Lie fondement de l’absolu. Si le beau est purement subjectif, s’il dépend simplement de l’homme, il n’y a plus de beauté dans la nature, et rien n’est alors plus variable que le beau. Si le beau est purement objectif, s’il dépend de la nature , il n’y a plus de beauté en l’homme ; si, au contraire, le beau est absolu, s’il se retrouve dans l’homme et dans la nature, il n’est pas étonnant que l’homme sympathise avec elle, qu’il soit juge, et à son tour créateur de la beauté. L élément capital de la beauté, c’est l’idée morale ; 1 idéal diffère du réel en ce qu’il se rapproche beaucoup plus de l’idée morale. Dans toute chose il y a du général et du particulier, de l’unité et de la variété deux objets et deux objets font quatre ob- 3j8 vingt-septième leçon. jets, voilà mie vérité ; mais dégagez l’unité de la variété, vous aurez deux et deux font quatre , c’est- à-dire la forme la plus pure de l’idéal. L’idéal, c’est donc ce qui réfléchit le plus purement l’idée renfermée dans l’objet; le réel, c’est le particulier, c’est ce qui frappe les sens. Le but de l’art est donc d'arriver à l’idéal, c’est-à-dire d’épurer assez là variété et l’unité pour qu’elles reflètent le plus purement possible l’idée morale. Nous arrivons donc à ce pré- uepte fondamental que l’expression est la loi la plus haute de l’art. Tout art qui n’exprime rien n’est pas un art. La seconde loi de l’art, c’est la composition , c’est-à-dire l’emploi des moyens matériels pour arriver à l’expression. Je ne comprendrais rien à une composition qui n’aurait pas ce but. Si, par exemple, j’avais à peindre la femme au moment où elle met un enfant au jour, je disposerais tous les traits de sa ligure, toute l’attitude de son corps, de manière à exprimer la joie et la douleur qui saisissent son àme ; je forais concourir tbus lesindividus qui l’entourent à la même unité d’expression; je ne verrais en eux comme en elle, que des formes symboliques, que des signes hiéroglyphiques qui me seraient donnés pour faire luire sur toute la scène l’idée morale, dont elle doit être la manifestation. Ou comprend par-là toute l’importance de la composition. Mais si elle se borne à placer des ombres près de la lumière, à disposer des lignes pour plaire seulement à l’œil , la composition 0 l . BEAU. 2 79 est la mort de l’art. L’expression, la manifestation de l’idée morale, voilà le but suprême de l’artiste. On peut essayer une classification des arts d’après cette grande loi de l’expression. On a fait reposer sur d’autres bases la classification des arts, mais on n’est parvenu à aucun résultat satisfaisant. D’après l’opinion que ce qui constitue l’art c’est Iç plaisir, on a établi une hiérarchie des arts, à la tête de laquelle se trouvait la musique. La musique est en eilet celui des arts qui parait produire la plus vive éinotipp de plaisir. Les Jjarbarcs qui ont inondé notre capitale en i Bi4, sont restés insensibles aux beautés ,dfe la sculpture et de l ^r- cluteeture, et ont prêté nue oreille attentive aux mélodies de nos .théâtres lyriques. Une autre définition de 1 art a produit une autre classification lç propre de l’art, a-t-on dit, est dette éminemment clair, jet sur cette règle le premier rang s’est trouvé assigné à la peinture.. Quoi de plus clair, en effet? ÎS'exprime-t-elle pas non-seulement les formes et les actions visibles, mais encore les sentimens les plus cachés de l’àm,e ? A l’aspect du beau tableau feprcsentaut le sommeil d’Agamemnon, qui peut §e méprendre sur les passions de Clytemnestre? C’est ainsi que la musique et la peinture ont été tour à tour elevées au premier rang, siuvant qu on a pris pour principes de l’art le plaisir ou la clarté. Mais nous avons? vu que le beau n’est pas syno- 280 VINGT-SEPTIÈME LEÇON . nyme 'de l’agréable, et qu’en conséquence le plaisir n’est pas le sentiment du beau ; le plaisir 11e peut donc servir de base à la hiérarchie des arts. D’un autre côté, il ne sullit pas qu’une forme soit facile- ment saisie par l’œil pour qu’elle soit belle, il faut encore que cette forme soit expressive. Nous sommes donc toujours ramenés à l’expression comme au principe suprême de l’art. L’art qui sera le plus expressif sera donc le premier. Or, celui de tous qui me paraît le mieux réfléchir la beauté universelle, qui la reproduit sous toutes les formes et de toutes les manières, c’est la poésie. C’est J’art par excellence il exprime la beauté d’une manière à la fois déterminée et indéterminée , finie et infinie. Deux ou trois mots lui sulljsent pour exciter dans l’âme les émotions les plus profondes. Aussi les artistes ne s’y trompent-ils pas ils savent bien, sans cependant l’avouer , que la poésie l’emporte sur tous les arts, et lorsqu’ils veulent élever un tableau au-dessus de tous les autres., ils disent que c’est de la pure poésie. Le peintre a des couleurs, le statuaire et l’architecte des lignes, le musicien des sons, mais le poëtç a des mots. Le mot est à la fois visible et invisible, matériel et immatériel que d’idées, que desentimens, réveille en nous le mot patrie ; que de choses ne rappelle pas à l’esprit ce mot si bréf et si immense Dieu ! Qu’un peintre essaie de représenter Dieu ou la patrie, et voyez s’il pourra produire des émotions aussi vives 0 1 u is a i. 28! et aussi profondes. Le mot est donc le symbole le plus vaste et le plus clair ; il . est aussi déterminé que les lignes et les couleurs, mais il est mille fois plus compréhensif ; c’est la manifestation la plus simple et la plus riche de l’absolu, liurke l’a bien senti, et vous trouverez à la fin de son ouvrage un admirable chapitre sur la puissance mystérieuse des mots. Comme je refuse aux beaux-arts tout but d’utilité , comme l’art ne doit servir qu’à lui-même, c’est-à-dire à l’expression du beau , je dois effacer l’éloquence de la liste des arts. Elle a pour but de persuader, de défendre celui dont 'lie a pris en main les intérêts. Si 'lie ne se proposait que de plaire , on pourrait la regarder comme un art. Mais 1 éloquence est-elle et doit-elle être un jeu ? Le malheureux, sur la tête duquel s’appesantit une accusation capitale, regarde-t-il l’éloquence comme un amusement, comme un moyen d’exprimer purement et simplement le beau ? La philosophie ne figure pas non plus parmi les arts elle ne se propose que d’instruire. Si le philosophe ne s’occupe que de plaire, que d’exprimer la beauté , il est arr tiste, niais il cesse d’être philosophe, il en est de 1 histoire comme de la philosophie le principal but de 1 histoire doit être d’instruire les générations à venir, et de leur faire mettre à profit les fautes des générations passées ; elle ne peint pas pour peindre, mais pour prouver . Ayant écarté l’é- 282 VINGT-SEPTIÈME leçon. loquence, la philosophie et l’histoire, qui se servent des mots comme la poésie, mais qui les tournent vers un but d’utilité, quel est celui des arts que nous mettrons en seconde ligne; t ;ii d’autres termes, quelle est la forme la plus expressive après le mot ? c’est la mélodie. Sous une lonne déterminée, la mélodie est, après la parole, l’expression qui altère le moins l’idée universelle et infinie que nous appelons le beau. Aussi, quelle vivacité d’éiiiotion ne produit pas la musique ? Elle change eu un instant les senti mens de notre à me, ejle nous fait passer de la tristesse à la joie , et de la joie à la tristesse, et par son vague même elle ouvre une vaste carrière aux jeux de l’imagination, Sans doute les effets de la musique sont quelquefois les mêmes que ceux de l’éloquence elle nous arraclie les armes des. mains , ou elle nous fait voler au combat; mais ce sont là les résultats de la musique, et non le but qu’elle se propose, et en conséquence , on ne peut l’accuser de se mettre au service de l’intérêt. En appliquant aux autres arts la masure dont nous nous sommes servis pour la poésie et la musique , c’est-à-dire en examinant ceux dont la forme est la plus expressive, et se rapproche le plus du beau, en s’écartant le plus de 1 utilité , nous arriverions à ranger la peinture immédiatement après la poésie et la musique, et ensuite viendraient s’échelonner à des distances diverses la sculpture, l’architecture et la construction des jardius. nu BEAU. 283 llVnUMUA tVVW\Wt\VV VVIVWVVIVA AVA WVWVWWWWV W\ W\ VWVNV VINGT-HUITIÈME LEÇON. S Les arts ne diffèrent pas par leur fin , mais par leurs moyens. — les sens considérés dans leurs rapports avec l’art et le beau. —Incapacité du toucher, de l’odorat etdu £OÛt pour nous transmettre le beau.— Prérogative de l’ouïe et de la vue. —Arts de l’ouïe ; poésie et musique ; arts de la vue peinture , sculpture , architecture et construction des jardins. — Les arts de 1 ouïe ne doivent pas chercher à usurper la forme des arts de la vue’, ni réciproquement. — Retour sur la supériorité de fa poésie. LEcaractère constitutif et fondamentalde loutart, nous lavons déjà dit, c’est l’expression; un second caractère auquel l’art ne peut renoncer sans se détruire, cest d’être libre, en d’autres termes, c est de ne se service que de lui-même. L’indépendance est dans le but de l’art et non pas 284 . MA JT-HUITIÈME LEÇON, dans ses moyens , c'est-à-dire que ses moyens doivent toujours être en rapport avec la lin qu’il s’impose à lui-même. Ceci reconnu, combien doit-on distinguer d’arts dillerens? Pour résoudre cette question, ilfaut bien concevoir ce que c’estque le beau. Le beau, c’est le vrai et le bien manifestés à l’homme sous une forme sensible. Le beau ne serait que le vrai et le bien, s’il 11’avait des formes encore une fois, c’est la forme sensible du vrai et du bien qui les fait devenir ce que nous appelons la beauté. Le beau a donc pour ainsi dire deux parties une partie morale et une partie sensible. La partie morale, c’est le bien et le vrai, dont le beau est la manifestation ; la partie sensible c’est la forme , sous laquelle le vrai et le bien se. manifestent à nos organes. Ce que nous venons de dire du beau s’applique exactement à l’art il faut également distinguer dans l’art le fond et la forme, l’idée morale et l’expression de cette idée, 011 la matière par laquelle l’idée est rendue sensible. Considérés dans leur fond, dans l’idée morale qui les anime, tous les arts sont égaux, similaires, identiques. Il ne peut y avoir qu’un seul art, parce que l’idée morale est paPtoutla même. Mais si l’on examine la iorilie sous laquelle cette idée nous apparaît, alors on reconnaîtra des arts dillerens; ainsi 1 idée morale identilie les arts, la forme de l’expression les sépare. L’idée morale s’a- dresse àl’àme, lafonues’adresseaux sens; pour trouver la diflérencedes arts, il faut donc nous tourner vers DU BEAU. 205 Jeurs formes ce n’est pas dans leurs rapports avec l’ànie que les arts sont dilférens, c’est dans leurs rapports avec les sens. Par les sens le beau s’introduit jusqu’à l’ànie, centre où se confondent dans un eflèt unique les dilférens effets que l’art produit sur notre sensibilité. Une fois arrivés à l’âme , les arts s’identifient, mais ils prennent différentes voies pour y arriver. Combien donc y a-t-il de voies qui fassent parvenir le beau jusqu’à l’âme ? en d’autres termes, par combien de sens pouvons-nous percevoir le beau ? Des cinq sens qui ont été donnés à l'homme, trois, le goût, l’odorat et le toucher, sont incapables de nous transmettre le beau, et si l’on prétend que, joints aux deux autres, ils peuvent contribuer à étendre le sentiment de la beauté, du moins làut-il reconnaître que, laissés à eux- mémes, ils sont incapables de servir à la transmission du beau. Le goût, par exemple, juge de l’agréable et non du beau ; il sert un intérêt, celui de l’estomac ; et tout sens qui ne juge pas d’une manière désintéressée ne peut pas juger du beau. L’odorat est un peu moins au service du corps, mais, abandonné à lui-même, il ne peut pas non plus transmettre l’idée du beau •' jamais on n e s’est avisé de dire qu’une odeur soit quelque chose de beau. Si quelquefois I odorat semble participer au sentiment et au jugement du beau , c’est que; l’odeur s’exhale d’un objet 286 vingt-huitième leçon. qui puise sa beauté autre part que dans Podeur telle est la rose, dont la beauté se manifeste par des lignes et des couleurs. Ce que nous ayons dit du goût et de 1 odorat, nous le dirons du toucher le toucher ne jugé que de la dureté et de la mollesse , or, il u’y a là ni beauté ni laideur; Ce n’est pas le toucher seul qui juge dés formes régulières , c’est le toucher agrandi par la vue. Il ne reste donc que deux sens qui soient juges du heau , c’est la vue et l’ouïe. Si I on cherche la raison de cette noble prérogative attachée à ces deux sens, on trouvera qu’ils 11 e sont pas aussi indispensables que les autres à lu conservation de l’individu, ils servent à l’embellissement, mais non au soutien de la vie; ils nous procurent des plaisirs, dans lesquels l’homme se perd de vue, et le moi se déverse sur le non- mOi. C’est donc à la vue et à l’ouïe que Part doit s’adresser pour pénétrer jusqu’à Pâme; de là cette grande division des arts en deux classes art de l’ouïe , art de. la viie L’ouïe renferme deux arts la parole et le chant , la poésie et la musique, dont la forme sensible est le son ; la vue contient tous les arts dont la matière se développe dans l'espace la peinture, la sculpture, 1 architecture et Part des jardins. Nous avons écarté déjà de la liste des arts la philosophie et l’histoire, qui ne se servent pas de but à elles-mêmes, et qui ne tendent DU BEAU. 287 qu’à instruire; nous avons 'carte l’éloquence, dont la fin est de persuader, et non de toucher et de plaire l’émotion et le plaisir ne sont pas des argumens ; lorsque l ocateur les rencontre , c’est une bonne fortune dont il doit profiter, mais qu’il 11 e doit pas chercher sous peine de fraude et d’imposture. C’est, ainsi que Socrate comprenait l’éloquence. Nous écarterions de môme l’architecture et l’art des jardins, si on les faisait servir il d’autres lins que le beau. Ainsi, c’est tuer l’architecture que de lit subordonner à la commodité de l’édifice. Voyez l’architecte lorsqu’il est obligé de sacrifier la coupe générale de son bâtiment à telle ou telle fin particulière il se réfugie dans les détails, dans •es frontons ^ dans les .frises, dans toutes les parties- qui n’ont pas futilité pour but spécial, et là il redevient vraiment artiste. La poésie et la musique, la peinture et la sculpture, sont plus libres que l’architecture et l’art des jardins. Sans doute on peut aussi leur donner des chaînes , mais ils s’en débarrassent pins facilement , ce sont donc les arts vraiment libérant, les arts qui vont librement à leur lin. Ces arts, semblables par le fond, diffèrent par les procédés qu’ils emploient. 11 est clair que la sculpture etla peinture mettent enusage desmoyens dilïerens de ceux qu’emploient la poésie et la musique. Est-il aussi incontestable que les uns et les y88 vinot-i/uitième leçon. autres produisent le même ellët? Est-il vrai que le musicien puisse causer les mêmes émotions que le peintre ? sans aucun doute; mais il ne faut pas pour cela que les arts empiètent sur la forme les uns des autres. Us peuvent arriver au même résultat, mais chacun par les voies qui lui sont propres. Un directeur de théâtre, aux gages duquel s’était mis l’illustre Haydn, pour donner du pain à sa famille, voulut que le compositeur exprimât les dillërentes scènes d’une tempête ; le sifflement des vents et le bruit du tonnerre étaient faciles à imiter ; mais comment rendre la lueur des éclairs déchirant tout à coup le voile immense delà nuitPComment reproduire surtout ce qu’il y a de plus formidable dans la tempête, le moruvement des Ilots , qui tantôt s’élèvent comme une montagne et lancent le navire dans les airs , tantôt s’abaissent, se dérobent sous lui, et semblent le précipiter dans des abîmes sans fond? Haydn voulait représenter cette alternative , qu’il regardait comme le plus puissant élément de terreur dans la peinture d’un naufrage. 11 s'efforça de mettre en saillie ce soulèvement et cette chute des vagues, il combina des sons, il déploya toutes les ressources de son art et de son génie ; tous ses ellorts furent inutiles, il dut renoncer à résoudre ce problème. Environ dix années après , il reprit la dilliculté et l’examina en philosophe; il reconnut qu’elle était insoluble dans un sens , et que dans l’autre elle pouvait se résoudre ; du beau. ^ 8y c’est-à-dire qu’il s’aperçut que des sons ne pour- raient jamais rendre des formes; que si la musique est expressive, elle exprime des idées, des senti- mens, mais non pas des figures, et qu’elle doit chercher à produire les mêmes émotions que celles qui résultent des formes, mais par les moyens propres à la musique. La mélodie doit renoncer à peindre le mouvement des vagues qui s’élèvent et qui s’abaissent ; mais avec des sons elle pourra produirele sentiment qui nous saisit en présence de ce grandspectacle. Haydn s’attacha donc à produire la douleur et l'effroi, et il devint ainsi non-seulement le rival, mais même le supérieur du peintre, parce qu’il est donné à la musique , comme nous l’avons déjà dit, d’être expressive à un plus haut degré, et en conséquence d’émouvoir plus profondément que la peinture. Ainsi le problème fut à la fois résolu et non résolu non résolu pour la forme , mais résolu pour le fond. Ce que nous venons de dire sur la musique peut se répéter pour tous les autres arts les mêmes effets seront produits par tous, mais sous des formes différentes. Nous sommes donc ramenés à ce que nous avons déjà posé en principe tous les arts sont identiques par le fond et différons par la forme. On doit regarder comme faux , sous un certain çapport, l’axiome ut pictura*poesis. La peinture ne peut pas tout ce que peut la poésie , ni la poésie tout ce que peut la peinture. Tout le monde admire le rnii-osoniiE. 39O VINGT-HUITIÈME LEÇON portrait. do ln fienommw , tracé par Virgile, 1 mais qu’un peintre s’avise de réaliser cette figure symbo lique ; qu’il nous représente un monstre énorme , avec cent yeux, cent boudins et cent oreilles, et qui des pieds touchant la terre , cache sa tête dans les deux ; le sentiment causé par un pareil tableau ne serait-il pas celui du ridicule ? Tous les arts peuvent produire les mentes sen- timens, mais par des symboles divers. INous ne prétendons pas dire qu’il telle phrase musicale s’attache immanquablement telle ou telle idée morale. La musique n’a guère que deux expressions bien tranchées celle de la tristesse et celle de la gaieté ; hors de lii son expression est vague ; mais c’est pour cela quelle se prête avec une facilité merveilleuse h la disposition de chacun , et que nous berçons, pour ainsi dire, au mouvement de la mélodie les idées favorites de notre imagination. Si les arts doivent respecter la forme les uns des autres, il en est un, pourtant, qui semble profiter des ressources de tous, et celui-là , c’est encore la poésie. Avec la parole , la poésie arrive à peindre et à sculpter; elle construit des édifices comme l’architecte ; elle imite , jusqu’il un certain point, la mélodie de la musique. Elle est, pour ainsi dire , le centre où se réunissent tous les arts c’est l’art par excellence; c’est la faculté de tout exprimée, avec un symbole universel. Ainsi, pour nous ré- Ut BE4C. 29 1 sumer, ]e lond de la poésie est le même que celui des autres arts, et sa forme est presque égale à leurs formes. C’est que la parole est à la fois de la peusée et de la matière, de l’interne et de l’externe. En même temps qu’elle est plus précise que toute autre forme , à peine fait-elle partie du monde physique. Voilà pourquoi la poésie égale à elle seule presque tous les autres arts réunis, et qu’elle est bien supérieure à chacun d’eux en particulier. 19 - 292 VINGT-NEUVIÈME LEÇON. vt V>XV\VVW»V\VVV\V\VV»W»VV\lVVVVVV\\VV\tt\lWV\VVV\VV\W\\Mli\VV\%\i>V\* VVW» v VINGT-NEUVIÈME LEÇON. Résumé de Ja théorie du beau, tant sous le point de vue subjectif que sous le point de vue objectif. . Je me propose dans cette leçon de revenir sur la théorie de l’idée du beau, et de lier ensemble toutes les parties de cette doctrine, avant de passer à la théorie de l’idée du bien. Présenter l’esquisse d’une théorie sur le beau , considéré dans la nature et dans l’art, tel est le plan que je m’étais tracé. 11 m’a paru que, pour le remplir, il fallait résoudre toutes ces questions particulières i“ qu’est-ce que le beau dans la réalité, c’est-à- • . L’objet de ce cours est de montrer que les deux grandes écoles du dix-huitième siècle ont été exclusives et incomplètes, en voulant renfermer toutes les connaissances humaines ? l’une dans les données delà sensation, l’autre dans les données de la réllexiou. iSous avons voulu montrer qu’il y a une sphère d idées supérieure à celle de la matière et à celle du moi lui-même; qu’au-dessus DD BIEN. 3o3 de la sensibilité et de la conscience il faut poser encore la raison. Pour arriver à ce but, nous avons entrepris l’analyse des données de la raison, et nous avons vu que. ces données se résolvent en trois idées absolues celles du vrai, du beau et du bien. Le beau, avons-nous dit, est le vrai sous des formes visibles, le bien est le vrai manifesté dans les actions humaines. Nous avons tenté d’épuiser la discussion sur les-rapports du vrai et du beau; nous arrivons aujourd'hui à la relation du vrai et du bien, h ce qu’on appelle proprement la philosophie pratique,, qui est le "corollaire de la philosophie spéculative. Nous pourrions traiter la question par la méthode synthétique prendre pour point de départ l’être absolu lui -même ; montrer comment il se manifeste sous la forme du vrai , du beau, du bien , et traiter ainsi la morale du haut de la métaphysique. Mais nous préférons prendre la voie analytique , nous adresser directement à l’idée du bien et du mal, telle qu’elle se trouve dans toutes les intelligences , en indiquer soigneusement le caractère , nous réservant de la faire remonter ensuite dans la sphère supérieure d’où elle descend. J’entre de suite en matière. Tout le monde comprend l’importance d’une discussion sur l’idée du bien et du mal moral ; tout le monde sait que delà solution qu’pu obtiendra il résultera de graves conséquences pour la pratique de la vie. Car la 3t>4 TRENTIÈME LEÇON, morale est une science d’application elle n’est pas condamnée à reposer dans les livres des philosophes , elle est destinée à prendre un corps pour ainsi dire, è passer dans les lois, à régner sur les actions des hommes. D’où il suit que tel système de morale donne tel système de politique ; car le droit naturel est le fondement du droit social. Le droit naturel est cette partie de la morale qui traite des actions des hommes les uns à l’égard des autres la solution de la question morale se réfléchit, dans le droit naturel, etpar-lii dans le droit politique. Si, déplus, le droit civil se rattache au droit politique, et si le droit criminel tient au droit politique et au droit, civil, toutes les questions de droit appliqué se lient à ce' problème fondamental quel est le principe du bien et du mal ? Après avoir reconnu l’importance de cette question , essayons de la résoudre. Elle ne peut admettre que deux solutions, et par conséquent il ne peut y avoir que deux théories de droit naturel, de droit politique et civil, et de droit criminel. En d’autres ternies, il y a en morale deux principes contraires qui engendrent deux séries parallèles de conséquences opposées. Par les conséquences on peut juger le principe. Quels sont aujourd’hui, par exemple, les résultats politiques, auxquels nous avons besoin d’être conduits par le principe moral ? Les idées politiques sont de nos jours fermes et arrêtées. Tout principe moral qui ne conduirait DU BIEN. pas à la liberté politique serait par cela même rejeté. Nous pouvons donc poser la question en ces termes quel est le principe moral qui dans ses conséquences engendre la liberté, ou une politique libérale ? Nous avons à signaler ici chez quelques philosophes une inconséquence singulière tout en acceptant les résultats politiques dont je viens de parler, ils yrattachentunethéorie morale qui en est essentiellément différente. Il n’y a qu’une seule des deux solutions morales qui fonde la liberté en politique, et c’est justement cette solution qu’ils réprouvent. Que nous reste-t-il donc à faire? Toute notre tâche se réduit à une question de logique les conséquences politiques étant admises par tout le monde de la même manière , nous n’avons qu’à examiner si ces conséquences dérivent de tel ou de tel principe. Nous avons dit qu’il y a deux solutions à cette question qu’est-ce que le bien? qu’est-ce que le mal? ou quel est le principe de la morale? Une de ces solutions est celle d’Helvétius, qui ramène toute la morale à l’intérêt privé. Or je puis annoncer tout de suite que la théorie morale d’Helvétius ne produit dans ses conséquences que la théorie politique de Hobbes, c’est-à-dire le despotisme. Suivant le principe d’Helvétius, l’homme est emporté par une tendance naturelle vers son plus grand bien-etre possible, soit physique, soit intellectuel, soit moral; il ne doit donc reconnaître d’au- Ort 3o6 THKNTIÊME LEÇON. très lois que l'obligation de fuir la douleur et de rechercher le bien -être le bonheur individuel., telle est la fin unique de tout individu. Tonte fin suppose des moyens les moyens fournis à l’homme pour parvenir au bonheur sont ses facultés; elles ne lui ont été données que pour écarter ce qui nuit et atteindre ce qui plaît. Voifii donc l’homme au sein de Tunivers, etparmi ses semblables, occupé uniquement de la recherché du plus grand bonheur possible, et d’un bonheur toujours relatif ü l’individu qui le cherche. Le mal moral, suivant cette doctrine, est cequi éloigne l’individu de son bonheur ; ce qui au contraire l’y conduit directement ou indirectement, c’est le bien moral. Mettons maintenant les individus en rapport les uns a vec les autres. Comme la fin dernière, le devoir unique de chacun est de se procurer son bien-être individuel, comme chacun s’occupe de cette recherche , et qu’ils sont sans cesse en contact les uns avec les autres, il arrive nécessairement que leurs intérêts se croisent, que leurs plaisirs se limitent et se détruisent réciproquement ; il s’ensuit que dans une telle société chaque homme doit etre ennemi rié de tous les autres, et que le seul état possible entre eux, c’est l’état de guerre. Quedeviendront dans ce cas les notions de droit et de devoir ? Si le but de l’individu est d être heureux à quelque prix que ce soit, son droit sera défini par sa force et son devoir par son d’antres termes, il aura droit DU BIEN. ÔO'j de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour parvenir à son bonheur, et son unique devoir sera d’user de ce pouvoir le plus utilement qu’il lui sera possible, et de ne s’arrêter, dans la poursuite de tout ce qui lui est agréable , que lorsqu’il ne pourra plus aller au delà. Danseette théorie, les mots droit, devoir et force sont exactement synonymes, tout se résout dans la loi du plus fort. Toutes ces conséquences sont avouées par les partisans de la doctrine; mais, poursuivent-ils , les hommes reconnaissent quecet état de guerre, d’abord inévitable entre gens qui recherchent tous leur plus grand bonheur individuel, loin de les conduire à ce but, les en éloigne sans cesse ; ils font donc une transaction chacun consent à faire quelque concession, dans l’intérêt de sa propre tranquillité; il s’impose alors des devoirs , et il icconnaît des droits à tous les autres. Antérieurement à cette transaction, Hobbes reconnaît qu’il n’existait ni droits ni devoirs réciproques ; l’homme n’était limité dans son action que par les bornes de son pouvoir. Mais la transaction n’est intervenue que pour mieux assurer ce pouvoir c’est dans votre intérêt même que vous en sacrifiez une partie. Si donc la transaction, fai ted’abord pour votreplusgrandbien-être,luideve- nait contraire, si votre pouvoir ne trouvai tpi us d’obstacle , qui vous empêcherait de violer la transaction? Mais, dira-t-ou, vousavez donné votre parole, 1 honneur vous oblige à la tenir qu’est-ce que la 30 . 3o8 TRENTIÈME LEÇON, parole et l’honneur dans le système que nous combattons ? L’honneur, c’est suivre mon intérêt; la parole, c’est stipuler pour moi, mais non contre moi; toute parole qui me nuit je la révoque, tout honneur qui m’enchaîne je l’abjure. Si vous voulez une parole qui oblige, un honneur qui fasse loi, il faut que vous transportiez la morale autre part que dans mon intérêt, il faut que vous me parliez d’une loi de la raison, il faut que vous vous éleviez jusqu’à une idée absolue. Ainsi, dans la doctrine de llohbes, toutes les fois quemon intérêt m’y engage, je recommence le combat, et l’état de guerre est caché sous la paix apparente et menteuse du système. Ou prévoit facilement le droit politique qui va découler d’une pareille morale tout sujet est ennemi né du gouvernement, tout gouvernement est ennemi né des sujets. Quelle est aussi la formule du droit civil ? La voici tous les particuliers sont ennemis les uns des autres. Enlin, que devient le droit criminel? Une vengeance plus ou moins atroce, déterminée par l’intérêt de ceux qui Fexercent. Le souverain, soit un, soit multiple, agit dans son intérêt individuel etpoursuit ceux qui lui nuisent. Sa force fait son droit, il n’a point de compte à rendre de son despotisme. Telles sont les conséquences produites par la morale de l’intérêt. Mais, comme nous l’avons dit, plusieurs des philosophes qui posent l’intérêt en principe de morale, et Rousseau entre autres, sont fort éloignés DU BIEN. 309 d’adopter le despotisme dans leur théorie politique. Ils n’ont pas aperçu le li^n continu qui rattache la tyrannie à la morale intéressée. Hobbes et Spinoza sontles seuls qui aient aperçu les conséquences du principe intéressé qu’ils donnaient à la morale, et ils n’ont pas reculé devant les conclusions d’une logique sévère r ils ont consacré le despotisme, soit dans les mains d’un seul, soit dans celles de la multitude. Telle est la première solution delà question du bien et du mal, et tel est le droitpolitique, civil et criminel qui en découle. Passons maintenant h la seconde théorie, et suivons-la dans ses conséquences pratiques. Cette doctrine place la règle morale, non dans la sensibilité, mais dans la raison ; elle reconnaît des vérités universelles, indépendantes des temps et des lieux , et de l’intelligence qui les conçoit. Reconnaître ces vérités, c’est proclamer une loi qui n’est pas individuelle, mais absolue ; ces vérités obligent la raison de chacun, et ne sont pas constituées par elle, ce sont donc de véritables lois, ou, en d’autrès termes, des vérités nécessaires. Nécessité et universalité, tels sont les deux caractères de l’élément absolu. La vérité absolue, considérée dans les actions humaines, engendre les idées spéciales de juste et d’injuste ; elle commande à chaque individu l e sacrilice de son bien- être , s’il ne peut le conserver sans porter atteinte à la justice. C’est alors que les notions pures et sin- 3lO TRENTIÈME LEÇON, cères de devoir et de droit prennent naissance. Ma raison m’impose le devoir de reconnaître le vrai et de le représenter par mes actions, et elle me donne le droit de rappeler les autres à ce vrai lorsqu’ils s’en écartent. Sans doute je ne fais jamais complètement abstraction de moi-même , je tends à mon bonheur individuel ; mais aussi je m’élève à la conception cl’une idée pure et absolue, de l’idée de justice , devant laquelle ma raison me dit que tout intérêt individuel doit se taire. Aussitôt que de l’idée morale absolue on a déduit le devoir et le droit, on peut descendre aux actions humaines et leur imposer cet idéal,-de même que dans les mathématiques on applique l’abstrait au concret. L’idée absolue de justice est la seule, souveraine légitime de la société , e'. c’est à tort que certains publicistes ont voulu placer la souveraineté, les uns dans le monarque, les autres dans le peuple tout pouvoir humain 'expire devant la souveraineté légitime de la justice. Quel est le droit naturel qui découle de l’idée absolue de justice? C’est un ensemble de droits et de devoirs, devant lesquels tout pouvoir humain est annulé; ces devoirs et ces droits sont aperçus par la raison ; ils se résument en un petit nombre de maximes universelles, devant lesquelles l’intérêt particulier doit se taire. Le droit naturel est antérieur au droit _ " \ ! î tout établissement social doit obéira un principe supérieur et inviolable donné par la morale, prescrit par le DU BIEN. 3lI droit naturel. Toutes les sociétés se ressemblent en tant qu’elles sont régies par une règle qu’elles n’ont pas faite, mais à laquelle elles ne peuvent se soustraire sans cesser d’être sociétés ; elles ne diffèrent que par des formes accidentelles, qui laissent briller plus ou moins l idée éternelle de justice leur type et leur modèle. Le droit civil, qui règle les rapports des particuliers enLre eux , contient aussi, sous des formes accidentelles, des principes invariables qui font sa légitimité. Enfin , le droit criminel, conséquence d’une théorie qui fait reposer la morale sur des idées rationnelles absolues , n’est plus une vengeance brutale, une simple représaille de la force ; il se rattache au principe absolu du mérite et clu démérite qui se formule en ces termes tout homme de bien mérite d’être heureux ; tout mé chant mérite le malheur. En établissant le droit pénal sur cette base , vous lui donnez par cela même des limites il ne peut dépasser le principe de mérite et de démérite, sans tomber dans l’immoralité , et alors il n’est plus un droit, il devient un brigandage fondé sur la force , et que la force elle- même détruira bientôt ; ainsi, dans cette théorie, tout se lie et s’enchaîne l’idée de moralité ou de bien moral est absolue ou nécessaire ; elle engendre le droit naturel ou l’ensemble des devoirs et des droits des hommes les uns à l’égard des autres ; le droit naturel, à son tour, engendre le droit écrit, qui se divise en droit politique , droit civil et droit 3l 2 TRENTIÈME EEÇON. criminel. Ce système nous offre donc deux intérêts un intérêt scientifique par la suite rigoureuse et facile des conséquences, un intérêt patriotique, parce qu’il enchaîne la force dans quelque main quelle réside, parce qu’il met au-dessus de tout pouvoir humain la souveraineté pure et désintéressée de l’éternelle justice. HU BIEN. 313 i^u^vwinuuwuvvwwxwvvwivwwwxiwv'UiwVivvMvwvvUUtwivuwvvM TRENTE-ET-UNIÈME LEÇON. L’idée absolue du bien est le seul contre-poids de l’arbitraire.—Caractère obligatoire de l'idée absolue du bien. — Deux motifs d’action l’intérêt et le .devoir. —La société n’est pas régie par l’idée de l’intérêt individuel, mais par celle de la justice absolue. — Corrélation du devoir et du droit. Nous sommes arrivés à la philosophie pratique, c’est-à-dire, à la philosophie appliquée à la vie humaine. De combien de parties se compose cette philosophie? Elle contient i° la métaphysique de la morale, dans laquelle il s’agit de déterminer scientifiquement s’il y a ou s’il n’y a pas une idée spéciale de moralité, produisant l’idée du devoir 3 l 4 TRENTE-ET-UNIÊME eeçox. et l’idée du droit ; 2 0 elle renferme la morale appliquée ou la morale spéciale , en d’autres termes, la division de nos devoirs et de nos droits. Devoirs de l’homme envers Dieu, devoirs de l’homme envers lui-même, devoirs de l’hoinme envers ses semblables, telle est la division ordinaire de la morale spéciale. Les devoirs de l'homme envers Dieu sont le principe de toute religion. Les devoirs de l’homme envers lui- même composent la morale individuelle, et consistent dans les rapports du moi avec la raison. Les devoirs de l'homme envers ses semblables constituent le droit naturel. Lorsque ce droit est écrit dans les codes, il donne naissance i°au droit civil, qui règle les rapports des particuliers entre eux ; 2 ° au droit politique, qui établit les rapports des citoyens et du pouvoir public ; 3 “ au droit criminel , qui se charge d’appliquer le principe de mérite et de démérite. Tonte la philosophie pratique repose donc sur l’idée de moralité. Si l’on admet cette idée comme pure et absolue, 011 obtiendra un droit écrit tout dilièrent de celui qui s’appu^ erait sur la base de l’intérêt individuel. La question est de savoir si l’arbitraire doit être chassé du droit civil, du droit politique et du droit criminel. Or, sur quoi repose l’arbitraire ? Sur le- droit du plus fort. Bannissons donc le droit du plus fort du sein de la philosophie pratique. Pour détruire l’arbitraire, DL BIEN 315 il n’y a qu’un moyen, c’est de lui opposer quelque cliose de lixc et d’immuable ; pour ellaeer le droit du plu» fort, il faut lui substituer le droit de la justice. Si nous reconnaissons quelque chose d’absolu en morale, nous aurons le point d’appui qu’il nous faut pour détruire l’arbitraire et le prétendu droit de la force. De cet absolu découleront des devoirs et des droits ; deux choses qui ne peuvent se séparer, car vos droits sont les devoirs des autres , et les droits des autres sont vos devoirs. L’arbitraire repose sur la théorie qui ne reconnaît en morale que l’intérêt individuel; nous devons dope démontrer que l’intérêt individuel n’est pas le fondement de la morale. Sans doute il faut faire une large part à l’égoïsme dans la conduite des hommes; mais l’égoïsme ne peut pas suilire à tout expliquer. Les partisans de la doctrine tle l’intérêt nous disent Le besoin du bonheur n’abandonne jamais l’humapité ; qu’on jette les yeux sur l’enfant au berceau ses gestes , son regard, ses pleurs, ses cris, tout annonce qu’il, réclame le bien-être ; interrogez le jeune homme et le vieillard s’ils sont de bonne loi, ils vous répondront que leur bonheur est l’unique soin qui les occupe, » Admettons ce principe, et marchons dun pas ferme dans la route de la dialectique ; sHe bonheur est la lin de l’homme, les actions de la. vie n’emprunteront leur qualité que de leur rapport miOTHEK 3 I 6 TREiVTE-ET-tINIÈME LEÇON, avec cette fin ; si elles conduisent au bonheur, elles seront bonnes ; si elles nous en éloignent, elles seront mauvaises. Qu’on me propose une action faire tout ce que je dois examiner , c’est uniquement si elle conduit au bonheur. Ayant été placé sur la terre pour être heureux, je serais bien insensé de négliger quelque moyen de le devenir. Ainsi, que l’on me conseille d’abandonner mon ami malheureux si je cours quelque risque à lui rester fidèle, ou si je trouve quelque avantage à me séparer de lui, je dois l’abandonner sur-le-champ. Nous accordons que ces conseils de l’intérêt sont trop souvent suivis ; mais est-il sans exemple qu’un ami soit resté fidèle à son ami dans le malheur ; si l’on peut citer un seul fait de ce genre, il faudra donc reconnaître que l’homme obéit il un autre principe que son intérêt individuel. Mais ici nos adversaires nous attendent, et ils nous disent si vous songez à l’incertitude des choses humaines, si vous pensez que le poids du malheur peut vous accabler un jour comme il accable aujourd’hui votre ami, vous ne l’abandonnerez pas, dans la crainte qu’il ne vous abandonne un jour. Cest ainsi que l’égoïsme ne se manque jamais il lui-même ; exilé du présent, il se réfugie dans l’avenir ; ce qui paraît un sacrifice n est qu’un heureux calcul; mais ne peut-il passe rencontrer des occasions où l’égoïsme n’ait d’asile ni dans le présent ni dans l’avenir? Qu’on m’impose l’alternative de trahir mes sermens Dl B1E .\ . 31 ” J J ou de mourir pour ma patrie, et que j’accepte la mort, il n’y a plus là de calcul les calculs ne sont que pour la vie. L’homme ne sacrifie-t-il pas ici son intérêt individuel à quelque autre chose que je 11e veux pas déterminer maintenant. On va répondre encore que le chrétien fait dans ce cas le sacrifice d’une vie passagère et mêlée de peine, pour gagner dans une autre vie un éternel bonheur. Mais n’y a-t-il pas eu des hommes qui, sans croire à une vie future , sont morts pour leur pays ? Sans nier les récompenses à venir, il suffit de les mettre en oubli un seul moment, pour- que le sa- crilice de notre vie soit fait à un autre principe que celui de l’intérêt. Or, nous disons que cet autre principe, c’est l’idée absolue du bien moral, d’où dérivent Je devoir et le droit. Je soutiens qu’une observation attentive ne pourra manquer de reconnaître cet élément moral absolu qui préside à la conduite humaine, au moins aussi souvent que l’intérêt individuel. Malgré les prétentions et les préjugés de la doctrine de l’intérêt, la vérité morale 11e diffère en rien de la vérité mathématique. Nous 11e sommes pas libres d’admettre ou de ne pas admettre une proposition arithmétique ou géométrique; nous ne pouvons pas davantage adopter ou rejeter à notre gré une proposition morale, celle- ci, par exemple il 11e faut pas trahir ses sermens. Mais la vérité morale a plus de pouvoir sur l’homme que la véri té mathématique ; la première lui im- 3l8 T R E S T K - E T - C NI È M E LEÇON. jOse l’obligation, non-seulement de la reconnaître, mais encore de la mettre en action ; de même que nous ne pouvons pas ne pas reconnaître qne deux et deux font quatre , bien que notre intérêt puisse s’y opposer, ainsi, nous ne pouvons pas rejeter cette vérité morale il ne faut pas trahir ses sermens; des deux parts il y a un jugement de la raison. Si au jugement moral se joignent des sentimens, des émotions plus ou moins délicates, il ne s’ensuit pas pour cela que la morale repose sur ces sentimens, sur ces émotions. La vérité se légitime toute seule, elle est sa base à elle-même; en un mot, elle est absolue. 11 fuit donc reconnaître deux motifs des actions humaines le bonheur individuel et le devoir, principes qui sont presque toujours d’accord , mais qui se contrarient quelquefois. Si vous n’admettez pour mobile* que le bonheur individuel, tous les actes, quels qu’ils soient, sont légitimes , pourvu qu’ils servent l’intérêt privé. L’homme qui a répandu le sang de son semblable , parce que celui-ci s’opposait à son bonheur, n’est pas coupable; le mal que vous lui inf ligez n’est pas une peine, c’est une cruauté. Bien , mal, vertu, vice, crime , sont des expressions vides de sens ; touLes nos institutions sont hypocrites, toutes nos lois sont absurdes ; le Code pénal n’est qu’un tissu d’iniquités , puisqu’il ordonne de sacrifier l’intérêt individuel à l’intérêt général. Le pouvoir public ne doit frapper que dans soh propre intérêt, et ne pas s’occuper de DU BIEN. 3*9 punir des actes qui ne portent pas contre lui. On ne comprend plus rien à la justice distributive ; les peines quelle décerne sont comme des orages dont il faut savoir se garder; et Fontenelle, en voyant conduire un homme au supplice , peut dire froidement, et sans aucune indignation morale voilà un homme qui a mal calculé. Si Un logicien rigoureux faisait sortir toutes les conséquences du principe de l’intérêt, on en serait effrayé ; vous ne verriez dans la société qu’une troupe d’individus qui, dévoués uniquement à la satisfaction de leur égoïsme, devraient se détester et se déchirer l’état de nature serait l’état de guerre. De ce droit naturel passez au droit civil, au droit politique et au droit pénal, vous les trouverez en proie à l’arbitraire , vous n’y verrez de règle que la force. Il serait curieux de mettre , d après ce système , un citoyen devant un législateur, un accusé devant un juge, et d’entendre lesdiscours qu’ils s’adresseraient on invoquerait de part et d’autre l’intérêt individuel ; mais le législateur et le juge ne pourraient parler que de leur force , et ne reprocher au sujet et àl’accuséque de la faiblesse. 11 n’y aurai tpas là d’autre rapport que celui qui existe entre des vainqueurs et des vaincus. Or nous en appelons à la conscience de tout homme est-ce ainsi que 1 on comprend un tribunal et une assemblée de législateurs? n’existe-t-il pas des principes de moralité qui dominent les lois écrites et les arrêts? les lois 320 TRENTE-ET-t NIÈM E LEÇON, et les arrêts i»e sont-ils que des blessures faites à un trop faible combattant ? Sans doute il y a. de l’égoïsme dans la vie; mais n’y a-t-il que de l’égoïsme? ne peut-on pas citer des exemples de désintéressement? Si l’on en trouve un seul, notre cause est gagnée ; car je ne prétends pas prouver qu’il y ait plus de bons que de méchans, plus de désintéressement que d’intérêt ; il me suffit de poser scientifiquement un motif rationnel différent de l’intérêt privé. Je reconnais deux buts dans la vie l’intérêt et le devoir ; deux tendances de l'humanité , l’une au bonheur, l’autre à l’accomplissement des préceptes de la raison. Dès que nous reconnaissons un élément absolu , une vérité éternelle qui n’est pas constituée par la raison , mais qui s’impose à la raison , nous avons trouvé cette règle fixe qui peut s’opposer à l’arbitraire. L’absolu se légitime par lui-même si l’on me demande pourquoi il y a des devoirs, je répondrai parce qu’il y a des devoirs. H n’y a point de raison à donner de la raison. Il est vrai en soi qu’il ne faut pas trahir ses sermens, quelque soit le résultat de cette fidélité. Notre morale est donc une morale absolue qui n est soumise à aucune variation, qui ne dépend ni des lieux, ni des temps, ni des circonstances. Chose remarquable, moi qui ne suis qu’un individu, qu’un phénomène passager , je conçois quelque chose d’universel et d’éternel ; mais ce n’est pas assez d’avoir reconnu la vérité, il faut la mettre en pratique. DU BIEN. Ainsi, par exemple, j’ai le devoir de dire la .vérité, et vous avez le. droit d’exiger que je la dise, de même que vos devoirs fondent mes droits. Nous n’avons de droits les uns sur les autres que parce que nous avons des devoirs c’est dans cette corrélation que réside la paix de la société. philosophie. 21 trente-deuxième leçon. \xx vv>a>vyx TH E NTE DEUX ! ÈME LEÇON. S’il y a de la vérité absolue en général, il peut y avoir, de la vérité absolue en morale. — Position des questions relatives à l’idée du bien. — De la vérité spéculative et de la [vérité pratique. — De l’obligatioi^ morale, — Définition de l’acte moral et de l’acte immoral. — Le devoir suppose la liberté r. Nous avons dit que la théorie de l’idée du bien compose la philosophie pratique , nous avons l'ait voir l’er^haînement de tous les principes que comprend la morale générale, nous nous sommes ellorcés de démontrer que les conséquences politiques , admises aujourd’hui par tout le monde , appartiennent à un autre principe que la doctrine de l’intérêt. Je sais que .cette i Voyez, Fregmens philosophiques, programme de 1817, page J 45 et suiv. première édition. 1U BIEN. doctrine est lu plus répandue, et je me mets en opposition avec la plupart des philosophes de nos jours ; mais j’ai la ferme conviction que l’homme n est-pas renfermé tout entier dans ses appétits, que sa destination n’est pas remplie quand il a poursuivi son bien-être. Si je descends dans ma conscience, je trouve, au milieu des changemens et des vicissitudes auxquelles je suis sujet, un point fixe et ' immobile,. des vérités immuables, en un mot, de l’absolu. La morale ne me stîmble pas l’ouvrage de mon caprice, un produit de mon imagination , elle a des bases que je ne puis ébranler. De là l’universalité du droit naturel, du droit civil, du droit politique et criminel, qui sont comme les rameaux de cette tige unique que j’appelle l’idée du bien et du mal moral. Pour vérifier ces principes avec impartialité , • écartons' un instant l’intérêt patriotique qui s’y attache., oublions notre qualité de citoyens, tenons-nous en à notre rôle de philosophes. Afin de ne tourner aucune dilliculté, signalons toutes les objections qu’il est possible d’élever contre cette théorie , et passons eu revue tous les systèmes de morale qui lui ont été contraires- Mais, avant de nous livrer à cet examen, il nous importe d’insister sur les principes avons posés; Existe-t-il ou n’existe-t-il pas de vérité ? Telle était la première de toutes les questions à résoudre , et 21. 324 trente-deuxième leçon, dont nous avons présenté la solution. Etablir que tout n’est pas apparence ou phénomène, que lé philosophe n’a rempli que la moindre partie de sa tâche quand il a enregistré les faits qui lui apparaissent dans le monde intérieur et dans le monde physique, qu’il existe un autre monde au sein duquel réside l’immuable et l’étemel, telle est la tâche que nous avons entreprise , et peut-être accomplie. Nous avons recherché ce qu’est la vérité absolue, non plus dans l’intelligence déwjoppée , mais dans l’intelligence à ses premiers débuts ; comment, et sous quelles formes apparaît pour la première fois h notre esprit cette vérité , qui est aujourd’hui pour nous universelle et absolue ? quel est d’abord son caractère? Après avoir indiqué l’état actuel de l’idée ab- solue et son état primitif, nous avons montré comment elle a fait route de l’un à l’autre. Nous appliquerons la théorie du vrai à la morale, comme nous l’avons appliquée à la théorie des beaux-arts. La vérité est une, et si elle prend le - nom de vérité mathématique quand elle s’applique au nombre et à la grandeur, elle prend celui de vérité morale quand elle s’applique aux actions de l’humanité. Je démontrerai qu’en morale comme en inathémati-’ ques il y a des vérités qui sont évidentes d’elles- mêmes, universelles et absolues ; je chercherai DU BIEN. 325 ce que la vérité morale, a d’abord été pour l’intelligence, et comment elle a passé de l'état primitif à l’état actuel. J’appliquerai donc à la vérité morale les mêmes épreuves qu’à la vérité absolue, c’est-à-dire que j’examinerai aussi la nature , l’origine et la générationi de la vérité morale. La vérité morale n’est autre que la vérité absolue engagée dans les actions humaines ; cette vérité, comme nous l’avons dit mille fois, apparaît à la raison humaine, mais elle n’est pas constituée parla raison; cette simple remarque suffit pour faire écrouler l'édifice bâti par les philosophes écossais et par les philosophes allemands. L’école écossaise pose des principes constitutifs de l’esprit humain, et l’école allemande pose des formes subjectives de l’entendement de ces deux systèmes il est difficile de faire ressortir une vérité extérieure çt objective. Au dessus de la nature physique , comme au-dessus de la nature humaine, planent des vérités absolues qui se reflètent dans l’un £t l’autre monde, mais qui existent par elles-mêmes. L’intelligence conçoit l’unité , l’espace , le temps, le vrai, le faux, le bien et le mal; mais ce ne sont pas là de pures fonctions de l’esprit ou des lois constitutives de l'intelligence, ou enfin des formes de l’entendement ; s’il en était ainsi, ces vérités n existeraient pas en dehors del esprit humain ; et cependant, que l’on suppose toutes les intelligences anéanties, la vérité subsistera 3a6 tkente-decxième leçon. encore. La connaissance est uir rapport dont l’un des. termes est l’intelligence et l’autre la vérité; ainsi, la vérité est indépendante rie l’homme d’une pari, et de l’autre l’homme ne peut pas éviter de l'apercevoir. Ce n’est pas moi qui Tais la vérité, dès que je l’aperçois je ne puis pas n’y pas croire. Si c’est ce dernier fait qu’on veut désigner par loi constitutive de l’esprit, je ue m’y oppose pas, pourvu qu’il soit bien entendu que c’est l’acte de connaître qui fait partie de notre constitution., et non pas la vérité. Si l’homme n’était qu’une intelligence, il n’y aurait-pour lui que des. vérités-spéculatives ; mais il est aussi un être actif et volontaire; les vérités deviennent donc morales et pratiques le vrai devient le Lien. Ainsi, par exemple. il ne faut pas trahir ses sermetis, voilà une vérité spéculative en tant qu’elle apparaît à la raison, et une vérité morale en tantqii’ellese rapporte;'» l’ trahir vps sermons, mais vous n’en êtes pas moins obligé de croire ;'» cette maxime, et vous conrprene/. qu’on pourrait en exiger de vçus l'accomplissement, qu’on pourrait vous contraindre à taire sortir cette vérité du monde idéal, pour la aire passer dans le pionde réel. Tels sont les .résultats de la vérité morale i° nécessité d’y croire ; a° nécessité de la pratiquer. Cette dernière nécessité est ce qu’on appelle l’obligation morale. L’obligation morale possède tous les caractères de la vérité , dont elle est un résultat ; elle est universelle et absolue, elle pèse sur DU BIEN. 327 tons les hommes, aucun ne peut s’y soustraire ; de l’obligation ainsi imposée à tous naissentlesdroits et les devoirs sociaux. La vérité morale est obligatoire ce n’est pas moi qui l’ai faite ; ce n’est pas moi non plus qui pose l’obligation , je la découvre ; mais, puisqu’elle pèse sur tous , je ne suis pas seul obligé vous l’êtes tous autant que moi. Si je suis obligé à respecter mes 1 sermens, si vous avez le droit de me contraindre à les accomplir, vous êtes obligés au même devoir, et j’ai le même droit sur vous. Droit et devoir sont deux termes corrélatifs, dont l’un ne peut exister sans l’autre. Etant constatée non-seulement la nécessité de croire aux vérités morales, mais encore l’obligation de les réaliser par des actes , nous devons nous demander ce que c’est qu’un acte en général. C’est un moyen bon ou mauvais, selon qu’il se rapporte à la fin qu’on se propose. Tout acte qui a pour but de réaliser la vérité morale-, est un acte bon ; tout acte fait sans aucun dessein de cette nature , qui n’est qu’un produit de notre sympathie , ou une conséquence de notre organisation physique, est un acte indiffèrent dont la morale 11e s’occupe pas. Tout acte qui a pour but d’enfreindre la vérité morale, est au ii tte mauvais, quand bien même cet acte eût couvert son auteur de. gloire, quand bien même il eût sauvé l’univers. Ainsi, de meme que les actes rapportés à la sensibilité sont utiles ,. nuisibles ou seulement mutiles, de même , rap- 328 TRENTE-DEUXIÈME LEÇON. portés à la lin obligatoire de l’homme, ils sont moraux, immoraux ou indifférons. S’il y a des vérités morales obligatoires j il faut qu’il y ait dans l’homme une faculté d’exécution , une liberté d’agir comme il lui plaît. Lo devoir suppose le pouvoir ; l’homme serait un monstre s’il n’était pas libre car. il serait obligé d’une part à l’accomplissement d’une loi , et de l’autre il n’aurait pas le pouvoir de l’accomplir librement. On peut donc, suivant les règles de la plus sévère logique, raisonner de cette manière l’homme a des obligations dont il est libre. La raison n’est jamais contraire aux faits si nous observons ce qui se passe en nous, il nous sera impossible de ne pas reconnaîtrela liberté la liberté c’est le moi lui-même. La sensibilité et la raison se développent en moi sans mon concours; par elles je ne vis que d’une vie commune; par la liberté je me pose comme indi'vidu. La liberté est donc la personnalité humaine. C’est au développement de cette vérité que nous consacrerons la dernière partie de la morale. En résumé, voici les points sur lesquels nous nous proposons d’insister puisqu’il existe une vérité absolue, indépendante de la nature physique et de la nature humaine, et que je ne puis,ni la détruire, ni la modifier, ni me soustraire à son aperception., le bien moral peut aussi être absolu, et en effet le bien moral n’est autre chose que la vérité absolue, qui de notre intelligence passe dans nos actions, qui DU BIEN. 32 9 s’impose à l’agent après s’être imposé au penseur, cpii est à la fois nécessaire et obligatoire. L’obligation est absolue comme la vérité d’où elle dérive. De l’obligation imposée à tous les hommes naissent les devoirs et les droits réciproques. L’acte est un moyen il est moral quand il a pour but de réaliser la vérité, immoral quand il â pour but de la violer, indillërent lorsqu’il est accompli saiis aucune pensée relative à la vérité morale. L’obligation suppose la liberté. La liberté est donc une vérité de raison comme une réalité d’observation. 33o TRENTE-TROISIÈME LEÇON. mixnv^^vxi^iWivvwnvuwvuiWAWwuvHu vwvvvvw w» vv'vvww'v wvvw trente-troisième leçon. La vérité absolue , eu passant dans les actions humaines, constitue la vérité morale absolue. — Sans l’absolu point de science. — La vérité morale absolue nous est manifestée par la raison , et elle s’adresse à la liberté. —' Double devoir-de la liberté. —Distinction entre la souveraineté et le pouvoir. — Le pouvoir ne peut être sa règle à lui-même. — Souveraineté de la raison. — Devoirs envers Dieu ; devoirs envers nous-mêmes; devoirs envers autrui. — Droit civil ; droit politique.— — La société est la réalisation de la vérité morale, elle existe donc à priori. — L’idée de société est antérieure à celle de gouvernement. — Réfutation de la doctrine du despotisme et de celle de l’anarchie. —La mission du gouvernement est de aire respecter la doctrinè sociale et d’appliquer le principe de mérite et de démérite. L’oaiuine, la génération et la nature des idées absolues ont été déterminées. Les vérités absolues, en passant dans les actions humaines, donnent DU BIEN. 331 naissance aux vérités morales absolues, sur lesquelles repose la science moralé. Rechercher un principe au-dessus duquel il n’y ait pas de principe possible , et arriver à des conséquences qui soient les dérnjères applications du principe , tel est le rôle de la science. Les sciences ne doivent pas être une combinaison arbitraire et factice d’idées obtenues par l’expérience externe ouinterne, et par conséquent aussi variables que les phénomènes de la nature ou que les volitions humaines. Ily a'un certain nombre de vérités non relatives ,* qui subsisteraient quand même il ne resterait plus une seule intelligence pour les comprendre, quand même l’humanité et la nature seraient anéanties. Ce sont elles qui nous présentent un point lixe et inébranlable , une base vraiment scientilique sans l’absolu point de science , dus qu’il y a vérité absolue il y a science possible. Un traité sur l’absolu est la science des sciences, la science première, la philosophie fondamentale, le point central duquel partent tons les rayons qui forment la diversité des sciences. . Parmi les vérités absolues , il en est qui s’adressent à la liberté ce sont les vérités morales. La vérité morale, comme toutes les vérités absolues, nous est manifestée par la raison si nous ne voulons pas sortir des limites du monde intérieur, nous dirons que la raison est le fondement de la morale. C’est à la raison qu’il appartient île déter- 33 ?. T RENTE-TROISIÈME LEÇON, miner le caractère de l’action ; mais l’action suppose nécessairement quelque clioso qui agit, ce qui agit c’est l’activité. Or, pour réaliser les conseils de la raison, l’activité doit être libre. La liberté suppose le choix le choix s’établit entre les vérités de la raison d’une part, et les passions de l’autre. Lorsque la liberté se décide pour les passions et non pour les vérités absolues , elle est en dehors de la morale. Dans le sein de la morale j le rôle de la liberté est donc de se mettre au service de la raisoi'i. Ce rôle se divise en deux parties i° n’obéir à aucun autre motif qu’à la raison; ?° lui obéir toujours, quelles que puissent être les conséquences de l’obéissance. Ces deux parties ont été quelquefois confondues nous montrerons qu’elles sont distinctes ; c’est l’accomplissement de cette double loi qui constitue la dignité de la liberté. Vous êtes un agent moral toutes les lois cpie la liberté et la raison concourent ensemble à votre acte; c’est-à-dire toutes les fois que la liberté, par un désintéressement généreux et par une abdication entière de la passion, accomplit le devoir, o l cède au motif d’agir posé par la raison. Vous êtes un agent immoral toutes les fois que la raison çt la liberté ne sont pas d’accord ; en d’autres termes, toutes les fois que la- liberté, dominée par la passion, méconnaît les ordres de la raison. Enfin, votre action n’a aucun caractère de moralité ni d’immoralité, si la liberté obéit à un autre motif que DU BIEN. 333 la vérité absolue, mais sans se mettre en contradiction avec elle. Tel est donc à priori le devoir ou l’absolu moral ; devoir qui n’est point une sorte d’idée collective résultant de nos devoirs particuliers envers Dieu, envers autrui et envers nous- mêmes; mais devoir éminent , supérieur et antérieur à tous les autres, dérivant du rapport essentiel de la liberté et de la raison ; Etant posé le double devoir, d’une part,- de n’obéir qu’à la raison , et de l’autre, de lui obéir, quoi qu’il arrive; l’ordre scientilique assigne la priorité à celui de n’obéir qu’à la raison; devoir immédiat qui impose à l’individu l’obligation de respecter sa propre liberté, et aussi l’obligation de respecter la liberté des autres. Quiconque sait que l’homme est libre, sait que^bt liberté est sainte, et n’est qu’au service de la raison, et qu’il ne doit afïàiblir ni en lüi- même, ni en autrui, l’alliance de la liberté et de la raison ; de là le devoir de n’exercer aucun près-’ tige, aucune influence sur l’intelligence d’autrui, pour détourner sa liberté du seul but auquel elle doit tendre. La liberté, ou l’homme moral, est inviolable de sa nature, antérieurement à tout contrat c est donc à priori que la liberté est sainte- Cette première partie du devoir peut se formuler ainsi respect de la liberté. La seconde partie du devoir, celle qui consiste à suivre la raison quoi qu’il arrive, n’est postérieure que dans l’ordre scientilique, où. il faut des divisions et des classili- 334 LEÇON. cations; en réalité, elle est. contemporaine de la première. Quand la raison conçoit la vérité, elle ordonne à. la liberté d’accomplir cette vérité qui n’est encore qu’idéale. En môme temps que m’est imposé le devoir de repousser tout ce qui n’est pas marqué au coin de l’alliance entre la raison et la liberté, en même temps m’apparaît le devoir d’exécuter tout ce qui porto le caractère de cet accord; ce double devoir m’est, révélé parla raison, loi suprême, souveraine. Ici se .trouve établie d’elle-rnêhie la distinction entre la souveraineté et le pouvoir; on dispute encore sur le sens qu’on doit îrttacher à ces deux mots, parce qu’on n’a pas réiléchi sur la nature de l’idée rie souveraineté, parce qu’on agite ordinairement ces problèmes sociaux avec des opinions arrêtées d’avancej et, ce qiii est pire, avec des passions. La souveraineté et le pouvoir ne sont pas une seule et même chose, *à moins qu’on ne confonde ce qui est avec ce qui doit être. La souveraineté réside dans la raison ; le pouvoir réside dans la liberté. Le pouvoir a donc besoin d’une loi, il ne peut être sa règle it lui- même cette loi, cette règle , c est la vérité morale proclamée par la souveraine raison. La raison est donc l'unique souveraineté; elle se divise; si l’on peut parler airçsi, en autant de souverainetés particulières qu’il y a de devoirs ddlêreus ces souverainetés n’ont d’aulresdimites que celles qu’elles déterminent entre elles. Telle est l’essence de nos DU bien. 335 dilïérens devoirs- qu’ils se limitait naturellement et sans combat, l’un apparaissant comme supérieur à l’autre. Le premier devoir étant dé ne pas aliéner sa liberté, ou, en d’autres termes, de n’obéir qu’à la raison, le second est d’obéir en toutes circonstances à ce souverain primitif. Nous sortons ici de la morale générale, nous entrons dans la morale particulière ou dans la division des devoirs; on les divise ordinairement en trois classes devoirs envers Dieu , devoirs envers nous-mêmes , devoirs envers autrui. Ainsi que le devoir absolu, dont ils sont comme autant de dérivations, ces devoirs particuliers sont antérieurs à tout contrat. Les devoirs envers Dieu constituent la morale religieuse ces devoirs peuvent rentrer dans les autres, car tout devoir est religieux de sa nature, en ce sens quil est l’obéissance h la vérité morale absolue, c’est-à-dire, à Dieu lui- même. Quant à l’existence de Dieu, elle est révélée en morale par l’idée de la justice absolue, comme en métaphysique par l’idée de l’absolue vérité. Les devoirs se réduiront donc pour nous à deux classes les devoirs envers nous-mêmes et les devoirs envers autrui,' d’une part respect de la vérité morale en nous-mêmes ou .morale proprement dite; de l’autre, respect de de la vérité morale en autrui ou droit naturel. 336 trente-troisième leçon. On a prétendu qu’il n’y avait pas de devoirs envers nous-mêmes, on a dit que le moi ne pouvait obliger le moi, et que la morale individuelle tombait devant cet axiome de droit nul n’est obligé envers soi-même. Nous répondrons à cette objection que dans la morale individuelle c l est moi qui suis obligé , mais ce n’est pas moi qui oblige. Les adversaires font ici une équation de la raison humaine et de la raison universelle. Ce n’est pas à la raison dans le moi, c’est à la raison en elle-même que je dois obéissance., c’est la liberté qui le moi, ce n’est pas la raison , et de là les rapports de la raison et de la liberté , ou l’obligation que la première impose à la seconde i. Les devoirs prescrits. par le droit naturel peuvent être regardés comme le simple rellel, pour ainsi dire, des devoirs prescrits par la morale proprement dite. Tout être intellectuel qui reconnaît en lui le rapport de la raison et de la liberté , le re- oonnaîten autrui, et doit le respecter comme en. lui-même. Ainsi, ce n’est pus par mie déduction,, ni par une induction , que nous allons du devoir envers nous-mêmes au devoir envers les autres c’est par une équation. 11 n’y a ici qu’une même aperception intellectuelle. Comme la morale proprement dite est antérieure à tout contrat, le droit i Voyez , Fragmens viiilosohiiqtjes, programme de 18-17, page 2&o première édition,. DU BIEN. 3^7 naturel est donc aussi antérieur à toute espèce de convention; la liberté, de sa nature, est sainte et ne doit obéir qu’à la raison ; il s’ensuit que nous ne devons porter aucune atteinte à la liberté en autrui. Le droit naturel est donc la base de tout droit positif. Le droit positif n’est que la classification complète des droits de la liberté d un individu par rapport à la liberté d’un autre individu , droits qui reposent tous sur le droit naturel, comme le droit naturel se rattache à la morale, comme la morale à la notion du rapport de la raison et de la liberté, comme cette notion à la vérité absolue. Le droit positif comprend les rapports des individus entre eux, comme membres de la même société. La société existe à priori , elle est lé développement de la morale proprement dite et du droit naturel, la consécration des vérités absolues. Les rapports de l’homme en société sont doubles rapports de l’homme comme habitant, rapports de l’homme comme citoyen. Les premiers donnent naissance au droit civil. Quelle que soit la diversité des circonstances, le droit civil n est pas arbitraire; il résulte du rapport invariable de la liberté à la raison il n’est donc qu’une application du droit naturel et de la morale. On peut le déterminer à priori, il porte le caractère de l’absolu, et nul n’a le droit de s’élever contre sa souveraineté. Indépendamment du rapport des particuliers entre eux, existe le rapport des citoyens envers l’état, ;t de PHILOSOPHIE. 22 338 TKENTK-TWOISIÈME LEÇON. l’état envers les citoyens ; c’est' le choit politique-. L;i base cle ce droit est la même que celle des autres , l’inviolabilité de la liberté par la liberté , la soumission de la liberté à la raison.'Une constitution ne sera légitime qu’à la condition de s’appuyer sur cette base. Le droit politique est donc aussi invariable que le droit civil, que le droit, naturel, et que la morale proprement dite ; il dérive de l'idée de société, qui n’est elle-même qu’une réalisation de l’idée morale. L’idée de société est donc antérieure et supérieure à celle de gouvernement, c’est ce tpte n’ont pas aperçu certains publicistes ; les uns ont voulu construire la société pour le gouvernement , les autres anéantir le gouvernement, comme nécessairement ennemi de la société. Ainsi, Hobbes et Spinoza , oubliant la morale à priori , ont créé dans le gouvernement une force à laquelle ils soumettent la société ; et d’un antre côté, God- win , elirayé des conséquences d’une semblable doctrine, a voulu établir une société sans gouvernement. La mission du gouvernement est de surveiller l’accomplissement des devoirs de chacun ; le gouvernement ne lait point la doctrine sociale, elle lui est antérieure, il n’en est que le dépositaire, et il empêche, par sa force, les infractions matérielles des devoirs et des droits. Le gouvernement est donc indispensable ce qui fait la légitimité du pouvoir, c’est que, dans toute société, la liberté, oubliant sa loi suprême, peut attenter à la liberté DU BIEN. ijy d’autrui. Le gouvernement se fonde sur la nécessité de la répression , et en même temps sur l’idée moraledu mérite et du démérite, c’est-à-dire, du rap • port naturel qui existe entre une bonne action et le bonheur, une mauvaise action et le malheur. La peine et la récompense sont donc légitimes. Maintenant , comment faire correspondre le degré de récompense et de châtiment avec le mérite et le démérite? Cette question ne peut recevoir une solution absolue. Tout ce qu’il y a ici d’immuable, c’est que l’acte qui est contraire à la société mérite punition, et que plus l’acte a été funeste , plus la punition doit être grave. Mais à côté de la nécessité de punir se place le devoir d’amender sous ce dernier rapport, le coupable doit avoir la possibilité de réparer son crime. L’homme n’est pas criminel par nature ; ce n’est pas une chose dont on doive se débarrasser dèsqu’elle est nuisible, une pierre qui tombe sur notre tête, et que nous jetons dans l’abîme pour quelle ne nuise plus à personne. L’homme est un . être rationnel qui comprend le bien et le mal, qui peut se repentir et redevenir un membre utile de la société. Ces vérités ont donné naissance à des ouvrages qui honorent la lin du dix-huitième siècle- et le commencement du dix- neuvième. Beccaria, Filangieri, Bentham, ont réclamé contre la rigueur du droit pénal ; le dernier surtout, par la création des maisons de pénitence , rappelle les premiers temps du christia- 32 , 340 TRENTE-TROISIÈME LEÇON. nisme, où le châtiment n’était jamais irrévocable, et consistait en une expiation qui faisait remonter le repenti au rang des justes. Les peines doivent donc être mesurées sur le mal commis et sur la possibilité du repentir. C’est la double nécessité de surveiller et de punir qui fonde le gouvernement. Porter atteinte au gouvernement, c’estdonc porter atteinte à la société. Le gouvernement, ainsi établi, a donc ses droits et ses devoirs, qui tous sont relatifs à la défense de la société. C’est ici que s’arrête la philosophie pratique après avoir mis la société en présence du gouvernement , elle s’interdit toute recherche sur les formes particulières qui conviennent à celui- ci ; car elle descendrait du domaine de l’absolu dans celui du relatif l’absolu, c’est le rapport de la forme du gouvernement à la lin sociale ; le relatif, c’est le rapport de cette forme avec les dilférentes localités. Elle détermine à priori que le droit et le devoir du gouvernement est de maintenir l’ordre social par la surveillance., la punition et l’amélioration du coupable. Mais il lui est impossible d’appliquer une forme de gouvernement t> la variété infinie des populations et des circonstances. Elle doit même renoncer à cette étude dans la crainte de transporter quelque chose d’absolu au sein du variable , et de compromettre , par la prétention de régler ce qui ne peut pas l’être , le sort DU BIEN. 34, des règles véritables et absolues. Tel est le ca-, dre de la philosophie pratique ; on voit comment toutes les parties s’enchaînent les unes avec les autres, comment l’idée morale absolue se réfléchit dans toutes les parties du droit positif, depuis le droit civil jusqu’aux dernières conséquences du droit politique, et comment le bien et le mal ne sont, comme nbus l’avons dit, que la vérité absolue contemplée dans les actions humaines. 11 nous reste maintenant à développer toutes les propositions qui se pressent dans cette leçon préliminaire , et à remplir le cadre que nous venons de tracer. 34s TRENTE-QUATRIÈME leçon K Y* »Y» YYY »YY\\\\' YYYYYVYV YYYV*W TR E STE-QD/TRI EM E LEÇON. ' î; Rélatioh dé l’idée du bien et de l’idéè de l’obligation. — Postériorité de » ette dernière. — Le droit »e dis- tingue du fait, en pratiiue comme en théorie. —Le devoir ne dérive pas i" dé l’éducation ; 2° de la volonté divine ni des peines et récompenses à venir. Reconnaissons la position à laquelle nous sommes arrivés jetons un coup d’œil sur ce que nous avons fait, et indiquons ce qu’il nous reste à faire. L’ordre de déduction demande que l’on aille du plus général au moins général, jusqu’à ce que, de degré en degré, l’on parvienne à ce qu’il y a de plus particulier. Le point de départ ne peut pas être plis plus liant que dans la vérité absolue considérée en elle-même le premier degré, dans l’ordre de la déduction , est DU BIEN, 343 donc l’idée de la vérité absolue. Le second .est l’idée de la vérité., non plus considérée, en elle- même, mais dans l’action humaine en général, c’est-à-dire, de la vérité morale. Le troisième degré est la vérité morale, envisagée dans le détail des actes humains, dans le réel de la vie. La morale particulière repose sur la vérité des rapports que lés hommes soutiennent entré eux ; mais, avant de rechercher cette vérité par- * ticulière, il làut établir qu’il y a de la vérité morale absolue, ou, en d’autres termes, que l’idée du bien et du mal' moral est absolue. En traitant de la vérité général, nous avons dit qu’il fallait d’abord rechercher l’état actuel de cette vérité dans l’intelligence , passer ensuite à la recherche de son état primitif, et enfin étudier le passage de l’état primitif à l’état actuel. Nous allons donc nous occuper de constater la vérité morale, telle qu’ apparaît dans l’intelligence développée. Existe-t-il ou n’existe - t- il pas une vérité morale absolue , telle quelle puisse servir de fondement à une science morale ? L’idée d’une science est l’idée d’un principe fixe, immuable , absolu. La question de l’absolu en morale est la question de la morale elle-même. Si aous ne trouvez pas 1 absoluvous n’aurez qu un ensemble mobile de laits plus ou moins liés entre eux. Vous 11’aurez pas de science. La question 344 TRENTK-Q i leçon. de l’absolu moral se sous-divise en deux autres 10 y a-t-il une vérité morale absolue? 2° cette vérité morale est-elle conçue comme devant être nécessairement réalisée par les actions humaines ? Une troisième question sera celle de savoir si l’idée du devoir ou de l’obligation morale dérive de l’dée du bien et du mal moral , ou si l’idée du bien et du mal dérive de la loi du devoir. On se rappelle que l’école allemande, en prenant pour point de départ la croyance nécessaire, au lieu de l’aperception pure de la vérité ,• a subjectivé la vérité, et est tombée dans le scepticisme. On commettrait la même faute si l’on plaçait la conception nécessaire et obligatoire de la vérité morale avant l’a- perception pure et simple de cette vérité ; tel est donc l’ordre que nous établirons i° intuition pure de la vérité ; 2° conception nécessaire ; 3 ° obligation de mettre la vérité en pratique. Pour démontrer la réalité de cet ordre psychologique, je partirai de l’idée du devoir, comme le philosophe de Kœnigsberg; mais je montrerai qu’elle présuppose la conception nécessaire, et que la conception nécessaire présuppose l’intuition pure*. Je suppose qu’un dépôt vous ait été confié, que la pauvreté vous presse de l’employer à votre usage, et que vous succombiez à la tentation. Regardez- vous comme impossible de poser cette question ai-je fait mon devoir ? si vous admettez cette ques- m; BfBiN. 345 tion, vous en appelez d’un fait à un droit, vous avez l’idée de quelque chose de supérieur au fait. La distinction du droit et du fait existe donc dans l’esprit humain. Je vais plus loin , je prétends que non-seulement on distingue en théorie le droit du fait, le devoir de l’intérêt, mais que dans la pratique l’égoïsme est souvent sacrifié à quelque autre motif. Il y a des hommes qui, chargés d’un dépôt, ne l’ont pas dérobé, quoiqu’ils y fussent sollicités par de pressons intérêts. L’histoire et la raison sont ici souvent d’accord. La conscience humaine sex’end l’éclatant témoignage qu’elle agit souvent sans intérêt personnel. Si vous conseillez à l’homme de bien une action déshonnête, il vous répondra par une colère qui a sa beauté morale, et dont les poëtes s’emparent pour en composer les plus belles scènes de leurs draines. On parle de l’orgueil de la vertu c’est que la vertu sait qu’elle a résisté aux sollicitations de l’égoïsme. Si vous admettez que la liberté résiste au désir ; vous reconnaissez par-là deux vérités 1 0 que la libeité n’est pas une modification du désir puisqu’elle le combat ; 2" que la liberté admet un autre motif que le désir le devoir. Passons en-revue quelques principes avec lesquels •on a essayé de confondre le devoir. On a voulu 1 attribuer au pouvoir de l’éducation est-ce parce qu’on a façonné ma raison que je. crois devoir sacrifier , en certains cas, mon intérêt personnel? 346 TRENTE-QUATRIÈME LEÇON. L’éducation est-elle créatrice ou ne fait-elleque développer , et les développement qu elle apporte supposent-ils pas quelque germe antérieur? En admettant que, comme le veut Montaigne, notre raison ait été formée par nos instituteurs , où nos instituteurs ont-ils pris les enseignemens qu’ils uoiis donnent Plis les ont empruntés, dira-t-on* h d’autres instituteurs. Notre question se reproduira encore. Si l’on nous dit enfin que les maîtres de nos maîtres ont pris leurs préceptes dans les lois , si l’on allègue que les législateurs ont établi qu’il faut sacriüer l’intérêt personnel à la justice , je demanderai, encore à quelle source les législateurs ont puisé l’idée du désintéressement. On a présenté une autre solution l’homme, a- t-on dit, se croit obligé de faire le bien parce que l’intelligence suprême l’ordonne ainsi-, etqu’fcllerécom- pensera les botts comme elle pimira les méçhans. Mais est-il vrai que nul homme n’ait Ou l’idée de l’obligation morale sans l’idée d’une autre vie. Ke- marquezquecettesolution n’est qu’une modification de la doctrine de l’intérêt l’homme qui né rend un dépôt que par la crainte d’être puni dans une autre vie n’obéit qu’k l’égoïsme. La volonté de Dieu posée comme principe unique des déterminations motales, la crainte des châtimens célestes, fiu- Üueuce de l’éducation, tous ces principes sont donc impuissans k expliquer ce qui se passe soit dans l’intelligence de l’homme, soit dans la pratique delà vie, nu BIEN. 347 au milieu des circonstances. diverses qù nous nous trouvons engagés. Il faut donc en revenir à la conception spéciale du devoir ou de l’obligation morale. Les sciences morales, comme toutes les autres sciences, doivent reposer surcertains principes vrais en tous temps et en tous lieux, parce qu’ils sont vrais en eux-mêmes- L’absolu est l’élément scientifique. Sans l’absolu point de science, avons-nous déjà dit ; sans l’absolu moral point de science morale. La première question de la morale est donc de savoir s’il y a un absolu moral. Une vérité, pour être absolue , doit exister indépendamment de son aperceptiou,. c’est-à-dire exister à priori ,- mais il faut en même temps que la vérité à priori ait été recueillie par l’observation , c’est-à-dire reconnue à posteriori. Comme il faut de l’absolu pour que la science soit vraie, il faut de l’observation pour quelle soit à la portée de l’homme. Le problème de la science morale est donc de trouver à posteriori une vérité morale à priori ; si vous omettez l’une de ces deux conditions, vous n’aurez pas de science , ou la science que vous obtiendrez ne sera qu’une abstraction qui pourra manquer de réalité. Il n’y a de réalité que dans le champ de l’observation. C’est pour avoir confondu le vrai et le réel, le fondement et l’instrument de la science > que la philosophie, dans ses oscillations perpétuelles , a incliné tantôt vers des abstractions sans réalité , tantôt vers des réalités sans vérité absolue. La dif- 348 TRENTE-QbATIUÈME LEÇON. ficulté réside donc entièrement dans la conciliation de ces deux élémens de toute science légitime, dans le concours de 1VV priori et de l’ù posteriori. Il faut que nous trouvions un absolu moral, et c’est sur le chemin de l’observation que nous devons le chercher. Il y a deux mondes sans cesse ouverts à l’observation, et qu’il faut parcourir pour savoir s’ils contiennent ce que nous cherchons le monde interne et le monde externe. La sphère de l’externe est celle de la sensibilité par laquelle l’univers tangible et visible arrive jusqu’il nous. La sphère de l’interne est celle du moi , ou de la liberté qui n’est pas autre chose que le moi ; la sensibilité et la liberté , tels sont donc les deux pôles de l’observation. Il suffit d’examiner attentivement les sensations, de résoudre le nœud des idées sensibles générales, pour épuiser "tout ce qu’on peut savoir de la sphère sensible ; il suffit aussi d’une réflexion attentive pour connaître de la liberté tout ce qu’il est possible d’en connaître. Commençons par entrer dans la sphère extérieure, et voyons si elle peut nous donner l’absolu q ue nous cherchons. • Il y a une vérité morale absolue, si nous pouvons dire d’une action soumise h notre examen , qu’elle est bonne ou mauvaise d’une manière absolue , de telle sorte que nulle circonstance de temps ni de lieux ne puisse la légitimer si elle est mauvaise, ou la faire condamner si elle est bonne, ut bien. 34y et que tous les hommes soient obligés, non- seulement dela juger ainsi, mais encore de reconnaître l’impossibilité où ils sont de porter un autre jugement. Maintenant y a-t-il dans la sensibilité des sentimens et par suite des idées sensibles qui soient marquées de ce caractère. Sachons bien ce que nous cherchons , et où nous le cherchons ; évitons de confondre des idées appartenant à des sphères differentes. Nous sommes dans la sensibilité ; mais nos sensations ou nos idées dites sensibles sont très-souvent mêlées d’élémens fort dif- férens; en sorte que nous distinguons mal ces derniers d’avec les premières. Ainsi les phénomènes qu’on appelle appétits, désirs , affections , et qui paraissent ressortir entièrement de la sensibilité , se trouvent quelquefois mêlés de certaines idées rationnelles, et. il en résulte un complexe demi-intellectuel et demi-sensible. Par exemple, l’amour de la patrie, la compassion, la vanité , l’ambition, l’émulation, ont été mis à tort au nombre des phénomènes purement sensibles. L’amour de la patrie contient l’idée du devoir ; la compassion suppose l’idée du mérite, ou tout' au moins d’un malheur non mérité ; la vanité, l’ambition , 1 émulation, impliquent à tort ou à raison i’idéednn droit. Nousdevonsdonc rejetercesphéno- mènes hors de la sphère purement sensible. Que découvrons-nous dans les limites réelles de celle- ci? Nous avons cinq sens tout ce qui vient immé- 350 TBENTE-yi ATR1ÈME LEÇON, diatement à la conscience, par l'intermédiaire des sens, est appelé sensation simple, primitive. Tout ce qui résulte de ces sensations primitives, sans mélange d’aucun autre clément, lait encore partie du domaine de la sensibilité car il n’y a rien de plus dans les conséquences que dans le principe. Ainsi, en analysant tout ce qui nous vient par les sens, nous pouvons découvrir s’ils nous fournissent l’idée du bien et du mal absolu. Nous devons à nos cinq sens la connaissance des odeurs, des saveurs , des sons, de la lumière des couleurs, de la température et de la résistance. Il est clair que la loi morale n’est pas darîs tout cela en effet, la vérité morale n’est ni une odeur ni une saveur, etc. ; mais toutes nos sensations ont ce caractère commun qu’elles produisent du plaisir ou de la peine. La seule loi morale que puisse fournir la sensibilité envisagée sous ce dernier point de vue, c’est la fuite de la peine sensuelle, et la recherche du plaisir des sens. Quelques philosophes ont en effet posé cette règle comme principe de la conduite humaine. Examinons si elle porte le caractèrç de l’absolu ? Le plaisir et la peine sensibles représentent l’aise ou le malaise d’un de nos sens, soit du goût, soit de l’odorat, soit de la vue, etc., ou par une généralisation , la jouissance ou la souffrance de tous les sens. L’homme, dit-on, est • destiné au bonheur; c’est donc pour lui un devoir de le rechercher, et le bonheur n’est que la plu» DU BIEN. 351 haute généralisation delà jouissance sensible. Nous prétendons d’abord qn’on ne peut faire équation entre bien-être sensible et bonheur ; le bonheur ne se compose pas seulement de jouissances sensibles, et très-souvent même il leur est opposé. Outre les peines et plaisirs physiques, il faut compter les peines et plaisirs de la sensibilité morale ; et si l’on analyse ces derniers phénomènes, on s’apercevra que, comme nous l’avons dit plushaut, ils renferment des idées rationnelles qui sont tout- à-fait en dehors de la sphère sensible. Nous u’in- sistons pas pour le moment sur cette prétendue obligation de rechercher le bonheur, nous la supposons véritable ; nous supposons de plus, que le bonheur se compose uniquement de bien-être sensible , et nous voulons voir si ce bien-être pourra contenir 1 absolu que nous cherchons. J] faut que ce bien-être soit marqué des caractères suivans i° qu’il n’ait point de degrés, qu’il persiste toujours le même dans son intensité, qu’il soit indépendant des circonstances de temps et de lieux; 2 ° que tous les individus de l’espèce humaine reconnaissent en lui ce caractère. Or, il est manifeste que les phénomènes de la sensibilité sont susceptibles de variation l’aise et le malaise augmentent ou diminuent en un seul instant, et quelle différence ne trouve-t-on pas entre deux allèetions éprouvées à des époques différentes. Comment le bien-être et le malaise physiques ne 35a • TRENTE-y l ATRIKME seraient-ils pas dans une perpétuelle variation, puisqu’ils résultent d’un rapport entre deux termes variables le monde sensible et les organes de la sensibilité. La nature physique n’est pas quelque . chose de stable qu’on puisse fixer et décrire au moment où vous en faites le tableau, elle change de figure et ne ressemble plus à l’image que vous tracez. Voyez l’aspect mobile des paysages le foyer de la lumière se déplace perpétuellement, même dans un ciel pur ; et dans un ciel chargé de nuages, il est tour à tour voilé ou découvert , ravivé ou amorti par la densité changeante de l’atmosphère. Observez la composition et la décomposition perpétuelle des minéraux, la formation et la dissolution des plantes, la naissance, l’accroissement, le dépérissement et la mort des animaux. Ne peut-on pas dire de la nature ce qu’on a dit de la fortune, qu’elle n’est constante que dans son inconstance; c’est pour cela que les Latins disaient Fit naturel , non est; la nature n’est qu’un perpétuel devenir, et c’est sans doute dans ce sens qu’il laut entendre la doctrine d’Hé- raclile sur t écoulement des choses. D’un autre côté, noire nature physiologique, dans laquelle le monde sensible se réfracte, varie de toutes les variations de la vie animale on sait que l’animal n’est qu’un llux et rellux perpéluel de molécules qui entrent et pii sortent. Trouvez-vous dans tout cela la base fixe d’une loi morale? Le monde physique DU BIEN. 353 et notre système sensible sont dans une mobilité continuelle, de telle sorte que si la nature devenait par hypothèse immuable, elle retrouverait sa mobilité , en se réfractant dans notre organisme , et que notre organisme aurait beau se fixer dans un état constant en réfléchissant le monde sensible, il ne produirait qu’un spectacle toujours divers. La sensibilité physique peut se définir le variable et le multiple; l’absolu a pour caractère l’immuabilité et la fixité ; il est doncimpossible de tirer une loi morale absolue du sein de ,1a sensibilité physique. PHILOSOPHIE. 23 354 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. nH"^\unv\u\wvwuu\vn\\iv\ TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. La loi morale absolue ne peut être donnée ! i“par le sentiment de la vie. — 2 ° Par le sentiment de l’activité spontanée du moi. — 3° Par le sentiment de son' activité réfléchie. — 4° Par le plaisir du développement intellectuel. — 5° Par la satisfaction morale et le remords , qui présupposent eux-mêmes un principe moral. J l doit être prouvé maintenant que dans les limites de la sensibilité physique on ne peut rencontrer d’élément qui puisse jouer le rôle de vrai absolu; elle ne •contient donc aucun élément scientilique ; car , comme nous l’avons dit souvent, là seulement, est la science où est l’immuable et l’absolu. Si nous ne nous adressons pas à une autre partie de la nature humaine, il faudra renoncer à la science morale. Examinons si, eh pénétrant dans une sensibilité plus intime à 1>Ü BIEN. 355 l’homme', nous découvririons la loi morale que nous cherchons. Nous allons parcourir tous les détours de la sensibilité, entrer dans ses replis les plus secrets, et nous éliminerons tour à tour les élémens qui ne pourront pas donner la loi, de telle sorte que nous nous trouverons contraints d’aller la demander enfin à la raison. Outre cette vie que les physiologistes appellent la vie de relation, et dont les organes sont les sens, ces instrumens intermédiaires entre le dedans et le dehors, il y a une vie plus intime à l’homme, vie encore physique, mais différente de la vie de relation. C’est le sentiment qu’on appelle sentiment de la vie, excité en nous par le déploiement du principe vital. Nous aurons à examiner si ce sentiment peut fournir l'élément scientifique. Au delà de cette vie intime, il y a dans l’homme, ce qui fait l’homme, l’élément sans lequel il serait une chose et non une personne cet élément c’est le moi. Le mode d’existence du moi c’est l’activité. Le moi n’est jamais passif ; il est actif ou il cesse d’être. Or, cette activité se déploie avec plus ou moins d’aisance, et par conséquent avec plus ou moins de plaisir. Le déploiement de l’activité spontanée du moi serait-il donc la base absolue de la loi morale? c’est ce que nous aurons à chercher. Dans 1 activité du moi il faut distinguer l’activité spontanée et l’activité réfléchie, et il f;m_ 23 . 356 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON, dra voir si le sentiment de l’activité réfléchie est plus absolu, plus immuable que tous les autres. Enfin, outre 1 activité libre dont l’homme est doué, il participe encore de l'intelligence. Là aussi peuvent se trouver des plaisirs plus, ou moins vifs que noiis devrons analyser. Tels sont tous les degrés que nous avons à parcourir dans la sensibilité, et auxquels nous adresserons la question que nous avons faite à la sensibilité physique. Tous ces degrés sont compris dans le domaine du moi et du non-moi , or , il est facile de montrer que ces deux mondes ne nous donneront jamais l’élément scientifique j en effet, la plus haute formule sous laquelle on puisse résumer je noçî-moi, c’est la multiplicité; d’une autre part, la plus haute formule du moi, c’est l’individualité. Or, le multiple et l’individuel sont l’extrémité opposée de l’universel, et par conséquent de l’absolu. Comme au-dessus du moi et du non-moi il n’existe que le monde de la raison , et que le mûi et le non-moi ne peuvent donner l’absolu qu’ils ne contiennent pas, il s’ensuit que c’est à la raison qu’il faut aller le demander. Mais au lieu le trancher ainsi d’un mot la dilliculté, nous devons suivre pas à pas le moi et le non-moi jusque dans leur dernier retranchement, les presser, les atteindre et les convaincre de ne pouvoir fournir un fondement à la science. INous avons dit qu’il y a entre les nu BIEN. 35 7 impressions organiques qui résultent de l’application des sens aux objets correspondans de la nature, d’une part, et de l’autre le déploiement de l’activité du moi, entre la sensation extérieure et la conscience, un sentiment singulier, mais réel, que l’observation ne confond ni avec la sensibilité extérieure, ni avec le sentiment du mot c’es't le sentiment de la vie. Il est impossible de décrire la vie, il faut la surprendre même pour la connaître en l’absence de» toute action du moi et de- toute sensation, je demande s’il ne nous reste pas un sentiment, une jouissance vague, qu’on appelle plaisir d’exister ou sentiment de la vie. Ceux qui éprouvent à un très-haut degré le sentiment des actes libres, comme ceux qui sont très-sensibles à la souffrance physique, savent très - bien distinguer ces deux genres de sentiment davec celui de la vie. Comme dans la philosophie du dernier siècle, le sentiment de l’activité libre s’est trouvé affaibli, on l’a confondu avec le sentiment de la vie. Cabanis a parfaitement distingué le sentiment de la vie, d’avec le résultat collectif des sensations externes , mais il l’a confondu avec le sentiment de la personnalité. Le sentiment de la vie u’est pas celui de notre personnalité , mais le premier accompagne toujours le second; de plus, le sentiment de la vie persiste en nous alors même que s’interrompt la sensibilité organique. Des propo- 358 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON, sitions que je viens d’avancer on peut tirer une objection contre moi. En ellét, puisque le sentiment de la vie est permanent, puisqu’il accompagne celui de la personnalité, et qu’il survit à celui de la vie organique, ce sentiment ne pourrait-il pas donner le point fixe que nous cherchons pour y appuyer la morale? Deux, raisons s’opposent à la légitimité de cette conclusion i° le sentiment de la vie n’existerait pas sans le sentiment parallèle du moi humain ; cette relation fait qu’il devient individuel et qu’il est ainsi en opposition avec l’absolu; 2" le sentiment de la vie intime est modifié par celui de la vie de relation. Si la vie extérieure trouble la vie intime , j’éprouve de la souffrance ; si furie facilite le déploiement de l’autre, j’éprouve du plaisir; le sentiment de la vie intime est donc variable dans le même individu. Observez-le dans un autre,, vous le trouverez plus énergique ou plus faible que dans le premier. Le sentiment de la vie est donc convaincu de ne pouvoir fournir un élément absolu. Passons au sentiment du moi , nous arrivons ici à une région différente c’est celle de l’activité. Le mol agit-il sans obstacle , sans que la vie de relation arrête le développement de la personne il y a plaisir ; trouve-t-il quelque résistance il y a déplaisir. La vie de relation fait son apparition dans le sentiment delà vie intime, et nous ne pouvons sentir la vie intime qu’autant que le moi se connaît lui- nu bien. 35o même ; car s’il ne se connaît pas, rien n’existe pour lui. Ai nsileplaisir et la peine supposent la conscience du moi, quelle que soit l’originedu sentiment agréable ou désagréable, c’est-à-dire, qu’il provienne du principe vital, ou qu’il dérive de la vie de relation. Serait-ce donc dans le sentiment de 1 activité spontanée du moi quese trouverait leprincipedelamorale? •Nous l’avons déjà dit, l’individuel ne peut pas donner l’absolu ; de sorte que plus vous puiserez le bonheur à une source voisine du moi, l’épurer en le rendant immédiat, plus vous le rendrez individuel, et l’éloignerez du caractère de l’absolu. L’absolu et l’individuel se repoussent. Continuons notre route l’activité du moi peut de spontanée devenirréiléchie il peutdélibérer et ne se résoudre qu’après délibération. Ici le phénomène commence à se compliquer il contient un élément absolu, mais qui ne ressort pas de la sensibilité et qu il importe d’en séparer. j’ai résolu d’agir; un obstacle s’oppose au développement de ma résolution, voici alors ce qui se passe i° sensation pénible; 2 ° sentiment désagréable à l’idée d’une force supérieure qui me fait obstacle ; 3° indignation de ma nature libre contre la force qui la gène. Dans les deux premiers éléinens tout est sensible, dans le troisième est renfermé le blâme, qui est' un élément rationnel. Si nous ne distinguons'pas le blâme de l’élément-sensible, nous croirons trouver 1 absolu au sein de la sensibilité ; car le blâme se rattache 360 TRENTE-CINQ C IÈME I^EÇOK. à l’idée de droit; et l’idée ’de droit à l’idée de bien ; il est clair què nous empiétons ici sur un autre terrain que sur celui rie la sensibilité • ce n’est pas à cause du sentiment pénible que nous nous indignons , mais à cause de 1 indignation que nous éprouvons le sentiment pénible. Mais ce sentiment sera tantôt faible, tantôt énergique; >1 variera d’individu à individu, et il ne pourra porter encore l’édifice de la morale. Voyons maintenant si le plaisir qui s’attache au développement del’intelligenee pourra nous fournir les fondemens de la morale. J’ai résolu un problème compliqué de géométrie le moi agit dans l’intelligence, car sans l’activité du moi point de faits intellectuels ; le moi a donc ici la conscience de son activité et de son activité non limitée par des obstacles c’est là un premier plaisir. Un second plaisir vient de la perception de la vérité ; jusqu’ici nous sommes dans la sphère sensible, et les plaisirs que nous venons de citer partagent la mobilité de tous les phénomènes sensibles. Si l’on me dit que la possession de la vérité ennoblit le moi , que la vérité a une valeur absolue, et que le plaisir qui en résulte est également absolu , j’accorderai que la dignité de la vérité est absolue, que tous les hommes lui reconnaissent ce caractère, et ne peuvent pas ne pas le lui reconnaître ; mais je nierai que le plaisir résultant de la découverte du vrai soit également absolu , c’est-à-dire, le même chez tous les hommes, DU BIEN. 36l et toujours identique dans un seulindividu. En conséquence, d ne peut pas plus que les phénomènes précédons engendrer de règle morale ni de base scientifique. Un élément rationnel et absolu était mêlé dans les deux derniers phénomènes Sensibles que nous venons de parcourir ; dans le sentiment de notre activité réfléchie, et dans celui du déploiement de l’intelligence. Nous avons vu qu’il était important de distinguer ces principes opposés, pour ne pas nous imaginer que nous trouvions dans la sensibilité ce qu’elle ne peut fournir. Il est un autre phénomène sensible plus voisin encore de l'élément rationnel et absolu. Je veux parler de la satisfaction morale et du remords. Telle action nous a paru obligatoire et nous l’avons accomplie ; il y a ici double plaisir celui de l’exercice de la liberté et celui de l’accomplissement du devoir Si au contraire nous n’avons pas mis à exécution ce que nous croyions devoir faire , nous éprouvons encore le plaisir de la liberté ,mais enmême temps le déplaisir de la violation du devoir, c’est-à-dire le remords. La satisfaction morale et le remords ont été pris pour base de la morale. 11 y a. en effet quelque chose d’absolu au fond de ces deux sentimens ; mais ce • quelque chose est justement ce qu’on refuse de reconnaître c’estl’idée à priori de devoir ou de bien moral. La satisfaction et le remords ne pouvaient pas prendre naissance sans l’idée spéciale de nio- 362 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. ralité; ils présupposent donc un principe d’oùilssor- tent eux-mêmes. De plus, la satisfaction morale etle remords, bien quodérivés d’un principe absolu, n’en découlent cependantpas toujoursavecla même abondance. La même action morale nous transportera unjourd’enthousînsme, et nouslaisseralelendemain dans la plus complète indifférence. Voyez aussi comme les hommes sont divers dansles érnotionsque leur cause le bien ouïe mal'moral. Cette prétention d’identilier, d’une part, le bien mon. et le bonheur, parla satisfaction morale, et de l’autre, le mal moral et le malheur, par le remords, avait poussé les stoïciens à nier le bien et lé mal physique. INous pensons qu’il ne faut pas se mettre en contradiction avec la languedu genre humain, sous peine de se mettre en opposition avec la réalité ; qu’il faut continuer à distinguer le bien et le mal physique des jouissances et des peines morales, et que dans ces dernières, il faut faire la part de l’intelligence ou de la raison, qui voit ce qui est bien et ce qui est mal eu soi- même , et de là sensibilité qui se borne, là comme partout ailleurs, k ce simple fait je jouis, je souffre. Ainsi, nous concluons que la sensibilité dans toutes ses phases, prise à la limite extérieure de l’organisme ou dans le sanctuaire le plus rapproché du moi, ne fournit toujours qu’une mesure individuelle et variable, et qu’il faut chercher .ailleurs la vérité mortde absolue. DU BIEN. 363 WW V^VWIVV VXVVWX WVVVVVVWVWVW-WWVWWVWV^/WVWW VV'.VYV\V\ kVVl\%V\* TRENTE-SIXIÈME LEÇON. Retour sur la satisfaction morale, ou le contentement de soi-même.— De la doctrine des peines et récompenses à venir. —L’idée de peine et de récompense présuppose i° l’idée de mérite et de démérite, et par conséquent celle de bien et de mal moral ; 2° 1 idée d un Dieu souverainement juste, et par conséquent celle de justice. — La loi morale, qui ne peut venir de la sensibilité, ne provient pas davantage de la liberté. — — Il faut donc raison à ces deux facultés,. — La raison se réfléchit dans la conscience comme les deux autres, et nous trouvons ainsi par l’observation une règle absolue. — Les langues contiennent la preuve d’une vérité morale absolue. Nois avons traversé les différentes sphères de la sensibilité , depuis la sensation la plus extérieure josqu au sentiment le plus intime, et nous avons trouvé que jouir par l’action des organes extérieurs, ou jouir par le développement 364 trente-sixième leçon. de l'activité ou de l’intelligence, c’est toujours jouir, c’est-à-dire, subir uhe impression variable, fugitive, passagère, qui ne peut donner la règle absolue dont nous besoin en morale. Nous avons rencontré dans cette analyse dillërens phénomènes complexes, où la raison se mêle à la sensibilité, et où il est important de distinguer ce qui appartient à l’une de ce qui appartient à l’autre. Nous sentons le besoin d’y revenir en peu de mots. La peine et le plaisir naissent de la dilliculté ou de la'facilité que le moi éprouve dans son action. Quand le moi s’exerce seulement. pour s’exercer, .l’obstacle qu’il .rencontre lui cause’ une soulliance qui est simple. Mais si le moi déploie son activité pour parvenir à la découverte de la vérité, la dilliculté qu’il éprouve lui procure une peine complexe • il souffre d’abord, parce qu’il est gêné dans son activité libre; il souffre ensuite, parce qu’il se trouve blessé dans son rapport nécessaire avec la vérité. Cette souffrance- a déjà un caractère de moralité, mais ce n’est pas en tant que soulliance, c’est parce qu’elle se rapporte à l’obligation imposée à l’liomme'de rechercher la vérité. Si ce n’est pas par un empêchement extérieur, niais par la faiblesse de notre volonté, que nous sommes éloignés de la vérité , la souffrance est plus vive encore, car il y a gêne du moi qui n’a pas fait ce qu’il aurait voulu faire, et dé- in .BIEN. 3’>5 plaisir de n’avoir pas accompli ce qu’il savait devoir accomplir. Si, au contraire, le philosophe est parvenu à la découverte de la vérité, il éprouve une jouissance également complexe , au sein de laquelle nous devons soigneusement distinguer l’élément qui n’est qu’une sorte de contre-coup de la rajson ou de l’absolu. Mais c’est surtout lorsqu’il a mis en pratique la vérité morale que sa jouissance prend un caractère remarquable. Elle est d’abord contre-balancée par une douleur , car' le moi souffre en triomphant de ses passions combattre est dur, vaincre est triste. Le contentement de l’homme de bien est donc grave et sérieux ce n’est pas de la gaieté. Ce contentement est si pur et si désintéressé, qu’on a peine k le confondre avec les autres phénomènes de la sensibilité, et cependant il est aussi un phénomène sensible, susceptible de degrés et de variations. Il présuppose une vue de la raison , . c’est-à-dire , quelque chose d’absolu , mais il n’est pas lui-même absolu. Épicure ne pouvait connaître ce contentement de soi-même, qui implique la connaissance de la loi morale , et cependant il le donnait pour but au sage. Il voulait faire prédominer les plaisirs de l’âme sur les plaisirs du corps ; mais, en conseillant la recherche des premiers, il négligeait d’indiquer à quelle source on pouvait les puiser ; il méconnaissait 1 absolu, qui est le seul fonde- 366 TRENTE-SIXIÈME LEÇON. ment du contentement de soi - même , et sa doctrine était un paralogisme. Il me reste à parler d’un système par lequel on a tenté dé donner au bonheur la fixité qui lui manque. Il s’agit de la doctrine qui fait consister la vertu dans la recherche des récompenses à venir. Les plaisirs des sens et les plaisirs de l’âme qui se goûtent sur cette terre, étant variables et fugitifs, on a cru pouvoir leur substituer le bonheur immuable de la vie future. Cette doctrine est supérieure à lu doctrine commune de l’intérêt bien entendu ; vous voulez m’attirer à la vertu en me parlant de la paix dê l’âme, que je recueillerai demain , quand les passions seront .apaisées ; mais le lendemain n’est pas sûr, le plaisir assuré du présent vaut mieux que le plaisir incertain de l’avenir. Lorsqu’à l’avenir fortuit de la vie terrestre on substitue l’avenir inévitable de l’autre vie , on donne sans doute au bonheur'une base plus certaine; toutefois ce bonheur n’est l’objet ni de la raison ni de la liberté, mais de la sensibilité ; or, nous le savons, la sensibilité est variable; les hommes seront diversement affectés de ces joies immortelles que vous leur promettez, et que vous ne pouvez pas même décrire sans leur donner une ressemblance avec les joies terrestres. Vous n’êtes donc pas encore ici en possession d’un principe absolu et invariable de conduite. DU BIEN. • 36^ Cette doctrine est encore sujette à une autre objection. Les peines et les plaisirs dé la vie future sont institués à titre de châtiment et de récompense. Or, punir et récompenser suppose des actions bonnes et des actions mauvaises. Il faut donc connaître le bien et le mal moral pour connaître celles de nos actions qui seront récompensées et celles qui seront punies. Le système des peines et des récompenses à venir repose sur ce principe il y a une connexion nécessaire entre le bien moral et le bonheur , entre le mal moral et le malheur ; il suppose donc l’intelligence des premiers termes aussi bien que celle des seconds. Il admet ce qu’il voudrait nier l’idée absolue du bien et du mal, d’où dérive l’idée du bonheur et du malheur à venir; il ne peut, sans cercle vicieux, donner pour premier but à la conduite humaine un bonheur à venir qui n’est évidemment qu’une conséquence. Ce n’est pas tout les joies de la vie future sont une récompense. Qui est-ce qui récompensera? ce sera Dieu. Mais sera-ce Dieu comme toute-puissance ou Dieu comme toute-justiee? Si Dieu punit parce qu’il est juste, il y. a donc une règle de punition, et par .conséquent une règle absolue de nos actions ? Ce ne sont pas les peines et les récompenses qu il faut placer comme règle dans l’autre vie, c’est la justice de Dieu ? Si Dieu punissait, non en vertu de sa justice, mais en vertu de sa 368 TR ENTB-SIXIÈME puissance, on ne saurait comment saisir la volonté capricieuse de ce Dieu, e£elle ne pourrait nous servir de règle. Ce n’est donc ni le plaisir ni la peine qui est la loi de notre conduite, c’est l’idée du bien et du mal moral ; c’ést l a justice punissant ou récompensant. Quand on affirme que c’est la volonté de Dieu qui est la loi morale, je réponds oui et non. Non, si l’on entend parler d’une volonté ar bitraire ; non encore, si l’on ne considère Dieu que comme tout-puissant; oui., si l’on entend parler d’une volonté juste, si l’on fait équation de justice et de Dieu. Celui qui se prétend athée, et qui reconnaît la justice, se lrappe lui-même de contradiction , comme celui qui se pique de religion et qui nie la justice. La sensibilité est donc impuissante à nous fournir le bien moral absolu , soit qu’on s’arrête aux plaisirs sensuels, ou qu’on s’élève au plaisir qui accompagne le développement du moi , ou qu’enfin on parvienne jusqu’à, ces plaisirs plus nobles et plus purs, qu’on appelle le plaisir d’avoir bien fait, ou les récompenses de l’autre vie. Si la sensibilité ne peut produire l’absolu, la liberté , qui est le fond du moi lui-même, serait-elle plus fécohde? Le moi est individuel, et la vérité morale est universelle. Le moi esL libre et changeant , la vérité morale est nécessaire eL immuable. L’arbitraire et l’absolu se contredisent. Si le moi se posait lui-même son but, . il pourrait le changer, UH BIEN, 36g et il ne se prescrirait pas ainsi de véritable règle. Nul ne s’oblige soi-même. Le moi ne peut donc être obligé qu’envers quelque cliose d’impersonnel et d’absolu. La sensibilité et la liberté ne contiennent que du contingent il faut chercher ailleurs la vérité morale absolue. Montrons d’abord que cette vérité existe ; et, pour en faire ressortir le caractère de nécessité, opposons-lui une vérité contingente. Si je dis, par exemple abstiens-toi, et tu seras heureux, admettra-t-on cet axiome comme une vérité nécessaire ? Le bonheur n’est-il pas reconnu comme quelque chose de très-incertain? Quand j’aurai accompli mon sacrilice, et que viendra le moment d’en recueillir le prix, la mort ne pourra- t-elle pas me frapper. Le rapport entre la modération et le bonheur ne constitue donc qu’une vérité éminemment contingente. Mais si je dis il est bien de modérer ses passions, y a-t-il ici quelque chose de contingent ? Cette proposition peut-elle souffrir quelque exception ? y a-t-il pour elle un présent et un avenir? peut-elle être vraie aujourd’hui et ne pas l’être demain? Le problème que nous avons à résoudre, c’est de trouver une vérité qui impose à l’agent une obligation absolue, c’est-à-dire, qui lui commande d’agir contre son intérêt même. Un homme a reçu un dépôt doit- il le garder ou le rendre ? Quelle est la réponse de l’humanité à ce sujet? Que pense aussi l’humanité PHILOSOPHIE. 3^0 trente-sixième leçon. du magistrat, dont le devoir est de veiller sur la loi, et qui la vend au poids de l’or? Il y a donc des vérités morales absolues, jusque-là même que les moralistes, ennemis de l’absolu, parlent de devoir. Or, pesez bien cette expression de devoir , et examinez si le bonheur peut constituer une obligation. A. la sensibilité et à la liberté , il faut donc, comme nous l’avons dit, ajouter la raison. La 'raison est la faculté par laquelle nous saisissons l’universel et l’absolu, et comme la raison se reflète dans la conscience!, nous trouvons ainsi par l’observation une vérité absolue. L’aperception de l’absolu est un fait réel et observable , quoique l’absolu lui-môme dépasse de tous côtés les limites de 1 observation. Nous avons donc résolu le problème que nous nous étions posé remplir la condition de la science, c’est-à-dire, lui donner un point de départ dans l’observation, et lui trouver un fondement solide, c’est-à-dire, lui fournir un principe absolu ; en d’autres termes, nous avons accompli notre double tâche trouver à posteriori une règle qui ait une valeur a priori. ' Les langues,- qui sont l’expression de humaine, déposent toutes dp 1 existence d un principe absolu en morale qui se distingue du bonheur. Partout nous trouverons les mots devoir et intérêt en opposition , comme les mots bien et mal, vice et vertu, égoïsme et dévoûmerit. Toutes les lan- PL BIES. yji gués contiennent aussi l’équivalent du mot admiration. Or, dans l’admiralon il y a un sentiment, mais il y a aussi une idée ; ce n’est même qua la condition de l’idée que le sentiment existe il là ut que l’intelligence ait approuvé avant que la sensibilité se soit mise en jeu. On se félicite de posséder un objet de plaisir, mais on ne l’admire pas. L’homme heureux et l’homme vertueux ne nous font pas éprouver une impression que nous appelions de la même manière. Àristippe au sein dy ses molles délices , et Socrate vidant la coupe de la ciguë, ne produiront pas dans votre aine la même émotion , et ne feront pas échapper de vos lèvres les mêmes paroles. L’indignation est la contre-partie de l’admiration , et comme celle-ci elle contient un élément désintéressé. On ne s’indigne pas contre un objet inanimé qui nous blesse ; la soulli ance n’est pas la mesure de l’indignation. Le désir de l’estime, la crainte du ridicule, sont encore des plié nomènes qui se rapportent au désintéressement. Nous ne voulons pas de l’estime, si elle s’attache à des biens qui ne nous appartiennent pas. L’empire de l’opinion repose sur la connaissance commune que tous les hommes possèdent du bien et du mal moral. Le sentiment du ridicule touche d’un côté à la vanité , et de l’autre à l’honneur. On ne craindrait pas le ridicule si l’on 11e mloutait l’opinion , et on ne redouterait pas l’opinion si elle 11e s’appuyait jamais que sur une base arbitraire et 3^2 TRENTE-SIXIÈME LEÇON. mobile. L’estime est inexplicable, si l’homme n’agit jamais que par intérêt. Vous saisirez aussi la distinction qui existe entre le regret et le repentir. Quand nous avons échoué dans une entreprise, nous regrettons le temps et les biens perdus; quand nous perdons aux jeux de hasard, nous regrettons la fortune; mais si nous trompons notre adversaire, notre sentiment est le repentir, et non plus seulement le regret. Ce sentiment est une preuve que les hommes ne tiennent pas seulement compte des biens et des maux physiques. Le bien moral n’est donc pas la même chose que le bonheur, quoique le premier mérite le second ; mais c’est justement pour le mériter qu’il doit en être différent. S’il est vrai que cette maxime ne trompez pas,parce que vous seriez trompés vous-mêmes , soitsujette à des exceptions, et par conséquent retenue clans les limites du contingent, il faut lui substituer cette autre maxime trompez pas, parce que cela est mal , c’est-h-dire, qu’il faut substituer le système du devoir à celui du bonheur, l’absolu au relatif, le nécessaire au contingent. DD BIEN. 373 WA. VVV WV\ WWV WVWVWAV'VAA vvw TRENTE-SEPTIÈME LEÇON. La conception nécessaire de l’absolu en morale ne subjective pas cette vérité. — Elle présuppose une apercep- tion antérieure qui est pure et non réfléchie. — Les langues et la logique sont au point de vue réfléchi.— Le vrai abso’u en morale étant trouvé, la science morale est possible 1. — La distinction du bien et du mal est antérieure à l’obligation. — L’obligation suppose la liberté ; preuve logique ou indirecte de la li- liberté. — La conscience confirme l’existence de la liberté ; preuve directe ou psychologique de la liberté. — D’un argument de Kant contre la liberté. — La loi de causalité ne domine pas le pouvoir de vouloir ou la liberté; elle ne régit que les phénomènes, et elle s'arrête devant Dieu et devant riiommefî. — La liberté est placée entre la sensibilité et la raison; sollicitée par Tune, obligée par l’autre. — La liberté se distingue 1° du désir; 2° de la productivité ou du pouvoir d’agir 3 . Quand on porte une analyse sévère dans les phénomènes de conscience, on arrive à dégager du sein du sentiment un élément idéal. Le carac- 1 Voyez» Fragmens philosophiques, programme de 1817, page 253 première èiiilio Q . 2 Voyez, Fragmens philosophiques Du premier et du dernier fait de conscience, page'347 ihid . 3 Voyez, Frigmet-s philosophiques, programme de 1817, pitpe* î5o ihid. 3^4 TRENTE-SEPTIÈME LEÇON. tère du sentiment c’est d’être conditionnel ; le caractère de l’idée c’est d’ôtreubsolue. La raison, en présence de certaines propositions, les reconnaît comme vraies dans tous les temps et dans tous les lieux, et ne peut pas les dépouiller de leur universalité et de leur nécessité. C’est là que se trouve l’absolu. Cependant on en conteste l’existence, et l’on se fonde sur son caractère même de nécessité. Comment parvenez-vous, nous dit-on, à établir quelque chose'd’absolu? Ne dites-vous pas que le moi est forcé de reconnaître telle ou telle vérité ? Or, ne vous apercevez-vous pas que ce que vous prenez pour une réalité objective n’est que la forme de votre esprit, et que la nécessité où vous êtes de concevoir telle ou telle vérité est purement subjective. Nous avons déjà répondu à cette objection quand nous nous occupions de constater l’existence de l’absolu en général ; il n’est pas inutile de reproduire notre réponse à propos de l’absolu moral en particulier. Sans doute la conception nécessaire d’un principe le subjelive, pour ainsi dire, et l’engage dans la relativité du moi humain. Niais la conception nécessaire est une conception rélléeliie ; elle suppose donc une apereeption antérieure. Cette apercep- tion est pure, non engagée dans les liens de la réflexion, saris mélange du moi humain, qui est un élément réfléchi. La raison aperçoit la vérité; quand cette aperception se réfléchit dans la con- DL BIEN. 3^5 science, le je intervient ; mais la raison s’est d’abord développée sans le je. 11 en est de la raison comme de la sensibilité; si cette dernière ne se redoublait pas dans la conscience , il n ’y aurait paS sensation, nous n’arriverions pas à dire je sens. Avant cette sorte de répercussion de la raison et de la sensibilité dans la conscience, l’une et l’autre sont impersonnelles. La vie intellectuelle et 1^ vie sensible pourraient, à la rigueur, marcher sans la conscience ce. n’est pas la conscience de la mémoire qui fait que je me souviens. Ainsi, avant la vie réfléchie est une vie spontanée , où le moi ne s’aperçoit pas lui-même, où il n’existe même pas, car c’est la réflexion qui le fait être, et où, par conséquent, il ne peut ni conditionner in suojecti- ver la vérité. L’équation de Kant entre raison et raison humaine, est donc vicieuse. Dans sa critiqué de la raison pure, il ne s’est pas élevé jusqu’au vrai principe de la pure raison. Pour sortir du cercle vicieux dans lequel est enfermée la logique, il faut dépasser le point de vüe réfléchi où la vérité est tombée dans le moi ; il faut arriver jusqu’il cette aperception pure, qui n’est telle qu’à la condition de s’ignorer elle-même; dès que le moi en a conscience elle n’est plus. On ne peut donc lu saisir en quelque sorte que de profil, et tout ce qu’on en sait c’est quelle a existé. Ainsi il arrive quelquefois, dans la chaleur d’une dispute, quon aperçoit une vérité sans songer à élever ou à rejeter aucune 376 TRENTE-SEPTIÈME LEÇON. des objections qui peuvent être faites contre elle. Il y a là une affirmation sans négation, une conception pure sans caractère de nécessité. Ni les langues ni la logique ne peuvent donner une idée exacte de ce phénomène, car elles sont au point de vue réfléchi, et par conséquent à un point de vue qui contient déjà de la négation, c’est-à-dire qui possibilité de mettre la vérité en doute et la subjective. Quand vous réfléchissez à une vérité, vous ne pouvez pas ne pas nier le contraire; dans ce cas, l'allu mation suppose la négation, etréciproquement. Mais antérieurement, s’est accomplie une aperception pure, encore une fois, une allirmation sans négation. Ainsi, dans l’état présent de notre vie intellectuelle , nous disons je ne puis pas ne pas croire qu’il faut être fidèle à l’amitié; et si l’on me conteste cette proposition , je n’aurai à fournir, pour réponse, que la nécessité où je me trouve d’admettre cette vérité; mais antérieurement j’ai débuté par cette aperception pure il est bien d’être fidèle à l’amitié. C’est une intuition de quelque chose de vrai en soi-même et nou de vrai relativement à moi ; c’est là le véritable absolu moral, la vraie base scientifique. La science morale est donc possible. On voit que la distinction du bien et du mal moral est antérieure à l’obligation; en eflêt, il faut que la vérité existe avant quelle oblige le moi. L’obligation est donc fondée sur l’idée du bien et DU BIEN. 077 du mal, loin que l’idée du bien et du mal soit fondée sur l’obligation. Tantôt la vérité est purement spéculative, et elle oblige le moi seulement à la croire ; tantôt elle demande à être réalisée par l’action, et elle oblige le moi à la pratiquer. Il n’y a donc pas en nous deux facultés, l’une pour la morale, l’autre pour la vérité, car la vérité est une. L’obligation repose sur le rapport de la raison et de la liberté. C’est ici qu’intervient l’idée de loi. La loi suppose deux termes corrélatifs; là où il 11’y a pas de liberté il n’y a pas de loi, et il n’y a pas de loi non plus là où il n’y a pas quelque chose de supérieur à la liberté. La meilleure preuve indirecte de la liberté, c’est la loi ; car si la loi suppose un élément souverain et absolu, elle suppose aussi un élément libre qui puisse se conformer à la raison. Mais ce n’est là qu’une preuve indirecte; avec, cet argument, je crois aussi bien à votre liberté qu’à la mienne. S’il n’existait pas d’autre preuve, le moi n’aurait pas conscience de sa liberté, c’est- à-dire de lui-même. À la preuve logique il s’ajoute donc une preuve psychologique. Kant’a élevé contre la liberté un argument qu’il est bon d’examiner ici tout fait, dit—ü» sup- .pose une cause; la détermination de la volonté est un lait, elle a donc une cause qui aura une cause elle-même, et ainsi à l’inlini, ce qui constitue la fatalité. Tout fait suppose une cause cela est 3^0 TRENTE-SEPTIÈME LEÇON, vrai, si l’on entend par fait un phénomène qui Commence d’exister. Ainsi, je produis un mouvement, ce phénomène a pour cause la contraction du muscle'; cette contraction est à son tour un phénomène causé par l’action du nerf, et cëtte action est produite par la détermination ou par la volition; jusqu’ici nous sommes dans l’ordre dés phénomènes qui commencent et qui finissent, qui naissent et meurent, qui passent pour revenir et reviennent pour passer encore. La détermination ou la volition est un phénomène de ce genre; mais elle n’a pas d’autre cause que le pouvoir de vouloir, qui est permanent dans le moi, qui ne s’éteint pas pour renaître, qui ne renaît pas pour s’éteindre, en un mot, qui ne passe pas. Si ce pouvoir a commencé , c’est ce que nous ne pouvons déterminer ici ; toujours est-il que nous ne le voyons' pas commencer, et qu’en conséquence il n’est pas un phénomène. Le pouvoir de vouloir est ce que nous appelons la liberté, il existe dans l’homme et en Dieu. Le principe de causalité, qui ne domine que les phénomènes, expire donc devant Dieu et devant l’homme. Le pouvoir de vouloir n’est pas susceptible de plus ou de moins quand on parle d’une volonté plus ou moins forte, plus ou moins énergique, on confond la vo- * lonté avec la passion qui l’accompagne. Le principe de causalité ne comprend pas le moi humain. Le MOI ne serait plus une personne, mais une DU BIEN. 3 79 chose, si la liberté commençait et finissait comme les phénomènes. liberté humaine est placée entre le monde extérieur et la raison le monde extérieur la sollicite, la raison l’oblige ; le premier lui fournit des mobiles, la seconde lui donne un motif. La liberté est le pouvoir de résister à ces mobiles ou de les suivre, comme de méconnaître les motifs rationnels ou de leur obéir. Le désir doit être soigneusement distingué de la volonté ou de la liberté le désir se. fait en moi sans moi. A proprement parler, ce n’est pas moi qui désire, c’est la sensibilité en moi je ne suis pas responsable de mes désirs, je le suis de mes volontés. La volonté n’a pouf cause qu’elle- même ; ni les mobiles ni les motifs ne 1 entraînent fatalement, car elle peut leur résister, et c’est en cela que consiste son mérite. Dans le phénomène de la délibération, la liberté éclate plus haut encore si l’agent hésite , c’est qu’il est libre. On a dit que quand nous nous déterminons après délibération , c’est l’un des deux poids de la balance qui l’emporte sur l’autre mais le motif rationnel, ou l’idée du devoir étant purement immatériel, n e peut agir physiquement ni se comparer à un. poids ; il en est de même du désir sensible. Remarquez qu’il ne faut pas confondre la liberté avec la productivité quelquefois la volition ne peut accomplir son acte; elle est impuissante, ou à mouvoir le corps , ou à gouver- 38o TRENTE-SEPTIÈME LEÇON, ner la pensée ; mais le pouvoir rie vouloir n’en a pas moins émis librementfÿvolition. La liberté existe clans ce cas, seulement elle ne se manifeste pas au dehors. Mettez un homme dans les fers ~ i} peut encore être libre , car il peut disposer de ses voûtions. Que je forme le projet d’accomplir demain tel ou tel acte, lors même qu’un obstacle matériel viendrait me réduire à lim- puissance, je n’en ai pas moins aujourd’hui formé librement ma résolution, et la véritable liberté est dans ce rapport indissoluble de la volition au pou-; voir de vouloir.. La liberté est donc toute intérieure et toute immatérielle. A la volition commence la série des causes secondes et des eflêts ; mais au-dessus de la volition est la volonté, cause première sur laquelle lien n’agit, cause qui se sulht à elle-même, cause qui n’est pas effet. ut JUEN. 3b i vv\ V\\l\lUA VVXIVXW\ i\iWlVWl'VUV\ WV W\ I VWWV% , WVV\ v\\vv\ TRENTE-HUITIÈME ET DERNIÈRE LEÇON. Le principe le substance limite le principe de causalité, donc la liberté existe. — La liberté , étant placée entre la sensibilité et la raison, doit abandonner la première et rester idèlc h la seconde, qui seule est obligatoire.' — Premier devoir de la liberté se maintenir liberté; résister aux choses-ensibles et s’unir à .a vérité, qui est la loi de la liberté. — Deuxième devoir éclairer la raison pour mieux découvrir la vérité morale; s’imposer toutes les a. tionsqui pourraient devenir loi générale i. — La Vcrité morale, commetoute autre vérité, réside en Dieu. — Il y a donc, une lasc absolue de la morale. —. L’ontologie est donnée dans la psychologie a. — Des attributs de Dieu 31. — La religion est le sommet et non la base de la moi ale 4. — Conclusion. Il y a du bien et du mal, donc il y a obligation; ily a obligation, donc il y a liberté. Le moi c’estl’acti- 1 Voyez, Fracmens philosophiques, programme de 1817, pages 249. a 5 o première édition. 2 Voyez , Fragmens philosophiques, préface , page xxxix ibu !. , et programme de 1818, page 290. 3 Voyez, ibid., programme de 1817, pages a 55 et suiv. ibid. r 4 ' Voyez ibid., page 24G 382 TRINTK-HL'ITIÉMK LEÇON. vité indépendante, volontaire, libre la conscience nous l’atteste, et quand même nous ne pourrions pas résoudre les objections extérieures qu’on élèverait contre ce témoignage, il n’en subsisterait pas moins; les objections prouveraient contre la science et non pas contre la liberté. L’objection capitale ressort du principe de causalité mais ce principe s’arrête devant la liberté. Le principe de substance limite le principe de causalité la substance est cette inconnue au delà de laquelle il n’y a rien relativement à l’existence. Le principe de substance domine donc le principe de causalité, qui est restreint au champ des phénomènes ; ce dernier enveloppe les causes qui produisent, mais il n’atteint pas celles qui veulent produire; il ne nous donne pas des causes intelligentes , car nous ne serions pas encore sortis de la mythologie; il nous fournit des cftuses matérielles, comme celles dont le monde est peuplé. C’était une induction illégitime qui nous avait fait transporter la cause intentionnelle au dehors de nous; nous en dirions autant de l’induction , qui nous ferait reporter en nous la cause matérielle. Dans le premier cas il n’y a plus que des personnes, dans le second il n’y aurait plus que des choses. Il laut donc laisser vivre à côté l’un de l’autre le principe de liberté et le principe de causalité, chacun dans la sphère qui lui appartient, l’un au dedans, l’autre au dehors, le premier dans la substance et le second dansles phénomènes. DU BIEN. 383 La liberté existe donc, elle est une conséquence de l’idée du bien moral, et elle doit se rattacher à sôn principe. La position humaine est celle-ci d’un côté, les choses sensibles d’où viennent les sensations qui constituentle bonheur placé dans cette vie ou dans la vie future, et qui est toujours du bonheur ou de la sensibilité; de l’autre côté, la vérité morale absolue éclairant la raison et obligeant la liberté. La liberté doit donc résister aux choses sensibles ; autrement elle s’abdiquerait elle-même, elle irait contre sa loi, qui est le bien moral. Elle ne doit pas se laisser pousser au bien par l’intérêt sensible, mais elle doit s’y déterminer d’elle-même. Ainsi, le premier devoir de la liberté c’est de rester liberté et de se préserver de l’empire des choses. Son second devoir c’est d’éclairer et d agrandir sa raison, qui lui révèle la vérité morale. Heureux les individus et les pleuples qui, sachant qu’ils ne sont pas des choses, connaissent les rapports de la liberté à la raison et 'à la vérité ! Malheureux ceux qui, reconnaissant leur liberté, ne savent pas l’usage qu’ils en doivent faire. Ils se renferment dans les limites de leur liberté, et se bornent à une vie négative; tel était le stoïcisme. Cette morale est sans doute supérieur!; à celle du bonheur, mais elle n’est pas la vraie morale ; il faut mettre la liberté en rapport avec la raison, c est-à- dire avec la vérité. Ainsi i » ne rien faire qu’avec la conscience du désintéressement, c’est-à-dire, se dé- 364 TRENTE-HUITIÈME LEÇOX. tacher des choses sensibles; 2° s’approcher aussi près que possible de la vérité morale absolue, en s’imposant toutes les actions qui pourraient faire l’objet d’une législation universelle, en d’autres termes, soumettre chacun de nos actes à ce critérium pourrait-il'servir de règle éternelle? telle est la double loi de la liberté. Nous avons donc constaté l’existence de la vérité morale absolue , ou de l’idée absolue du bien. Si l’on se rappelle les développemens auxquels nous nous sommes livrés sur l’origine des idées absolues, on sera convaincu que cetteidée n’est pas subjective ; qu’avant le point de vue réfléchi cpii engage la vérité dans la sphère du moi , est une aperceplion spontanée et fug’tive, une affirmation sans négation, où le moi ne s’aperçoit pas lui- même , et où la raison demeure impersonnelle. Nous avons ainsi considéré le rapport de la vérité avec l’homme ; il nous reste à revenir sur le rapport de l’homme avec l’être infini ou avec Dieu. La question à résoudre est celle-ci n’y a-t-il ou n’y a-t-il pas de Dieu en morale ? Comment passerons-nous de cette idée il faut être fidèle à ses sermens, à cette autre toute vérité réside dans un être substantiel qui les contient. Pour nous assurer de la légitimité de ce passage, il faut que la psychologie devienne logique , c.’est-à- dire, qu’elle se prenne pour objet de son examen , efir la ogique n’est qu’un retour de la psychologie DW BIEN. 385 sur elle-même. Nous l’avons déjà dit plusieurs fois le premier moment de la vie intellectuelle contient l’idée du moi, celle du non-moi et celle de l’être indéterminé ; le second moment s’élève à la conception des idées abolues du vrai, du beau et du bien, qui sont indépendantes du moi et de la nature extérieure. Le troisième moment rattache ces idées à la source d’où elles émanent, au fond qui les soutient, à l’être substantiel et infini dont la raison conçoit l’existence, mais dont elle s’interdit de sonder la nature. Lorsqu’après avoir conçu une vérité comme idée, vous concevez qu’elle existe, vous la rattachez ainsi à la substance éternelle ; celui qui conçoit la vérité conçoit donc la substance, qu’il le sache ou qu’il l’ignore. Dans le point de vue actuel de l’esprit humain , par la force de 1 abstraction nous pouvons séparer l’idée et letre; mais., dans le point de vue primitif, l’idée et letre ne sont pas désunis. Pour savoir-si quelqu’un croit en Dieu, je lui demanderai s’il croit à la vérité. D’où il suit qu’il n’y a point d'athée, que la théologie naturelle n’est que l’ontologie , e t q Ue l’ontologie elle-même est donnée dans la psychologie. La vraie religion n’est que ce mot ajouté à l’idée de la vérité elle est. C est en rattachant ainsi toutes les ventés à l’êti'e substantiel, qu’on arrive à découvrir sa bonté, sa justice, et enfin tous ses attributs moraux. Prenons pour exemple l’attribut de rémunérateur. a5 386 TRENTE-HUITIÈME LEÇON. Pour démontrer l’immortalité du l’âme, on s’est principalement arrêté à l’argument suivant la mort est une dissolution de parties; or, l’âme est une substance simple et indivisible donc Pâme ne peut périr. Cet argument n’est pas sans valeur, car nous devons distinguer la vie de l’existence la vie ,. c'est le phénomène qui passe ; l’existence, c’est la substance qui ne passe pas ; rien cle ce qui est véritablement ne peut passer. Mais l’immortalité de l’âme peut se démontrer encore de la manière suivante il y a une vérité morale qui nous enseigne que la vertu mérite le bonheur comme récompense, et que le crime mérite le malheur comme châtiment ; cette vérité est absolue, elle égale en évidence cette autre vérité le crime n’est pas la vertu. Dans ce monde, la liberté se voit sans cesse combattue par la causalité extérieure ; le bonheur est en contradiction avec la vertu. Ce désaccord est nécessaire la vertu n’existe qu’à la condition du sacrifice. 11 n’y aurait qu’un moyen de détruire le mal physique ce serait de détruire la vertu. La souffrance a sa raison dans la moralité de la résignation et du courage. Mais si tout cela est vrai, il est vrai aussi que l’harmonie entre le bonheur et la vertu doit se rétablir un jour. Cette vérité morale absolue, indépendante de l’esprit humain qui la conçoit, ne peut pas être indépendante de l’être "infini toute idée absolue est rapportée par nous à la substance éternelle. ÏNous ne dirons DU BIEN. 387 donc pas que cette vérité s’impose à Dieu, mais qu’elle réside en Dieu, que Dieu en est le fond et la substance ; et c’est ainsi que nous arrivons à l’idée de Dieu rémunérateur et vengeur. Cette idée est le terme le plus élevé de toute religion. Ainsi la religion est le sommet et non la base de la morale. La vie intellectuelle passe par ces trois phases différentes 1 0 idée de l’agréable ou du contingent ; 2 0 idée de l’absolu en morale ; 3 ° idée absolue rattachée à l’être qui la soutient. Ces trois phases peuvent se formuler ainsi 1 0 plaisir; 2 0 moralité et devoir; 3 ° espérance. Le devoir ne dérive pas de l’espérance, c’est l’espérance qui dérive du devoir. Sur la foi du principe de mérite ou de démérite, l’homme peut espérer une vie de bonheur ; mais ce n’est pas de cette sourfce que découle son devoir, c’est de l’idée absolue'du bien moral. Ainsi, nous avons résolu, pour l’ bien en particulier, la question dont nous avions déjà présenté la solution pour l’idée du vrai en général et P°ur l’idée du beau. Au-dessus du moi et de la nature physique, l’homme conçoit des idées absolues, indépendantes de l’un et de l’autre. Mais, .sous le contingent, l’homme aperçoit déjà letre d’une maniéré confuse ; il ne peut pas ue pas l’apercevoir sous les idées absolues tout est de l’être, car l’être est tout. C’est là le secret de l'imité fondamentale de la conscience humaine. L’idée du bien est donc 388 TKENTE-HUITIEME LEÇON, semblable à l’idée du beau, à l’idée du vrai, qui les comprend l’une et l’autre; elles sont la manifestation , pour ainsi dire, visible de l’invisible unité, de cet être que nous ne pouvons contempler face à face , mais dont nous concevons l’existence, de la substance première et dernière, universelle et éternelle , en un seul mot, de l’infini. JNous avons fourni la carrière que nous nous étions proposé de parcourir. Les écoles du dernier siècle, en possession de la véritable méthode philosophique ou de l’analyse de la pensée, nous paraissaient n’avoir pas tiré de cette mine féconde tous les trésors qu’elle contient. Nous y avons découvert les idées absolues du vrai, du beau et du bien; nous avons décrit ces idées telles quelles se trouvent dans l’intelligence humaine développée, et ce n’est qu’après avoir sondé l’état actuel de l’esprit humain que nous nous sommes hasardés à la découverte de l’état primitif. Nous nous sommes mis, encore sous ce point de vue, en contradiction avec les écoles du dix-huitième siècle, qui débutaient par imaginer à leur gré un état primitif de l’intelligence , et arrivaient, d’hypothèse en hypothèse, jusqu’à l’état actuel quelles faisaient plier sous leur système fictif de l’origine des idées. En constatant d’abord l’état présent de l’esprit humain , nous nous sommes établis sur un terrain solide, accessible à l’observation, et en examinant ce que cet état présuppose avant lui, nous avons pris DU BIEN. 38 9 la voie la plus sûre pour arriver à l’état primitif. Nous avons donc traité des caractères actuels de nos idées, avant d’aborder la question de leur origine et de leur formation. Nous avons vu qu il j a dans l’espi’it humain, au moment où il peut s’observer lui-même, l’idée du vrai, du beau et du bien; que ces trois idées sont marquées des caractères de nécessité et d’universalité, c’est-à-dire, quelles nous imposent une croyance que nous ne pouvons pas rejeter, et quelles nous paraissent s’appliquer, non à tel ou tel cas particulier, mais à tous les cas possibles. Nous avons montré que la croyance nécessaire dans laquelle le moi s’apparaît à lui-même comme enchaîné sous le joug de la vérité, et qui, en conséquence, est un phénomène réfléchi, présuppose un phénomène spontané, irréfléchi, impersonnel, exempt de tout caractère subjectif, et nous avons donné à ce phénomène le nom d’aperception pure. Nous avons fait voir que l’idée absolue, avant de se manifester à nous comme un type universel , nous avait été révélée dans Un fait particulier, et que cette vue concrète s’était sous-divisée aussi en deux momens le moment réfléchi ou la croyance nécessaire, et le moment spontané ou l’aperception pure. Ainsi, la croyance nécessaire a été précédée d’une intuition pure, et l’idée universelle a succédé à l’idée particulière. En conséquence, l’état primitif est double il contient une idée d’abord pure et ensuite né- • ^ * *- 3ç0 TRENTE- HDi ï IÈ W E LEÇO'N. cessaire du vrai, du beau et du bien, engagés dans telle ou telle circonstance particulière. L’état définitif ou actuel est également double il renferme une idée pure d abord, et ultérieurement nécessaire du vrai, du beau et du bien, dégagés de tout fait relatif et particulier. Il nous restait à indiquer comment se franchit le passage de l’état primitif à l’état ultérieur, et nous avons fait voir’ que c’est à l’aide d’une opération intellectuelle, que nous avons appelée abstraction immédiate. Ainsi, les idées absolues ont leur origine dans une idée particulière et concrète, et leur formation, s’accomplit par l’abstraction. Nous ne nous sommes pas contenté de donner une énumération aussi complète qu’il nous a été possible, des idées actuelles de l’esprit humain, et de remonter pas à pas et avec précaution jusqu’à leur première origine. Nous avons essayé d’en trouver le fondement, et nous avons montré comment elles s’appuient sur la substance universelle dont elles composent la seule manifestation accessible à l’in teUigence de l'homme. Nous avions dit au commencement que les idées nécessaires reconnues par les philosophes, et dont l’illustre Kant avait dressé la liste sous le nom de catégories, pouvaient se réduire à l’idée de causalité et à l’idée de substance , et que cette .dernière comprenait dans son sein l’idée du vrai, du beau et du bien. Nous avons justiiié cette thèse eu examinant ces trois idées absolues, et en montrant qu’elles se * -i *. * • DU BIEN. 3g i rattachent à la substance, comme la forme au fond, comme la qualité au sujet. Nous pouvons donc répéter, en terminant, que l’origine des idées absolues est un fait particulier dans lequel est aperçu simultanément le moi et le non-moi, et qui contient, sous ces deux principes finis, une vue indécise encore de letre infini ou de la substance ; que plus tard la substance se manifeste sous trois formes absolues le vrai, le beau et le bien ; que ces trois formes sont d’abord enveloppées dans un fait concret et particulier ; mais que peu à peu elles se développent et arrivent à un état d’universalité qui les rapproche de plus en plus de la substance infinie d’où elles viennent et où elles retournent. Ainsi, dès la première de nos pensées, nous sommes déjà en rapport avec l’être universel, mais d’une manière si confuse et si vague, que le monde, phénoménal, le moi et le non-moi, nous préoccupent et nous absorbent ; l’être nous apparaît bientôt avec plus de netteté sous les formes absolues du vrai, du beau et du bien; mais longtemps l’humanité se contente des formes, et ne pénètre pas jusqu’au fond qui les soutient ; enfin ce dernier progrès s’accomplit, et la vie intellectuelle est complète. FIN Ci Nauer-lalor Buchbindert ZÛRICH Hottingerstrassê 67 *.i * • & * » ; ♦ •'•£•> VA -;rfj fj !* , *• / i? i- il r&? v» 1 ;* fc> V >1^ ;V f/*